“Ce n’est pas possible. Même des équipes de F2 et de F3 font mieux que Ferrari en termes de stratégie et de pit-stops. » La critique est signée Nico Rosberg, champion du monde 2016, sur Sky Sports, après le Grand Prix des Pays-Bas à Zandvoort début septembre. En cause, l’arrêt aux stands à rallonge chez la Scuderia pour Carlos Sainz, piégé par ses mécaniciens pas prêts et à qui il manquait un pneu lors de l’arrivée du pilote sur ses marques.
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— Formula 1 (@F1) September 4, 2022
Avant Zandvoort, il y a eu Monaco, où Ferrari a laissé Red Bull dicter la stratégie et s’est trouvé piégé au jeu des pit-stops. Puis Silverstone, où le stand a mis trop de temps à formuler ses consignes, laissant ses deux pilotes se bagarrer en piste, et n’a pas tenté un double arrêt qui lui tendait les bras. Et que dire de la Hongrie, quand l’équipe a décidé de faire rentrer Charles Leclerc aux stands pour chausser des pneumatiques durs, pourtant inefficaces, contre l’avis de son pilote ? Sans oublier Spa-Francorchamps, où le Monégasque part avec les mauvais pneus en qualifications.
Ferrari possédait pourtant l’une des deux meilleures voitures, et l’un des meilleurs pilotes, du plateau cette saison. Mais Max Verstappen est bel et bien sacré champion du monde avec 113 points d’avance sur coéquipier Sergio Perez et 114 sur Leclerc. Bien aidé par les bâtons que la Scuderia a mis dans ses propres roues.
Les boulettes de Ferrari ne viennent pas d’un manque de préparation. « La stratégie, c’est tout sauf de l’improvisation. Les choix se préparent avant même d’arriver, en se projetant sur le week-end, avec ses caractéristiques propres », décrypte Cyril Abiteboul, l’ancien patron de l’écurie Renault. « Et sur ce plan-là, Ferrari n’est pas moins bien préparé que n’importe qui », assure-t-il. Mais la Scuderia n’est pas non plus n’importe quelle équipe.
Les difficultés stratégiques prennent peut-être source, paradoxalement, dans son succès. En difficulté depuis fin 2019, la Scuderia a réussi à tirer parti du changement de réglementation de 2022 pour construire l’une des meilleures voitures du plateau cette saison. Une progression éclair qui est sans doute allée un peu trop vite.
« Je pense que l’équipe a été déstabilisée au début de la saison par le fait qu’elle avait la voiture la plus rapide », avance Michael Lamonato, qui tient un podcast spécialisé sur les stratégies en Formule 1. Avec un doublé dès le Grand Prix d’ouverture à Bahreïn, un podium pour Charles Leclerc en Arabie Saoudite, et une nouvelle victoire en Australie, les attentes sont rapidement grimpées autour de l’écurie italienne.
« C’est surtout une question de choc pour Ferrari, qui est passé d’une position de ‘challenger’ ces treize, quatorze dernières années, à celle de ‘defender’ en début de saison », abonde Cyril Abiteboul. Avant la première course remportée par le Monégasque, la Scuderia restait sur deux ans et demi sans victoire. Son dernier titre constructeur remonte à 2008, et son dernier champion, Kimi Raikkonen en 2007, n’est même plus sur la grille, parti à la retraite. « On pourrait dire qu’ils ont fait le ‘pire’ début de saison en partant très vite, très haut, ce qui a amené la pression de devoir défendre », ajoute Abiteboul. Et qui dit pression dit erreurs qui s’accumulent.
Toutes ces erreurs ont plombé les ambitions de la Scuderia de peser dans la lutte pour les deux titres, pilote et constructeur. « Les décisions n’ont pas toujours été bonnes, l’exécution n’a pas toujours été bonne, les interventions humaines n’ont pas toujours été bonnes », regrette Michael Lamonato. Ils ont perdu tellement de points à cause de ces mauvaises stratégies et de ces erreurs. »
En tête du championnat des pilotes avec Leclerc jusqu’à la quatrième course de la saison à Imola, Ferrari a ensuite connu une importante baisse de régime. Après avoir pris cinq places sur le podium lors des trois premières courses, le Cheval Cabré n’y est monté que cinq fois sur les six Grands Prix suivants. Les erreurs successives ont gâché des occasions, alors même que l’équipe était bien placée. A Monaco, Charles Leclerc partait en pole position. En Hongrie, il devançait Max Verstappen, gêné par un problème moteur, de sept rangs sur la grille.
Le constat est d’autant plus amer que leurs adversaires n’ont pas connu les mêmes difficultés. « Red Bull et Mercedes sont des machines de guerre », analyse Michael Lamonato. « En face, ce sont deux équipes au-dessus du lot qui ont dominé ces quinze dernières saisons et qui ont appris à gérer le stress et la pression », abonde Cyril Abiteboul. Finalement, Ferrari se retrouve largement distancée par l’écurie autrichienne (165 points de retard), et devance de peu les Flèches d’argent (+67), pourtant sans victoires en 2022.
Mais par rapport à ses deux grands opposants, la Scuderia est aussi une équipe spéciale. « Ferrari ne ressemble à aucune autre écurie, c’est vraiment le symbole d’un pays, avec sa fierté, son orgueil, son patrimoine« , explique Cyril Abiteboul. L’écurie fonctionne à sa manière, parfois à contre-courant du reste du paddock. « Ferrari est souvent coupable d’ignorer ses propres erreurs, de ne pas les gérer, voire de ne pas les reconnaître », note quant à lui le spécialiste de la stratégie. « Tout ceci mène à des problèmes concernant la culture de travail, une incapacité d’apprendre de ses erreurs », souffle Lamonato.
“C’est une situation très spéciale, avec énormément de pression de la part des fans et des médias. »
Michael Lamonatoà Franceinfo: sport
Une manière de faire appliquée par le manager de Ferrari, Mattia Binotto. L’Italien, aux commandes de la Scuderia depuis 2018, ne s’exprime que rarement sur les erreurs de ses effectifs après les courses, défend presque toujours la stratégie, et préfère limiter ses analyses au comportement et au rythme de la voiture. « Il y a souvent des efforts de la part des figures publiques pour protéger le reste de l’équipe de ces critiques« , complète Michael Lamonato.
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— Scuderia Ferrari (@ScuderiaFerrari) July 24, 2022
Les courtes vidéos de débrief de la stratégie partagées après chaque course sur les réseaux sociaux ne sont pas suffisantes pour satisfaire les supporters, qui sont de plus en plus nombreux à réclamer des changements en interne. « Pour gagner, il faut l’excellence à tous points de vue […] Si vous faites souvent les mêmes erreurs, cela signifie qu’il y a quelque chose à changer », expliquait l’ancien manager de la Scuderia Jean Todt au Festival dello Sport, rassemblement du sport italien, fin septembre.
L’écurie la plus titrée de l’histoire de la Formule 1, mais qui ne s’est plus hissée sur le toit du monde depuis 2008, peut-elle évoluer et inverser la tendance l’année prochaine ? Pour Michael Lamonato, le collectif italien va tirer les leçons de la saison. « Cette expérience va forcément les faire grandir, ils en deviendront meilleurs », pronostique-t-il. « Ils ont la capacité de nettoyer ces quelques égarements de stratégie, et ils sont portés par un très bon duo de pilotes », affirme de son côté Cyril Abiteboul. En 2023, c’est bien toute l’équipe italienne qui sera attendue au tournant, pour définitivement effacer ces tâtonnements.
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