Dématérialisation : la tornade blanche a de nouveau frappé !

Un code, puis un autre, puis un manuel et ainsi de suite. La moitié de ma bibliothèque a été vidée pour se retrouver sur le sol.

« Comment tu fais pour tenir durant les débats à l’Assemblée nationale ? » Cette question revient régulièrement. On admettra que les débats en séance publique de la réforme des retraites étaient particulièrement indigestes. La moitié du salon Discord d’Arcadie découvrait la potentielle médiocrité des députés. Réponse : pendant qu’ils « débattent », je fais des travaux ménagers. J’essaie d’éviter l’aspirateur, pour ne pas déclencher une guerre des voisins. Mais, tout le reste peut y passer. Une chance que les débats n’aient pas été prolongés, car j’étais à deux doigts de débarquer chez ma voisine pour nettoyer ses vitres. Elle est de bonne composition, mais j’ai dans l’idée que lui proposer, dans la nuit de vendredi à samedi, à minuit passé, de lui faire les carreaux n’aurait pas été la bienvenue.

L’obsolescence ruineuse des manuels

Mon plus gros problème étant que lorsque je commence, j’ai des difficultés à m’arrêter. Profitant de vacances parlementaires bien méritées, j’ai alterné entre soins de ma personne et ménage dans l’appartement. Mon regard s’est posé sur ma bibliothèque. C’est alors que le drame s’est produit.

Un code, puis un autre, puis un manuel et ainsi de suite. La moitié de ma bibliothèque a été vidée pour se retrouver sur le sol. L’absurdité de la situation m’a sauté à la figure — ainsi que la poussière. Chaque code, chaque manuel, chaque livre d’exercice a coûté au minimum une quarantaine d’euros. À mes pieds gît littéralement un SMIC brut, si ce n’est un salaire médian français. Pourquoi cette situation est-elle absurde ?

J’ai fait mes études supérieures au début des années 2000. Les ordinateurs portables n’étant pas encore la norme en cours, mais, on avait tous un PC avec une connexion Internet à la maison — je parle de mes camarades de faculté. On était pourtant tous obligés d’avoir au moins un code civil à la maison, pour avoir la jurisprudence sous chaque article. Au fil des ans, on a accumulé les codes, les manuels, les livres d’exercice, tous avec une date de péremption. Sans oublier le fait qu’on devait tous se pointer en examen avec le code correspondant à la matière.

Gaspillage ostentatoire sur le dos des étudiants

Vous savez ce qui est encore plus rageant dans tout cela ? On n’était pas noté sur l’exactitude de notre réponse, mais sur le raisonnement. Ce qui revient à dire qu’on pouvait se passer de tout cela pendant au moins la moitié de notre cursus.

J’entends déjà mon rédacteur en chef « d’accord, mais quel rapport avec l’informatique ? ». Le voici : si on avait été équipé informatiquement correctement, tout ce gaspillage, d’argent et de papier, on aurait pu s’en passer. Il aurait suffi qu’on passe nos examens écrits dans des salles informatiques, avec seulement accès à Légifrance, ce qui aurait eu pour vertu supplémentaire de nous apprendre à utiliser l’outil. Quel intérêt de nous faire composer à la main, alors que toutes les personnes qui ont fini leurs études de droit produisent par ordinateur ?

Le plus baroque dans cette histoire est que, contrairement à d’autres matières, le droit change tous les ans — merci le législateur — faisant que si on peut garder certains manuels ou codes pendant quelques années, dix ans plus tard, ils sont devenus totalement obsolètes. Certains de mes manuels de première année parlent du conseiller général. À part les mettre à la poubelle, on ne peut rien en faire. Correction : on m’a fait quelques suggestions de recyclage de mes manuels de droit sur Twitter, mais, ne souhaitant pas attirer d’ennui à qui que ce soit, y compris à moi-même, je me garderai bien de les partager.

Règne de l’immobilisme

On pourrait réellement moderniser les études supérieures et finalement, les rendre plus accessibles, y compris financièrement, si on sortait de certains vieux schémas, qui consiste à faire composer par écrit toute une promotion d’élève, avec des codes. On peut penser que faire défiler les élèves dans des salles informatiques, correctement configurées, risque d’amener à la saturation des locaux et des emplois du temps. Dans ce cas, pourquoi maintenir les oraux, qui ont exactement les mêmes inconvénients ?

Dans la presse généraliste, on retrouve fréquemment le débat sur un nivellement par le bas de l’apprentissage, mais se pose-t-on la question de la méthode ? Pendant mes études de droit, j’ai passé au moins quatre fois finances publiques. J’ai toujours brillamment récolté un 2/20. Si, dès ma première année, un chargé de TD ou un professeur de cours magistral m’avait dit « on est en octobre, tu te poses devant les séances publiques de l’Assemblée nationale pendant le projet de loi de finances pour l’année à venir », j’aurais compris la matière — et je l’aurais validé.

Cette pile de livres symbolise tout ce qui a manqué durant ma scolarité : du bon sens, de la pratique, de l’ingéniosité. On devait nous former à la pratique du droit, mais, nous n’avons jamais été formés à la pratique du droit dans un cadre professionnel, ni aux outils.

Pollution socialement acceptée

Mettons de côté le fait que je m’apprête à jeter à la poubelle du SMIC brut : quid de l’écologie ? On nous embête régulièrement en disant que le numérique est un gros pollueur et qu’il ne faut pas regarder Netflix. Sauf que tous ces livres, que j’ai été dans l’obligation d’acquérir, sont tout autant producteurs de pollution. On a coupé des arbres, on a utilisé de l’encre, on les a acheminés.

Alors qu’une liseuse ou une tablette aurait tout autant fait l’affaire. Évidemment, pas à mon époque, mais, en voyant les étudiants courir derrière des codes au moment des examens, on se rend compte que les choses n’ont pas changé. Que certains professeurs continuent d’imposer l’achat de leurs ouvrages pour la validation des examens. Que les méthodes d’apprentissage n’ont pas évolué. Et que finalement, beaucoup d’étudiants vont se retrouver perdus en sortant de la faculté, tout simplement parce qu’ils n’auront pas été préparés à l’exercice professionnel de la matière pour laquelle ils ont souffert pendant au moins cinq ans.

Rétrospectivement, c’est facile à dire, mais l’impression générale que tout cela me laisse est qu’on est très satisfait de la situation. Avec un peu de bonne volonté, peut-être que les choses s’amélioreront dans quelques années. Sur ces bonnes paroles, je vais continuer mon ménage de printemps, maintenant que la discussion sur la réforme des retraites se poursuit au Sénat.

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