Habituée à des échanges plus feutrés, la Commission des affaires économiques du Sénat a connu un moment de vive tension ce mercredi 22 mars. Pris à parti par le sénateur Patrick Chaize, Xavier Niel a haussé le ton jusqu’à menacer de partir après seulement trois-quarts d’heure d’audition.
Le président-fondateur d’Iliad, maison mère de Free, avait pourtant commencé sereinement son intervention en rappelant les bienfaits de l’ouverture de la concurrence du initiée en France en 1998. La libéralisation du marché des télécoms a permis de faire émerger trois opérateurs alternatifs à l’acteur historique, Orange, dont Free, le dernier entrant.
25 ans après, Iliad revendique, avec près de 46 millions d’abonnés en France mais aussi en Italie et en Pologne, la place de sixième opérateur européen. En 2022, le groupe a réalisé un chiffre d’affaires de 8,4 milliards d’euros porté par une croissance organique pro forma de 6,9 %.
Des tarifs parmi les plus bas d’Europe
La présence inédite de quatre opérateurs sur le sol national permet à la France de bénéficier des tarifs en téléphonie fixe et mobile parmi les plus bas en Europe et même dans le monde. « A pouvoir d’achat équivalent, les Etats-Unis pratiquent des prix 3 à 4 fois plus élevés », a fait observer Xavier Niel. Connu pour sa politique tarifaire particulièrement agressive, Free n’est pas étranger à cette modération.
Le trublion des télécoms a ensuite rappelé que son groupe avait un impact positif sur l’économie française. Deuxième employeur du secteur derrière Orange, avec plus de 10 000 emplois, directs en France, il réinvestit environ 25 % de son chiffre d’affaires dans ses réseaux, après être monté jusqu’à 30 % les années antérieures.
@milliardaire_inspiration comment il l’a éteint 😵 #pouvoirdachat #inflation #fyp #pourtoi ♬ Trap Money so Big (Remix) – Iqbal12
Endettés, les opérateurs ont dû vendre leurs actifs – les antennes, les pylônes – à des TowerCo pour libérer du cash et maintenir leurs investissements. Des investissements qui sont loin d’être achevés puisqu’il s’agit maintenant de financer la généralisation de la couverture de la fibre et de la 5G sur tout le territoire tout en améliorant la résilience des réseaux existants.
Resserrer le calendrier de fermeture du réseau cuivre
Le cadre réglementaire français compromettrait toutefois cet avenir radieux. Xavier Niel a tout d’abord fustigé le calendrier de la fermeture du réseau cuivre qu’il juge trop étendu. Son extinction est prévue en 2030 pour une fin de souscription des offres commerciales en ADSL dès janvier 2026.
Le patron de Free propose d’accélérer le tempo. Selon lui, c’est une erreur que de laisser 5 ans entre l’annonce de la fin du cuivre dans une zone et son arrêt effectif. Il propose de ramener ce délai à un an, les années supplémentaires n’apportant, à ses yeux, « rien de plus ».
Sur un territoire donné, « 75 à 80 % des personnes éligibles à la fibre optique vont spontanément prendre un abonnement. Ils comprennent tout l’intérêt de basculer de l’ADSL à la fibre. A côté, il y a une dizaine de pourcents de foyers qu’il faut convaincre en faisant preuve de pédagogie. Enfin, il reste de 10 à 15 % d’irréductibles. L’ADSL marche et ils ne veulent pas en changer. »
Les « irréductibles » de l’ADSL
Si la fermeture du cuivre n’intervient que dans cinq ans, ces « irréductibles » attendront, selon Xavier Niel, la fin de l’échéance. « Tant qu’on ne les contraint pas, ils ne migreront pas. La fin des offres commerciales n’a aucun impact sur eux. » Qu’est-ce qui nous empêchent d’éteindre rapidement des grandes villes ?, interroge-t-il tout en évoquant des expérimentations dans des villes petites et moyennes, dont Lévis-Saint-Nom dans les Yvelines. « Ça marche très bien. »
Tout en posant la question, la capitaine d’industrie a déjà la réponse : le tarif du dégroupage. Ce prix que paient les trois opérateurs alternatifs – SFR, Bouygues Telecom et Free – à Orange pour accéder à son réseau cuivre constitue pour ce dernier « une rente de situation ».
Une rente que l’opérateur historique aurait d’autant plus intérêt à maintenir qu’une hausse de de tarif de dégroupage est envisagé par l’Arcep, l’autorité de régulation du secteur des télécoms. Pour Xavier Niel, rien ne justifie cette augmentation. « Ce n’est pas en donnant plus de recettes à Orange qu’on l’incitera à accélérer la fermeture du cuivre. »
« L’Arcep se couche devant Orange »
Le dirigeant fait, par ailleurs, remarquer qu’Orange s’est constitué une clientèle captive en vendant ses abonnements ADSL dix euros moins cher que la fibre (19,99 euros contre 29,99 euros par mois au catalogue de Sosh, la marque low-cost d’Orange). « En augmentant le tarif de dégroupage, on donne des parts de marché à Orange », en conclut Xavier Niel qui estime que l’Arcep est « complément acquise à Orange et se couche devant Orange ».
« Autoriser une dérégulation sur ces zones est une erreur, poursuit-il. L’Arcep perdrait tout pouvoir d’action sur Orange qui pourrait décider de garder le réseau cuivre plus longtemps, tout en conservant un monopole de fait sur ces zones. Aucun des pays en Europe n’a augmenté ses tarifs de dégroupage. »
Une imposition « inéquitable »
Xavier Niel s’en est pris ensuite à une autre de ses marottes : la
fiscalité. « Avec l’énergie, les télécoms est certainement le secteur le
plus surtaxé de ce pays. C’est une spécialité française que de taxer les
télécoms. » Parmi les taxes sectorielles, il en pointe une
particulièrement « insupportable et injuste » : l’Ifer.
Collectée au profit des collectivité territoriales, cette Imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (Ifer) est indexée sur le nombre d’antennes et de fréquences émises. « Plus un opérateur déploie ses réseaux et on augmente sa capacité et plus cette taxe augmente », résume Xavier Niel.
Avec le déploiement de la 5G, l’Ifer devrait augmenter fortement passant de 270 millions d’euros en 2022 à 500 millions en 2027. Alors que le Gouvernement promet depuis trois ans de la réformer, cette imposition serait « inéquitable » car ne s’appliquant pas de la même manière à tous les opérateurs. »
« Ramené à son chiffre d’affaires, Free paie deux fois plus d’Ifer que Bouygues Telecom et SFR et cela sera trois fois plus en 2027 », s’étrangle Xavier Niel notantque les deux opérateurs mutualisant leurs réseaux (RAN-sharing) partagent le coût de cette taxe. A défaut de voir supprimer l’Ifer, le patron de Free préconise un plafonnement de cette taxe, voire son remplacement par une taxe sur le chiffre d’affaires.
Pour un New Deal 2
S’il n’aime pas les taxes, Xavier Niel apprécie, en revanche, les plans de soutien à la filière. Il souhaiterait ainsi voir reconduit le « New Deal » mobile. Initié en 2018 par l’Arcep et le Gouvernement ce plan vise accélérer la couverture mobile des territoires.
En contrepartie de financements publics, les opérateurs s’engagent chacun à déployer 5 000 nouveaux sites mobiles d’ici 2026, à raison de 600 à 800 sites par an dans les zones identifiées par les pouvoirs publics et les collectivités territoriales. A mi-parcours, Iliad a déjà déployé 2 300 sites mobiles.
Pour donner de la visibilité aux acteurs de la filière, Xavier Niel propose donc un New Deal 2 afin de couvrir les dernières zones blanches et grises. Ce qui a fait bondir le sénateur Patrick Chaize, par ailleurs, président dAvicca, association des collectivités engagées dans le numérique.
Passe d’armes entre Xavier Niel et un sénateur
Alors que le coût du New Deal s’élève, selon l’élu, entre 3 et 5 milliards, il se dit « plus que contre ce New New Deal » qui qualifie de « malhonnêteté ». L’Avicca et InfraNum, la fédération regroupant tous les acteurs de la chaîne de la fibre optique en France, font, eux, la promotion d’un « Good Deal » du numérique, un plan financé pour tout ou partie par le surcroit attendu des recettes de l’Ifer.
Des visions difficilement réconciliables et qui ont donc donné lieu à cet échange particulièrement tendu entre le sénateur et Xavier Niel. Le premier demandant au second si les prix agressifs pratiqués par Free étaient tenables dans la durée. Le fondateur d’Iliad a alors eu beau jeu de s’insurger rappelant qu’il a gelé ses tarifs alors que tous ses concurrents ont augmenté les leurs, participant à son niveau à la lutte contre l’inflation. On retrouve cette passe d’armes dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux.
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