Scribe: la Cour des comptes étrille la direction du projet



L’échec du projet Scribe n’est pas une nouveauté, mais « l’audit flash » de la Cour des comptes vient livrer de nouveaux détails. Le projet Scribe était destiné à développer un nouveau logiciel d’enregistrement des plaintes, baptisé LRPPN4, à destination de la police et de la gendarmerie nationale. Débuté en décembre 2015, Scribe a été entravé selon la Cour des Comptes « depuis ses débuts par une absence de cadrage et une formalisation très insuffisante de l’expression des besoins, ainsi que par une absence de contrôle à tous les niveaux, en particulier sur le prestataire extérieur retenu. »

Thesee, seul survivant du naufrage

Le bilan est chargé : la Cour des comptes estime la facture totale à 13,28 M€ de dépenses entre 2016 et 2022, dont « 8,66 M€ de prestations externes et 4,62 M€ de dépenses de personnel interne à l’administration. »

Des sommes conséquentes ont donc été mises en œuvre, pour un résultat final difficile à estimer. La Dinum, qui a accompagné le projet, estime ainsi ne pas être en mesure de « déterminer quelle était la part réutilisable des prestations réalisées dans le cadre du projet Scribe. » Seule réussite du projet : la plateforme de plainte en ligne Thesee, qui s’est ouvert au public le 15 mars 2022. Le rapport de la cour des comptes indique que ce projet a bénéficié d’une maîtrise d’ouvrage distincte de celle du logiciel d’enregistrement des plaintes, ce qui ne l’a pas empêché d’accuser un certain retard avant sa mise en œuvre.

Les gendarmes quittent le navire

Dès les premières heures du projet, celui ci a rencontré une difficulté majeure signalée par la cour des comptes : initialement prévu comme un logiciel commun à la gendarmerie et à la police nationale, la gendarmerie a rapidement déserté le projet en préférant se rabattre sur son outil d’enregistrement développé en interne, LRPGN, sans que les raisons de ce changement de braquet ne soient explicitées. « Le contrôle de la Cour n’a pas permis d’identifier les motifs de la décision prise en novembre 2016 par la DGGN d’y renoncer. »

Si les raisons de ce changement d’approche ne sont pas claires aux yeux de la Cour des Comptes, ses effets le sont un peu mieux. « Le choix fait en novembre 2016 par la gendarmerie nationale conduit à ce que de nombreuses fonctionnalités font l’objet de travaux conduits en doublon » écrit ainsi la cour des comptes, avant d’ajouter que l’équipe de maîtrise d’ouvrage, maintenant placée uniquement sous l’égide de la police nationale, a été réduite «  à la portion congrue », à savoir un chef de projet et deux agents. Outre ces premiers écueils, la Cour des Comptes estime que le départ de la gendarmerie a également provoqué une réduction des capacités de pilotage ainsi que l’ouverture d’un nouveau chantier visant à assurer l’interconnexion du logiciel avec les différentes solutions. Comme le résume le rapport : « L’absence de décision initiale portée par l’autorité politique en faveur du développement d’un outil commun entre les deux forces est regrettable. »

Des départs à la chaîne


A partir de 2016, le projet fait face à de nombreuses difficultés de gouvernance, notamment les départs successifs des chefs de projets : « Entre 2016 et 2021, trois chefs de projet – tous trois commissaires de police – se sont succédé » indique ainsi le rapport de la cour des comptes. « Le remplacement d’une grande partie de l’équipe de Capgemini, intervenu en août 2017 à la demande du nouveau chef de projet technique, puis le départ de la première chef de projet, en mai 2018, ont également perturbé la réalisation du programme » poursuit la cour des comptes, qui indique que le projet est néanmoins parvenu à atteindre « un début de reprise en main » entre juillet 2018 et octobre 2019 à la faveur d’un second chef de projet. En octobre 2019, la Dinum est saisie pour rendre un avis sur le projet (« avec trois ans de retard » précisent les auteurs du rapport) et fait part de ses inquiétudes sur le planning et le budget prévisionnel du projet.

Une mission de sécurisation du projet est lancée, ainsi qu’un nouveau marché permettant un meilleur contrôle du prestataire, la société Capgemini. Mais la Cour des comptes estime que les relations de travail entre la direction technique du projet et le prestataire se sont tendues à cette période. En mars 2021, un rapport interne de Capgemini estime « impossible » de poursuivre le développement du projet, et celui ci est gelé avant d’être finalement abandonné à l’automne 2021.

Et un pilotage éclaté 

Sur toute la période de développement, la Cour des comptes déplore « un pilotage éclaté du projet », celle ci étant partagé entre un chef de projet rattaché au cabinet du directeur de la police nationale, un chef de projet technique rattaché au sein du Service des technologies et des systèmes d’information de la sécurité intérieure et enfin de la direction du numérique du ministère de l’intérieur chargée du suivi budgétaire depuis 2020. À cela s’ajoute plusieurs prestataires externes impliqués dans le projet, une multiplication des décisionnaires ayant occasionné « une dilution des responsabilités entre les différentes parties prenantes. »

Une fois le naufrage acté, il va néanmoins falloir aller de l’avant. Une mission confiée en janvier 2022 à la Dinum a conduit le ministère de l’intérieur à choisir de relancer le développement d’un logiciel d’enregistrement des procédures spécifiques à la police, mais en gardant à l’esprit une possible convergence avec le logiciel actuellement déployé par la gendarmerie. « La Cour recommande que le pilotage du projet par le ministère soit renforcé par le recours à des profils expérimentés, et estime que la reprise de travaux communs entre la police et la gendarmerie s’impose comme un objectif prioritaire. »

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