L’expression « on ne gère bien que ce que l’on mesure » résume à la perfection l’esprit très productiviste qui règne aujourd’hui dans le monde de l’entreprise. Initialement employé pour mesurer le rapport entre les ressources utilisées et les résultats obtenus dans les processus de production industrielle, le concept de productivité s’est progressivement affirmé dans d’autres domaines d’activité, jusqu’à devenir l’un des indicateurs économiques les plus célébrés.
Mais dans le cadre d’une économie désormais fondée sur les services et la numérisation, s’agit-il d’un critère encore approprié pour mesurer les performances des métiers de la connaissance ?
Et si le culte de la productivité était contre-productif ?
La notion de productivité est étroitement liée à l’émergence de la révolution industrielle, quand la mécanisation a permis d’augmenter de plusieurs ordres de grandeur le rendement quotidien des usines et des fermes.
Aujourd’hui, 250 ans après les débuts de l’industrialisation, une nouvelle révolution est en marche : celle du numérique. Mais si l’automatisation presque totale de la production a amené la plupart des travailleurs à se tourner vers les métiers de la connaissance, le concept de productivité reste très ancré dans la culture managerielle. Il faut alors s’interroger sur la pertinence d’une évaluation du travail intellectuel à travers le prisme de la productivité.
Prenons l’exemple d’un écrivain capable d’écrire deux livres médiocres dans le même temps qu’il lui faut pour écrire un très bon livre. Deux livres, c’est deux fois plus de rendement, donc un taux de productivité plus élevé. Cependant, en sachant qu’un bon livre se vend mieux, son éditeur préférera sans doute la qualité à la quantité. Dans ce cas, l’application d’une approche productiviste serait définitivement contre-productive.
La même logique s’applique à l’échelle de l’économie des services et du numérique. Une agence de développement informatique qui travaille à l’amélioration d’une application e-commerce pour l’un de ses clients pourrait décider de mesurer les performances de son équipe sur la base de paramètres exclusivement quantitatifs. Ce qui peut conduire à des incitations perverses. Si cette équipe est récompensée pour la rapidité de livraison et le nombre de modifications apportées au programme, elle sera encouragée à livrer un tas de fonctionnalités mineures qui n’améliorent pas l’expérience d’achat de l’utilisateur final et ne contribuent guère à rendre le produit plus attrayant. Alors qu’elle aurait pu s’investir dans un travail créatif de fond plus long et risqué, mais aussi beaucoup plus satisfaisante pour le client.
Changer de perspective : les outcomes au centre de la réflexion managériale
Si la productivité est depuis toujours un moyen fiable de mesurer les résultats de l’emploi de ressources technologiques et financières, elle n’a jamais été un bon outil de management pour évaluer l’impact des humains. Alors, quelle métrique devrions-nous utiliser à la place ?
On a la réponse à cette question si on accepte de passer d’un modèle basé sur l’efficience à un autre plutôt centré sur l’efficacité. Pour expliquer cela, les anglophones font une différence substantielle entre la notion d’outputs (des résultats immédiatement quantifiables) et celle d’outcomes (des résultats a plus grande échelle, que l’on peut observer sur la durée sur la base d’objectifs prédéfinis).
Par exemple : au lieu de commander à un responsable marketing la publication de cinq articles de blog par mois, il faudrait plutôt lui demander de contribuer à l’augmentation du trafic web, quel que soit le nombre d’articles publiés, et évaluer son travail sur la base du résultat en fonction de cet objectif. L’un des avantages de l’adoption de cette approche réside dans la capacité à stimuler la créativité et l’innovation. Si nous imposons des résultats quantitatifs à court terme, au lieu de fixer un objectif stratégique impactant sur la durée, nous réduisons considérablement les possibilités créatives. Il est donc essentiel de formuler les objectifs en termes d’outcomes, plutôt que d’outputs.
Cette méthode de management est beaucoup plus adaptée au nouveau mode de travail flexible et décentralisé. Il permet de créer des processus fluides et adaptifs, de gérer les ressources de manière plus stratégique, de responsabiliser les collaborateurs, ou encore de créer une dynamique d’équipe transverse.
Bien entendu, les outcomes sont des indicateurs tardifs et il est donc indispensable de savoir reconnaitre les signaux indiquant que la réalisation des objectifs attendus est possible. Voici quelques idées d’actions pratiques à entreprendre :
- Définir un planning par étapes intermédiaires. Planter des jalons avant de démarrer un projet permet de garder le contrôle sur l’avancement des travaux et, si besoin, de les corriger. Atteindre les résultats est toujours agréable mais en cas de retard ou de blocage, le sentiment d’urgence peut également encourager la réflexion créative et pousser les équipes à trouver la bonne solution pour la réalisation des objectifs.
- Mettre en place des boucles de rétroaction. Lors de la réalisation d’un projet, chaque action achevée peut se transformer un input pour améliorer la qualité du travail et avancer dans la réalisation des objectifs. Un exemple typique de boucle de rétroaction est le processus d’écoute client, qui vise à traiter les informations recueillies auprès des clients afin de concevoir des solutions qui répondent mieux à leurs demandes.
- Viser l’amélioration continue. Dans ce contexte, mesurer l’amélioration signifie examiner les taux de croissance ou de réduction. Les pannes de service diminuent-elles au fil du temps ? Le taux d’acquisition de nouveaux clients reste-t-il stable ou s’améliore-t-il d’une année sur l’autre ? Si ces indicateurs s’améliorent, cela signifie que l’on progresse au fur et à mesure. Alors que sur le plan qualitatif, il est conseillé d’organiser des rétrospectives pour réfléchir au travail effectué, en tirer des leçons et les appliquer à l’avenir.
- Veiller au bien-être des collaborateurs. La santé et le bonheur ne sont pas des variables habituellement considérées pour favoriser la productivité. Pourtant, ce sont des ingrédients essentiels pour la qualité du travail et la réalisation des objectifs. Comme indicateurs, par exemple, il est possible d’examiner le nombre de jours de congé planifiés par rapport aux jours de congé non planifiés ou le nombre d’heures hebdomadaires supplémentaires effectuées. Il est important d’établir avec ses collaborateurs un relationnel qui met la personne, plutôt que le projet, au centre, parce que c’est sur cette base qu’on peut construire un environnement de travail propice à la qualité et aux objectifs.
En raison de sa simplicité, l’approche productiviste est séduisante, mais elle n’est plus vraiment adaptée au monde actuel. Ce paradigme aurait déjà dû être changé il y a 20 ans, avec l’essor de la révolution numérique, mais il n’est certainement pas trop tard pour le faire aujourd’hui.
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