Avec un titre comme « Web of Death », on ne pouvait pas ne pas prendre le temps — entre deux séances au Sénat — de regarder cette série documentaire.
Les ancêtres
Le premier épisode est presque touchant. On nous montre des quinquagénaires ou plus, surfant sur un forum dédié aux crimes non résolus. Un cas en particulier attire leur attention et nos forumeurs se mettent en tête de résoudre cette affaire. En l’espèce, il s’agissait d’un gagnant du Loto, qui n’avait plus donné signe de vie depuis des mois.
Nos enquêteurs ont épluché le Web, croisé les informations et ont fini par résoudre l’affaire. Évidemment, en France et plus globalement en Europe, une telle résolution ne serait pas possible, pour deux raisons.
La première est qu’une partie des informations auxquelles les enquêteurs ont eu accès ne sont absolument pas disponibles en ligne. On pense en particulier aux casiers judiciaires. En tant que Français ou Européens, on est extrêmement surpris de voir le nombre de sites de recherche, qui épluchent tous les casiers judiciaires d’une personne. Ils ont également eu accès à des informations financières personnelles, ce qui, en France, est impossible. Ces points relèvent de la vie privée, ce qui donne lieu à des acrobaties intellectuelles concernant les déclarations de patrimoine des députés.
L’autre raison pour laquelle ce type d’enquête citoyenne ne serait pas possible en France tient du phénomène culturel. Aux États-Unis, il est admis que des citoyens puissent aider les forces de l’ordre dans la résolution des crimes et délits. Cela tient beaucoup à l’histoire des États-Unis et aux vigilantes. Vous pourrez en apprendre plus sur ce sujet dans « L’histoire criminelle des États-Unis ». C’est beaucoup moins le cas en France, exception faite de ce qui relève de la criminalité informatique et même dans ce cas de figure, il vaut mieux prendre des précautions.
Risques inhérents à l’exercice
En dehors du « simple » documentaire de Disney +, qui est objectivement de bonne facture, même si on peut déplorer l’absence de doublage, le sujet interroge. Est-il souhaitable que des personnes comme vous et moi se lancent à corps perdu dans des enquêtes de police ? On se moque fréquemment de nos amis de la maréchaussée — plus précisément de leurs syndicats qui ont la subtilité d’un char d’assaut — mais enquêter est un métier, avec des règles. Cela ne peut pas vraiment s’improviser.
Cela peut paraître curieux d’appeler à une certaine réserve sur ce sujet sur un site d’actualité consacré à l’informatique. Et pourtant, les particuliers peuvent faire des erreurs, lourdes de conséquences. On n’est jamais tout-puissant avec un clavier. Un titulaire des forces de l’ordre dispose de prérogatives particulières, lui permettant de démêler le vrai du faux. Bien entendu, il arrive qu’il se trompe.
Mais, dans ce cas, il devra répondre de ses manquements, de même que sa hiérarchie et dans une démocratie bien huilée, l’État devra indemniser le préjudice. Du moins, c’est ainsi que les choses devraient se passer. Dans les faits, on sait parfaitement, notamment en France, que ce n’est pas toujours le cas.
Qu’on soit membre des forces de l’ordre ou enquêteur privé, cela nécessite une formation et on répond à des règles déontologiques. On ne résiste pas non plus à l’envie d’ajouter un élément désagréable : vouloir s’appuyer sur les simples citoyens pour la résolution des crimes et des délits n’est qu’une façon de masquer les coupes budgétaires dans les forces et la justice. Par ailleurs, il existe un cas particulier que nous devons aborder.
Responsabilité collective
C’est peut-être l’une des choses qui est née en même temps que la démocratisation de l’informatique : la chasse aux pédophiles sur le Web. Toutes les séries policières ou presque ont un épisode avec un gus dans son salon, qui se fait passer pour Tiffany, 12 ans, sur des forums pour piéger les pédophiles. Certains groupes informels se sont spécialisés dans la chasse aux pédophiles, notamment en utilisant des techniques d’OSINT : géolocalisation, horodatage, identification des personnes, etc. Cela part d’une bonne intention. Cela n’en reste pas moins malsain.
Même avec les meilleures intentions, on peut faire une erreur et si les meurtriers sont vaguement réhabilités, du moins dans les médias, la personne taxée de pédophile reste marquée à vie. Sans parler du fait que regarder pendant des heures des contenus pédopornographiques, même à des fins d’enquête, n’est pas sans conséquence sur la psyché humaine.
Mais, peut-on réellement blâmer Kévin et Karen, enquêteurs du dimanche ? « L’actualité » récente nous laisse penser qu’en matière de précautions, ils n’ont aucune leçon à recevoir de la part d’une certaine presse. Depuis presque trois semaines, on ne peut pas échapper à l’affaire de l’humoriste qui a pris le volant — alors qu’il n’aurait pas dû. On comprend que ça puisse faire un sujet de 15mn. Mais, on en est au stade où on sait minute par minute toute l’enquête, au point où ça devient parfaitement indécent. On ne parlera pas de la violation du secret de l’instruction ni de la déontologie de certains avocats.
Le déballage autour de cette affaire, qui n’est qu’un banal fait-divers comme il en existe trop, a été nauséeux. Les précautions d’usage, la modération, l’équilibre, rien n’a été respecté et tout le monde semble s’être jeté sur cette histoire avec la même avidité qu’une bande d’hyènes devant un cadavre frais. Dès lors, il est difficile de reprocher aux internautes un manque de réserve quand les personnes qui se posent en exemple n’en font aucunement preuve.
Web of Death est intéressant à regarder, mais, le lecteur ne doit pas perdre de vue que ne sont montrés que les réussites. Les échecs, les erreurs de jugement ou de procédures ne sont pas mis en avant. Web of Death est disponible sur Disney +.
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