We have a ghost, et venez le voir sur YouTube

La famille Presley s’installe dans une nouvelle maison. Elle ne sait pas qu’il y a déjà un occupant, sans droit ni titre qui y vit : un fantôme.

Vive YouTube !

Kevin n’est pas très heureux de s’installer dans une nouvelle maison, une nouvelle ville et de devoir s’intégrer dans un nouveau lycée. D’un naturel timide, contrairement à son frère Fulton, il ne vit pas très bien cette situation. La famille est du genre cool et ouverte, au point où le grand frère fait son « shopping » sur Tinder pendant une soirée en famille.

Après l’emménagement, il fait un tour dans le grenier et tombe nez à nez avec un fantôme : Ernest. Comme 99 % de la population équipée d’un smartphone, son premier réflexe est de filmer cette entité. Malheureusement, son père et son frère tombent sur la vidéo. Que font-ils ? Bingo ! Ils la mettent en ligne sur YouTube, au grand désarroi de Kevin. Objectif : se faire beaucoup d’argent.

Le père est à la recherche d’un « bon coup » et cette entité tombée du ciel est une bénédiction pour lui. Du jour au lendemain, il se transforme en influenceur, sans réellement se préoccuper de ce que pourrait subir sa famille. Cela nous ramène aux débats actuels sur les parents qui utilisent leurs enfants dans leurs différentes publications sur les réseaux sociaux. Évidemment, dans ce film, il est question d’un fantôme et non d’un enfant en bas âge. Néanmoins, on ne peut que désespérer de voir des parents, surtout dans nos sociétés dites civilisées, utiliser leurs enfants comme de vulgaires faire-valoir.

Emballement médiatique

Dans le film, il y a un passage très amusant sur l’emballement médiatique. Une fois qu’il a été conclu que l’entité existait bien et que les vidéos n’étaient pas truquées, tout le monde s’enflamme. Sont ainsi croqués les pseudo-activistes de TikTok qui mettent en avant les droits à l’image du fantôme, son droit à la vie privée, les racistes qui disent aux fantômes de retourner chez eux — ceux qui aiment les films d’entités vont rire pendant trois jours — les hystériques qui disent qu’elles veulent qu’Ernest leur fasse un bébé, les éditorialistes des médias qui délirent aussi, etc.

Bizarrement, le seul qui semble vaguement s’interroger sur la raison « d’être » d’Ernest est Kevin et son amie Joy. Cela peut paraître caricatural, mais c’est tellement révélateur de notre époque. Vous rappelez-vous de l’histoire de la famille de squatteurs, couverte par Le Parisien ? Tout le monde s’était jeté sur cette histoire, sans retenue, sans vérification, sans confrontation. Un bel exemple de désastre journalistique, avec des conséquences très réelles. Les internautes, les éditorialistes, les politiques, bref, la moitié de la France a sauté à pieds joints dans cette imposture. De l’extérieur, on avait l’impression que c’était à celui qui arriverait à dire la plus grosse bêtise.

Ce qui était un épiphénomène il y a encore quelques années est devenu la norme. La question est : pourquoi ? Pas pour les médias ou les politiques, là, on voit très bien pourquoi ils se jettent sur n’importe quoi. Même chose pour les influenceurs. La question concerne plutôt les « simples » individus. À quel moment a-t-on glissé ? Ici, on parle d’une histoire de fantôme, mais, dans la réalité, tout le monde a l’air d’avoir un avis sur tout. Dire « je ne sais pas » est devenu une anomalie et répondre « je m’en fiche » semble valoir l’ostracisme.

Une histoire de contrôle ?

Et si cette overdose d’opinions cachait une forme de névrose de contrôle ? Un être humain normalement constitué ne peut pas avoir des connaissances sur tout, lui permettant de donner un avis sur tout. Certaines mauvaises langues diront qu’on peut parfaitement donner son avis sur des sujets qu’on ne maîtrise pas, c’est même pour cela qu’on a inventé Twitch.

Au-delà du sarcasme gratuit, abstraction faite de l’économie de l’attention et du schéma de rentabilité des réseaux sociaux, qu’est-ce qui pousse les individus à s’exprimer à tort et à travers sur tout et n’importe quoi ? Est-ce le signe d’une forme de réappropriation de soi ? Moins on contrôle notre existence dans le monde réel et plus on veut exister dans le monde numérique ? Est-ce une tentative désespérée de laisser une trace dans le monde après notre disparition ? Que quelqu’un tombe sur un tweet nerveux ou une vidéo et se dise « cette personne a existé » ?

Ou est-ce une peur du vide et du néant ? Est-ce qu’il y a une part de notre conscience qui meurt si on ne réagit pas immédiatement à une « information » ? A-t-on besoin de se sentir à ce point concerné par tout et n’importe quoi ? On peut évidemment être touché par certaines situations et vouloir, par empathie, exprimer son soutien. Mais, quand le message se transforme en autre chose, notamment en raison de sa visibilité et de sa publicité, ce n’est plus de l’empathie. Ce délire à ciel ouvert des réseaux sociaux ferait presque passer Briarcliff pour une maison de repos apaisante et silencieuse. On parle beaucoup de hiérarchisation de l’information, mais, en réalité, c’est beaucoup plus simple qu’on ne pourrait le penser. Cette information me concerne-t-elle ? Cette information concerne-t-elle un domaine où j’ai suffisamment de connaissance pour ne pas passer pour un âne ? Le commentaire ou la réaction que je pourrais faire en lien avec cette information, est-il de nature à apporter un éclairage pertinent ? Si vous répondez non à l’une de ces questions, contentez-vous de passer votre chemin.

We have a ghost est un film adorable de fantôme, dans le même esprit que Casper ou Beetlejuice. Cela peut se regarder avec des enfants. Il n’y a pas de scène horrifique. En dehors de la thématique, on ne comprend pas vraiment pourquoi il a été classé en horreur par Netflix, mais c’est une jolie découverte.  

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