« Plus que du spectacle, ce sera le tournant du Tour ». À quelques minutes du départ de la 4e étape du Tour de France femmes 2022, Audrey Cordon-Ragot donne le ton. La championne de France a reconnu l’étape entre Troyes et Bar-sur-Aube. Comme tout le peloton, elle sait que les quatre chemins blancs qui jalonnent la route du jour sont propices au danger.
Présents pour la première fois sur la route du Tour, ces chemins caillouteux qui serpentent entre vignes et champs excitaient autant qu’ils effrayaient avant le départ. Franceinfo: sport y a passé la journée.
Depuis le grand départ parisien, cette étape était sur toutes les bouches, dans toutes les têtes. « Les chemins blancs, ça nous stresse pas mal. Ça peut faire des dégâts », avouait Hugo, mécanicien de la Saint-Michel Auber 93. Cette peur, on la retrouve à tous les niveaux de la course : mécaniciens, directeurs sportifs et coureuses.
Quand on joue le général, on redoute les problème mécaniques. Aujourd’hui, il va falloir de la chance, en plus des bonnes jambes. »
Juliette Labousà franceinfo: sport
Même les noms les plus expérimentés du peloton redoutaient ce départ, à l’image de la favorite Annemiek van Vleuten, pourtant deux fois vainqueur des Strade Bianche et donc experte des chemins blancs : « Je ne suis pas une grande fan des Strade Bianche, parce qu’on peut avoir un incident, une crevaison sans que la voiture soit là, derrière. (…) C’est stressant, nerveux ». D’autant que les quatre secteurs du jour sont en vérité encore plus accidentés que ceux de la célèbre course italienne.
« Ce n’est pas évident d’emmener un peloton de 144 coureuses dans ces chemins, concède Franck Perque, le directeur de l’épreuve, mais avant chaque secteur, il y a un petit relief qui va étirer le peloton. » Pour limiter la casse, les écuries ont toutes reconnu cette étape clé de ce premier Tour de France femmes.
Toutes les équipes ont positionné des assistants dans chaque chemin blanc.
Avec des roues prêtes à l’emploi. #TDFF pic.twitter.com/rltp0fbByx
— Adrien Hémard-Dohain (@AdrienHemard) July 27, 2022
Dans cette journée où le Tour ne peut pas se gagner, mais où il peut se perdre, les quatre chemins blancs sont the place to be. Après avoir longé les lacs de la forêt d’Orient, le premier pointe vite le bout de ses cailloux à la sortie de Bar-sur-Seine, alors que les vignobles champenois réapparaissent sur la course. Après avoir escaladé un coteau, le premier secteur de Celles dévoile ses cailloux blancs inhospitaliers sur 2 300 mètres.
Voilà ce qui attend les coureuses dans les chemins blancs.
Ici au premier secteur à Celles. #TDFF pic.twitter.com/0YvnE1Xkl4
— Adrien Hémard-Dohain (@AdrienHemard) July 27, 2022
Sur le bas côté, une bande de Belges s’emploie à vider la glacière : « On est venus pour le spectacle, ça va être beau et intense. Les femmes vont avoir du mal », glisse Anna, Brugeoise. « On risque de voir des crevaisons et des chutes. On poussera les coureuses s’il faut, surtout Lotte Kopecky et les Belges. Les autres, on les poussera dans l’autre sens (rires). »
Juste à côté, Rémy est venu de Troyes au volant de sa vieille Mehari : « Elle passe mieux là-dessus que les coureuses, je n’aimerais pas y être en vélo ! ». C’est justement le cas de Bertrand, habitant d’un village voisin : « Je ne monte ici qu’en VTT, ils sont fous de passer là en vélo. C’est sympa pour nous, pour les coureuses ça ne sera pas agréable. Elles vont crever ! Déjà qu’en VTT ça secoue… ». Le revêtement caillouteux n’incite effectivement pas à la confiance, sans compter le vent et la poussière. Mais le pire est à venir.
Après un deuxième secteur plus hospitalier et à l’abri dans la forêt, on arrive sur le redouté plateau de Blu de 4 400 m de long. Il s’agit surtout du seul chemin blanc de la journée qui grimpe. Au milieu de la pente, Marcel et ses amis attendent impatiemment, coupe de champagne à la main : « C’est le plus dur des secteurs ici. Elles vont en baver. J’ai couru 25 ans en amateur, on ne roulait jamais ici, on n’osait pas. Elles ont du mérite de monter là. C’est plus dur que des pavés. En plus elles vont rouler à l’aveugle avec la poussière ». Le cycliste amateur en profite pour glisser un conseil : « Il faut passer vite, bien droite, sur un braquet assez léger et suivre les traces de voitures. Et prier pour ne pas crever. »
À peine le temps de remonter dans la voiture que le peloton entame ce secteur fatidique, au revêtement encore plus chaotique que les précédents. La championne d’Espagne Mavi Garcia (UAE Emirates), grande perdante du jour, y change de vélo une troisième fois, alors que Cecilie Ludwig (FDJ-Suez-Futuroscope) y crève aussi. En haut de la côte de Vitry, les coureuses arrivent sur le dernier chemin blanc de la journée. Les trois premiers ont déjà éclaté le peloton.
Le vent d’ouest se lève, et avec lui une poussière blanche qui s’immisce dans les moindres interstices. Ici, les cailloux sont rois. Ils occupent non seulement la chaussée, mais aussi les champs qui la bordent, où l’on se demande comment le blé a pu pousser au milieu de cette terre qui n’en est pas une. « C’est ici que ça va se décider. On ne capte pas trop, donc on ne sait pas trop ce qu’il se passe, mais il y a une buvette de champagne juste à côté donc ça va », savoure le Lillois Jeff. Bien vu : car dans la côte de Vitry, Marlen Reusser (SD Worx) vient d’attaquer. La Suissesse fend le chemin blanc seule, et file vers une victoire d’anthologie.
Dans sa roue, les favorites bataillent dans un groupe réduit. Les guidons tressautent, les chaines claquent, les bras tremblent au milieu de la poussière qui aveugle. Les images sont dantesques, et la course fait rage. Le pari est réussi : les chemins blancs ont dynamité le peloton, sans causer trop de dégâts. Derrière les coureuses, dans leurs voitures qui forment une interminable file plus poussiéreuse qu’une tempête de sable saharienne, les directeurs sportifs peuvent souffler.
À l’avant de la course, Franck Perque et les équipes d’ASO aussi. Les chemins blancs ont réussi leur entrée sur le Tour. De là à les imaginer bientôt au programme des hommes ? « Ça, il faudra voir avec Christian Prudhomme et Thierry Gouvenou », glisse dans un sourire le directeur de l’épreuve. En attendant, il est temps d’aller laver les voitures.
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