Un homme de 83 ans est jugé par la cour d’assises de Montpellier pour avoir frappé à mort de 40 coups de bèche son épouse en 2018 dans leur pavillon de Villemagne-l’Argentière. La question de l’alterration du discernement va être posée.
« Je rêve de liberté totale. » À 73 ans, et après une quarantaine d’années de mariage, Akila Cherrad aspirait à mener sa vie comme elle l’entendait. Elle en avait fait part à son mari et lui avait annoncé sa volonté de divorcer. Après quatre mois de cohabitation dans leur pavillon de Villemagne-l’Argentière, dans l’Hérault, Abderrahmane Khalid a tué sa femme à coups de bêche. Il s’agit de l’un des 121 féminicides recensés en 2018.
La cour d’assises de l’Hérault va avoir à juger à partir de ce mercredi, et jusqu’à vendredi, un homme âgé aujourd’hui de 83 ans, atteint de surdité.
« Peu importe l’âge, il s’agit d’un cas typique de féminicide », estime Me Hervé Gerbi, avocat de deux soeurs de la victime.
« Cas type de féminicide »
Ce soir du 2 août 2018, une énième dispute éclate entre Abderrahmane Khalid et Akila Cherrad. En cause: une tache retrouvée sur les draps dans le lit occupé par la septuagénaire depuis plusieurs mois. L’homme de près de 79 ans en est persuadé, sa femme a fait venir son amant. S’il change plusieurs fois de version pendant ses auditions devant les gendarmes et la juge d’instruction concernant la suite, le quasi octogénaire reconnaît avoir attrapé une bêche qui se trouvait dans le couloir et avoir frappé sa femme avec alors qu’elle se trouvait au sous-sol de leur maison.
En une vingtaine de secondes, Abderrahmane Khalid assène « au moins une quarantaine » de coups à son épouse, écrit le médecin légiste. Les trois-quarts des coups ont été portés quand la septuagénaire était au sol. Des coups portés à la tête et au visage mais aussi au niveau de son pubis. La victime a tenté de se défendre, comme l’attestent les lésions qu’elles présentent à l’avant-bras. Mais le fait qu’elle portait des tongs au moment des faits et un bras en écharpe, restes de violences subies quelques jours plus tôt, l’ont empêché de s’enfuir.
Les « 14 rayures » sur le côté du congélateur, « assez profondes et orientées de haut en bas (…) toutes en direction de la tête de la victime » attestent du déferlement de violence subi par la septuagénaire. « Ils pourraient s’agir des traces laissées par la partie métallique de la bêche lors des différents coups portés à la tête », écrivent les techniciens en identification criminelle dans leur rapport.
« Climat exécrable »
Abderrahmane Khalid et Akila Cherrad se sont mariés en 1964. Ensemble, ils ont eu trois enfants, trois filles. Lui était chauffeur pour une coopérative de pharmacies, elle préparatrice dans un laboratoire. En 1983, elle le soupçonne d’avoir eu une relation extra conjugale, ce qu’il a toujours nié. Le couple reste ensemble mais 40 ans plus tard, ce soupçon d’adultère n’est toujours pas digéré, justifiant d’ailleurs la demande de divorce déposée en avril 2018 par Akila Cherrad.
« Forte personnalité », la septuagénaire est décrite comme ayant pris toutes les grandes décisions de la famille et assumant toutes les tâches du foyer. Des faits de violences conjugales sont également relatés par des témoins entendus dans le cadre de l’instruction. Des marques de coups qu’Akila Cherrad cachait à ses proches, témoigne l’une de ses filles. « Comme dans toutes ces affaires, la violence interne au sein du couple n’est pas partagée avec l’extérieur », estime une source proche du dossier.
La violence est montée crescendo en même temps que la tension depuis l’annonce de la demande de divorce. Akila Cherrad a changé ses habitudes, elle s’est inscrite à des cours d’anglais et d’informatique. Elle faisait des joggings avec sa voisine. ↕ ce moment-là, Abderrahmane Khalid est persuadé que sa femme à un amant, se disant victime des railleries des habitants du village. La septuagénaire décrit à sa fille installée aux Etats-Unis un « climat exécrable ». Le 25 juin 2018, elle porte plainte pour harcèlement, le 30 juillet, pour des violences.
« C’est un malin qui peut devenir mauvais, je suis sur mes gardes », écrit la victime le jour même de sa mort.
Une conception ancienne du couple
Abderrahmane Khalid supportait mal l’émancipation de sa femme qui « constituait pour lui des repères et une fonction vitale dans son organisation psychique », note le psychologue qui l’a expertisé. L’octogénaire a une conception ancienne du couple, avec « la femme à l’intérieur et l’homme à l’extérieur ». Lui qui s’est toujours reposé sur sa femme au quotidien. Dans ses mails, Akila Cherrad évoque un « incapable ».
« Ce qui lui manque le plus c’est la bouffe et bobonne », s’énerve-t-elle avec colère dans ces derniers échanges avec sa fille.
Les insultes fusent dans le couple. L’enquêteur de personnalité qui a rencontré le mari évoque d’ailleurs « un homme dévalorisé ». Sa surdité a, selon les experts qui l’ont examiné, développé chez lui un sentiment de persécution et de paranoïa. Il est d’ailleurs toujours persuadé que sa femme le trompait, malgré des investigations qui prouvent le contraire.
« Le contexte a déclenché un état d’exaltation (…) responsable d’un moment de dépersonnalisation partielle et provisoire », conclut l’expert psychiatrique qui note que « l’apparition de problèmes de santé et l’évolution du comportement de son épouse se montrant plus indépendante » sont des « facteurs de déstabilisation ».
Du côté des parties civiles, on alerte sur cette analyse des experts. « Ce procès va s’ouvrir avec l’idée que le contexte justifie un passage à l’acte, cela me paraît dangereux et révoltant », prévient Me Hervé Gerbi. Contactée, l’avocate de l’accusé n’a pas répondu à nos sollicitations.
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