Par le jeu des algorithmes de Twitter, je suis tombée sur la vidéo YouTube de Magali Berdah, qui ressuscite sa chaîne. Vous n’êtes pas sans savoir que cette dernière fait l’objet d’un harcèlement en ligne constant, qui dépasse de très loin tout ce qu’on avait pu voir à ce jour. Si on peut et on doit condamner ce harcèlement et qu’on lui souhaite que cela s’arrête rapidement, sa vidéo interroge.
Paradoxe en vidéo
Le premier point bizarre de la vidéo est son montage. Il est désagréable à l’œil, au point que j’ai tout simplement laissé le son, mais changé de fenêtre. Le deuxième point est le flot continu de larmes. Je ne suis pas à l’aise devant quelqu’un qui pleure. Ou plus précisément, devant quelqu’un qui semble en faire trop. Comme on voit qu’il s’agit d’une vidéo montée — non pas que ça soit répréhensible en soi — on a l’impression que ce déluge de larmes est fait pour toucher une corde sensible. En un mot comme en cent, cela sonne faux. On n’y croit pas. Pourtant, on les voit, les messages orduriers et haineux, on les a sous les yeux, sans même les chercher. J’ai arrêté de compter le nombre de fois où Magali Berdah était en top trending Twitter. Pendant une période, c’était presque quotidien. Cette femme est devenue un punching-ball numérique.
Mettons de côté les pleurs et intéressons-nous au discours en lui-même. À plusieurs reprises, Magali Berdah répète « ma vérité », « la vérité », etc. Elle utilise le même champ lexical et c’est l’inverse qui se produit : plus elle parle, moins on a envie de la croire, ce qui est humainement assez horrible. À ce niveau, c’est de la dissonance cognitive. On a des éléments matériels, avérés, factuels sous les yeux et on n’arrive pas à éprouver de la compassion. Est-ce la personne ou l’outil qui est en cause ?
En fait, en creusant, peu importe le moyen utilisé : vidéo, tweets, post sur un blog, interview dans la presse, etc. Cela n’aurait rien changé au fond du problème. Magali Berdah est devenue, à son corps défendant, l’incarnation tangible, palpable, proche de ce que les gens ordinaires adorent détester. Premier élément à charge : son passif judiciaire et on a beau claironner qu’on est pour la réhabilitation dans ce pays, moralement, on n’est pas mieux que les Américains. Une personne condamnée reste socialement parlant quelqu’un d’infréquentable en fonction des infractions commises. À une exception : la reconnaissance médiatique.
Reconnaissance de culpabilité
Quand je dois effectuer certaines tâches un peu pénibles, j’aime bien me mettre un fond sonore, souvent un film ou une série d’horreur. En ce moment, j’ai un gros travail d’analyse sur le feu, assez fastidieux, j’ai donc mis American Horror Story, une de mes séries « doudou ». Dans Covent, Delphine Lalorie dit à Queenie « j’ai vu votre monde, où il suffit de passer devant la boîte magique [la télévision] et de reconnaître ses péchés pour être pardonné. » Dans la vidéo, Magali Berdah ne reconnaît jamais avoir commis la moindre faute. Elle se présente comme une victime, de bout en bout. Or, et cela a été documenté, sourcé, vérifié, analysé, certaines choses qui lui sont reprochées, notamment dans le cadre professionnel, sont de son fait. Peut-être que si elle reconnaissait publiquement avoir commis certaines erreurs, les choses se calmeraient et l’opinion publique serait moins haineuse.
Au-delà de ce point, qui reste soumis à discussion contradictoire, autre chose chatouille l’oreille. Elle dit avoir perdu tous ses amis, que tout le monde lui a tourné le dos, etc. Sauf que c’est faux et il suffit de faire un tour sur Google Actualités pour constater qu’elle a encore la faveur des médias, spécifiquement de Cyril Hanouna.
On sait également qu’elle a eu des échanges assez récents avec des ministres et des parlementaires. Elle n’est pas aussi seule qu’elle veut le dire ou le faire croire. Peu importe ce qu’on pense personnellement de Cyril Hanouna : le fait est qu’il est quelqu’un d’influent. Certaines enquêtes montrent que des personnes qui l’ont côtoyé n’acceptent de s’exprimer à son sujet que sous couvert d’anonymat. Si personne ne doute du harcèlement quotidien dont elle est l’objet, car cela est aisément vérifiable, on peut avoir des réserves sur sa définition de l’isolement social.
Faisons abstraction de tout ce qui précède : le point finalement le plus dérangeant dans tout cela est l’argument des enfants. Magali Berdah fait état des menaces qui pèsent sur ces enfants et là encore, redisons que ce n’est pas acceptable ni tolérable. Une petite voix ne peut s’empêcher de murmurer dans l’oreille « tes gosses, si tu y tenais tant que ça, tu n’aurais pas fait autant de conneries ». C’est fou le nombre de personnes qui se rappellent qu’ils ont des enfants à protéger, quand ça les arrange.
Gâchis
Au final, après presque 15 minutes de vidéo, on se demande ce qu’elle cherche. Non seulement on ne la croit pas, mais on en vient à s’interroger sur ses intentions réelles. D’autant que l’affichage de la page YouTube de Magali Berdah ne joue pas en sa faveur : sa dernière vidéo côtoie des vidéos où elle interviewe des personnalités politiques de premier plan. Tout le monde n’est pas journaliste parlementaire, mais elle a reçu plus de contacts bienveillants du monde politique que moi. Il est vrai aussi qu’elle était très utile pour relayer des éléments de langage.
Tout cela donne une impression de gâchis. Avoir autant d’atouts dans son jeu et ne pas les avoir utilisés intelligemment, c’est dommage. À la fin de la vidéo, Magali Berdah indique que d’autres vont suivre, avec des révélations, notamment sur les politiques qui lui ont tourné le dos. Je confesse que j’attends cela avec une grande impatience.
Curieusement, si les réseaux sociaux, surtout Twitter, sont pointés du doigt pour leur gestion absolument calamiteuse de la modération — les tribulations de Twitter sont dignes d’un soap opera — il ne paraît pas y avoir de mise en cause des médias tout court. Toujours sur Google Actualités, on voit un nombre délirant de sites Web de potins qui relaient toutes les âneries et insanités sur Magali Berdah. C’est un écosystème qui semble s’entretenir de lui-même et personne n’a l’air de vouloir arrêter la machine infernale.
Non pas qu’il ne faille pas poursuivre les internautes, spécialement celui qui a décidé de s’acharner contre Magali Berdah, mais pourquoi ne pas également montrer les dents envers les sites Web qui relaient le moindre tweet ou le moindre fait sans intérêt ? C’est d’autant plus bizarre que l’une des vilaines rumeurs touchant Magali Berdah apparaît dans mon propre flux Google Actualités sur mobile. Même sans chercher cette « information », elle me tombe dessus et c’est le plus terrible dans cette histoire : impossible d’y échapper.
Et si vous avez l’impression que j’ai manqué d’inspiration cette semaine, rassurez-vous, ce n’est pas qu’une impression.
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