Quelle sera l’empreinte environnementale du numérique en France à l’horizon 2030 et 2050 ? Après avoir dressé, l’an dernier, le bilan carbone actuel, l’Arcep et l’Ademe, respectivement l’autorité de régulation des télécoms et l’agence de la transition écologique, se sont attelés à ce travail prospectif.
Sans surprise, la dette environnementale devrait se creuser dans les années à venir. A horizon 2030, si les usages numériques continuent de progresser au rythme actuel – soit un trafic de données multiplié par six et un nombre d’équipements en hausse de près de 65 % – l’empreinte carbone du numérique en France devrait augmenter de 45% par rapport à 2020 pour atteindre 25 millions de tonnes équivalent CO2 (Mt CO2eq).
A horizon 2050, si rien n’est fait pour réduire l’empreinte environnementale du numérique, celle-ci pourrait cette fois tripler en prenant toujours 2020 comme année de référence. Bien sûr, le numérique permet de réduire les impacts environnementaux d’autre secteurs comme celui des transports avec le télétravail mais la multiplication attendue du nombre d’équipements et, tout particulièrement des objets connectés, aboutit à ce solde négatif.
Pour mesurer ses impacts, le rapport a communément divisé le numérique trois composantes : les équipements des utilisateurs – téléviseurs, smartphones, ordinateurs… -, les centres de données et les infrastructures réseaux, fixes ou mobiles, qui relient les utilisateurs entre eux et aux centres de données, encore appelés datacenters.
La fabrication des terminaux plombe leur bilan carbone
Or, ces trois composantes ne représentent pas le même poids carbone. 79 % de l’empreinte du numérique provient de nos équipements, environ 16 % des centres de données et 5 % des réseaux. Autre idée reçue battue brèche : ce n’est pas tant le temps passé devant les écrans, bien qu’en forte augmentation ces deux dernières décennies, qui pèse le plus dans la balance. Plus que l’utilisation des équipements, et donc leur consommation d’électricité, c’est leur fabrication qui est le principal responsable de leur empreinte carbone à hauteur de 80 %.
« Autrement dit, avant même que nous n’utilisions notre dernier smartphone, téléviseur ou ordinateur flambant neuf, il a déjà produit près de 80 % des émissions de gaz à effet de serre qu’il émettra durant sa (trop courte) vie. » De l’extraction de terres rares à l’assemblage des composants, la fabrication de ces terminaux est, de fait, fortement émettrice en CO2. Leur distribution, pourtant régulièrement accomplie par voie aérienne en complément du transport maritime, paraît en comparaison anecdotique (1 %), note le rapport.
Les smartphones (14,3 %), les téléviseurs (13,7 %), les ordinateurs portables (12,4 %) et fixes (10 %) sont les principaux moteurs des émissions du numérique, devant les tablettes (4,7 %), les petits objets connectés (3,8 %), les imprimantes (3,5 %), les écrans d’ordinateur (3,4 %), les consoles de jeux vidéo (2,6 %) ou les box TV (2 %).
Une empreinte environnementale qui n’a rien de virtuelle
Alors que le numérique « dématérialise » un certain nombre de services, il est aussi « un facteur d’épuisement de certains métaux et minéraux, comme peuvent l’être d’autres industries ». A titre d’exemple, un Français génère, pour ses seuls usages numériques, près de 300 kilos de déchets par an. Un total qui comprend les déchets électriques et électroniques ainsi que les déchets liés à l’extraction de matières premières.
Le rapport de l’Ademe et de de l’Arcep propose plusieurs leviers d’action pour gagner en « sobriété numérique ». Cela passe par une réduction ou tout du moins une stabilisation du nombre d’équipements via leur mutualisation ou le recours à des produits reconditionnés. Il s’agit aussi d’allonger la durée de vie des équipements d’un ou deux ans « grâce à leur meilleure conception, leur meilleure réparabilité, leur recyclage systématique en fin de vie et l’adaptation de leurs fonctionnalités aux besoins réels de l’utilisateur. »
En matière d’éco-conception, l’optimisation du code des sites web et des services numériques et de la gestion des flux de données en limite les impacts énergétiques. Le rapport rappelle aussi certains écogestes comme basculer automatiquement d’un réseau mobile au wifi quand cela est possible. Autre piste : substituer progressivement les équipements les plus gourmands en ressources, comme les téléviseurs au profit des vidéoprojecteurs.
Quatre scénarios possibles
Se basant sur les modèles de société que l’Ademe a conçus dans le cadre de son étude Transition(s) 2050 visant aboutir à la neutralité carbone du pays, le rapport esquisse quatre scénarios prospectifs. Les scénarios « Génération Frugale » et « Coopérations territoriales » soumettent le secteur du numérique, comme le reste de l’économie, à des actions importantes de sobriété.
Les scénarios « Technologies vertes » et « Pari réparateur » font l’hypothèse d’une croissance plus ou moins forte du numérique et comptent sur les effets positifs indirects des nouvelles technologies sur d’autres secteurs d’activité pour compenser la progression de leurs émissions. Par exemple, le concept de bâtiment intelligent (smart building) permet d’optimiser la consommation d’énergie des systèmes de chauffage, de ventilation et de climatisation.
Ces deux derniers scénarios ne devraient pas avoir la faveur des tenants d’un numérique responsable puisqu’ils font augmenter les émissions de CO2 de 183 % et 372 % contre – 45 % et + 32 % pour les deux premiers. Le rapport se conclut en rappelant que pour atteindre l’objectif de l’Accord de Paris en 2050, le numérique doit prendre la part qui lui incombe. Ce qui implique un effort collectif de toutes les parties prenantes : utilisateurs, fabricants de terminaux et d’équipements, fournisseurs de contenus et d’applications, opérateurs de réseaux et de centres de données.
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