Hasard du calendrier, deux reportages sur Elon Musk sortent à dix jours d’intervalle. Le premier a été diffusé par BFM TV, dans son format « Ligne Rouge » et le second sera disponible ce soir dans Envoyé Spécial, sur France 2. Malheureusement, aucun des deux n’est au niveau.
Un travail très scolaire
On ne peut pas dire qu’Elon Musk soit un inconnu du monde de la tech, qu’il s’agisse de la presse spécialisée ou de ceux qui codent. Le grand public a découvert Elon Musk avec Tesla et surtout avec Twitter. En dehors de ces deux éléments, rares – en dehors de la tech – sont ceux capables de situer précisément Elon Musk. D’ailleurs, peut-être que le grand public non-technophile est justement la cible de ces deux reportages.
Des pans entiers de la carrière professionnelle d’Elon Musk sont à peine mentionnés, quand ils ne sont pas carrément oubliés. Pourtant, il suffisait de lire sa fiche Wikipédia pour trouver des éléments intéressants, notamment sa jeunesse, ses parents ou la raison pour laquelle il est allé étudier au Canada, puis aux États-Unis.
Dès lors, les deux reportages sont finalement assez pauvres. Ceux qui appartiennent à la tech, n’apprendront rien et les autres peuvent largement se contenter de lire la fiche Wikipédia. C’est d’autant plus regrettable que les deux équipes ont interviewé quasiment les mêmes personnes. Relevons tout de même le tour de force de France Télévisions qui a réussi à faire parler le père d’Elon Musk.
Ce recyclage d’intervenants est d’autant plus curieux qu’Elon Musk a monté beaucoup de projets et a donc côtoyé énormément de personnes. Où sont passés les autres ?
Casser le mythe
Disons-le ouvertement : cela n’existe pas quelqu’un qui réussit tout seul. Quand une entreprise devient leader dans son domaine, c’est qu’il y a une équipe derrière et cela est valable dans les nouvelles technologies.
On a construit un narratif autour des nerds qui révolutionnaient le monde tout seul dans leur garage. La réalité est qu’il y a toujours eu des gens derrière : soit pour documenter, soutenir au quotidien, gérer l’intendance ou tout simplement apporter des fonds. Dans ses premiers projets, Musk n’était pas seul. Il avait des soutiens, des associés, des salariés. Dans les deux reportages, c’est à peine s’ils sont évoqués.
Ce narratif de l’individu qui révolutionne le monde est néfaste à plus d’un titre. En premier, il oublie l’idée même de collectif, or, pour reprendre des mots à la mode du côté de la rue de l’Université, on ne fait pas société tout seul. Pour paraphraser le roi Arthur dans Kaamelott, si c’est juste pour nos tronches, ça ne sert à rien*.
Par ailleurs, ce narratif est nocif pour les gens travaillant dans la tech. Quelque part, on insinue l’idée que quelqu’un qui n’arriverait pas à tout gérer tout seul, est un incapable, qui ne mérite pas d’exister dans cet univers professionnel. La réalité est très différente : même un indépendant – et je suis très bien placée pour le dire – ne réussit jamais tout seul. Il a des amis, des relations de travail, des confrères, etc.
Génie et mégalo
Revenons sur les deux reportages. Ils posent la même question : Musk est-il un génie ou un mégalomane ? Les deux mon général. D’ailleurs, la question en elle-même n’a que très peu d’intérêt, surtout quand on voit avec quelle légèreté la question de l’attitude d’Elon Musk envers ses subordonnés est abordée.
Ce qui aurait été plus intéressant est d’aborder la dimension politique du personnage. Heureusement pour les Américains, ce dernier ne peut pas se présenter à l’élection présidentielle. Pour autant, il s’immisce dans le débat public, n’hésitant pas à prendre des positions sur tel ou tel sujet. En France, on l’a bien vu se prononcer sur la réforme des retraites. Il participe aussi au conflit en Ukraine et plus récemment, il semble avoir pris fait et cause pour un candidat républicain.
Si on reprend le dossier Twitter, les mêmes choses sont dites, mais, curieusement, le fait qu’Elon Musk soit dans le viseur des autorités américaines en ce qui concerne le financement du réseau social est totalement passé à la trappe, alors même que cela pourrait lui valoir quelques ennuis.
Si la question sous-jacente est « peut-on être un génie et un mégalo ? », elle est sans intérêt. Mettre la focale sur la façon dont il entend occuper l’espace public, en devenant incontournable pour un grand nombre de personnes, est déjà beaucoup plus intéressant, mais certainement plus inconfortable. En effet, cela reviendrait à questionner notre propre rapport à certaines des technologies qu’il a initiées, à commencer par Twitter, mais on pourrait aussi parler de PayPal (bien qu’il ne soit plus dedans) ou de Starlink qui commence à avoir des adeptes dans la France des zones blanches.
Il est assez dommage que les deux reportages soient passés à ce point à côté de leur sujet, alors même que les deux émissions – Ligne Rouge pour la première, Complément d’enquête pour la seconde – sont habituellement de bonne qualité. On va mettre cela sur le compte du sujet et non des équipes. Peut-être que Musk ne « mérite » pas un simple reportage, mais un livre d’enquête.
Vous pourrez regarder Envoyé Spécial ce soir sur France 2 en deuxième partie de soirée et Ligne Rouge en replay sur BFM TV.
*Cela faisait six ans que j’essayais désespérément de caser Kaamelott dans le Zapping Décrypté.
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