Mercredi soir 10 mai 2023, France 2 rediffusait, en première partie de soirée, un film français sur le revenge porn : Mise à nu. On vous explique pourquoi vous devez le voir, et c’est ici.
Tous concerné
Le revenge porn fait depuis des année les gros titres, avec l’amplification sur les réseaux sociaux. Enormément de films et de documentaires en parlent. Mais, tous se brisent sur un écueil. Ils ciblent ou s’adressent principalement à des adolescents ou de très jeunes adultes. Le très bon point — et c’est pour ça que je l’ai regardé — de Mise à nu est qu’il s’agit d’adultes quadragénaires.
Il ne s’agit pas du tout ici de personnes totalement accros aux réseaux sociaux, qui se filment en permanence, se photographient partout ou étalent leurs états d’âme en continu. C’est d’ailleurs souvent ce qui est reproché aux gens qui se plaignent de méfaits sur les réseaux sociaux « vous n’avez qu’à pas y être ». Ici, c’est une mère de famille, divorcée, qui démarre une relation avec le libraire installé en face de son restaurant. L’autre point fort est l’identification. En anglais, on parle de boy ou girl next door.
Les acteurs principaux pourraient être vos voisins de palier et c’est ce qui donne beaucoup de justesse au film. D’ailleurs, le type — Vincent Marsac — n’a pas l’air « physiquement » dangereux. De prime abord, il a juste l’air gluant, comme tous les types désespérés. Mais, au pire, on le trouve brave, comme un labrador, le côté adorable en moins. Quant à Sophie, ce n’est pas non plus une beauté fatale sur laquelle tous les hommes se retournent. C’est une femme parfaitement ordinaire.
Le film s’ouvre avec un « avertissement » « inspiré de faits réels ». Il convient de mettre en garde le lecteur : en fait, c’est un film qui est documenté. Les scénaristes américains le font régulièrement : ils puisent leur inspiration dans des histoires qu’ils trouvent dans la presse et en font des films. Ici, il s’agit d’un patchwork d’évènements et d’histoires, mais l’histoire en elle-même n’est pas réelle.
Isolement social
L’intrigue : Sophie a une liaison avec Vincent. Ce dernier s’avère toxique — vous comprendrez en regardant le film — avec la survenue de signaux faibles. Sophie décide de rompre la relation. Pour se venger, Vincent installe un logiciel espion dans son téléphone, publie sur son compte Facebook (le compte de Sophie) une vidéo la mettant en scène en train d’avoir une relation sexuelle. La suite va crescendo.
Au début, tout le monde tourne le dos à Sophie. Sa meilleure amie, ses parents, ses enfants, son ex-mari, elle est vraiment seule. Pourtant, dès le départ, elle a les bons réflexes. Le type devient toxique, elle rompt. Elle découvre les vidéos, elle va au commissariat et va porter plainte. Elle doit presque batailler avec le policier pour le faire. Le plus agaçant est la déposition de ce dernier à la barre : il dit qu’à l’époque, on ne savait pas ce que c’était le revenge porn. Si l’action du film se passait en 2010, on aurait pu y croire. Sauf que l’action démarre en 2020 et oui, en 2020, tout le savait ce qu’était le revenge porn.
La déconnexion entre la situation et l’appareil judiciaire est totale et très bien illustrée. Les plaintes de Sophie finissent classées sans suite, la hiérarchie du policier lui demande de faire autre chose. Seule l’association tente de l’aider, mais on concède qu’elle le fait mal et on va vous expliquer pourquoi.
L’association fait des captures d’écran des sites où les vidéos de Sophie ont été mises en ligne, contactent les sites un par un et envoient un message pour demander la suppression en joignant la pièce d’identité. Ne faites jamais cela. Tout d’abord, si jamais une telle chose vous arrive, prenez un avocat et suivez la procédure que lui vous indiquera. Oui, vous pouvez être aidé, y compris financièrement. Contactez le Conseil National des Barreaux. Les captures d’écran, pour être recevables devant la justice, doivent être faites par des huissiers, selon une procédure spécifique. Enfin, n’envoyez jamais votre pièce d’identité. On pardonnera au film cette grosse erreur, d’autant qu’elle permet de montrer à quel point le revenge porn est un abyme sans fond.
Petites incohérences
Les avocats pénalistes qui ont regardé le film n’ont pas fait de commentaires sur Twitter. Ou alors, je suis passée à côté. Certains passages semblent incohérents. Sophie est jugée par une cour d’assises et finit par être condamnée à cinq d’emprisonnement. Ayant exécuté deux ans en détention préventive, elle ressort « libre ». On laissera les avocats pénalistes dire le droit sur ce point, mais cela ne paraît pas cohérent.
Toujours sur le plan juridique, pendant le procès, il y a l’arrivée d’un témoin surprise, par visioconférence puis le témoignage de la nouvelle compagne de Vincent, qui produit devant la cour, une clef USB, avec des éléments de preuve. On a aussi l’avocat qui installe un logiciel espion sur le téléphone de l’avocate de la partie adverse en pleine audience. Ce ne sont pas des incohérences trop méchantes, dans le sens où cela ne dénature pas le propos principal, à savoir que le revenge porn démolit des vies.
Sur la partie informatique — on est quand même sur ZDNet — il y a un point qui a retenu notre attention. Vincent a installé un logiciel espion sur le téléphone de Sophie, pour prendre le contrôle de son appareil. Or, le téléphone en question est un Apple. On n’ira pas jusqu’à dire que les iPhone ne peuvent pas être piratés, mais il faut d’abord les jailbreaker pour installer des spywares. Dans le film, Vincent arrive à garder le téléphone de Sophie quelques heures. La fenêtre temporelle est crédible, si Vincent a le code de déverrouillage du téléphone. Encore une fois, cela reste un film grand public et à notre grand regret, tout le monde ne lit pas ZDNet au quotidien pour repérer ce type d’incohérences.
On pardonne les petites incohérences relevées ici et là. Car, Mise à nu est un bon film. D’une part, il rappelle que tout le monde peut être victime de revenge porn, y compris les personnes qui ne sont pas des adolescents. Il montre aussi une certaine bienveillance ou un dédain pour ce sujet par les décideurs publics. Au regard des dégâts provoqués — certaines scènes du film sont très dures — les peines paraissent assez légères et la police n’a pas les moyens de travailler correctement. Surtout, ce film est humain. Dans l’absolu, tous les films sont humains, mais le scénario montre que Sophie est vraiment poussée à bout et en un sens, ça fait du bien de le voir à l’écran, dans un autre genre de films que le film d’horreur. Enfin, ne serait-ce que parce qu’il a donné lieu à trois pages de notes manuscrites durant le visionnage, ça vaut le coup de le voir.
Mise à nu est disponible en replay sur France TV et on vous le recommande vraiment.
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