Une impression de déjà vu. À l’approche de la flamme rouge, le peloton reprend la tricolore Marie Le Net, partie dans un numéro solitaire voué à l’échec dans les rues de Rosheim. Dans son dos, la Française sent le souffle d’une horde affamée, qui va se disputer le gâteau du jour au sprint. Pour une fois, Lorena Wiebes (deux victoires sur ce Tour) n’est pas de la partie, décrochée à la suite d’une chute.
Mais une Néerlandaise peut en cacher une autre sur les rails de la Grande Boucle. Et pas n’importe laquelle, puisque c’est la maillot jaune Marianne Vos (Jumbo-Visma) qui vient régler le sprint. La Cannibale arrache ainsi une deuxième victoire sur ce Tour, la quatrième pour les Néerlandaises en six étapes. Si l’on y ajoute le succès de la Suissesse Marlen Reusser, coureuse de l’écurie batave SD Worx, cela témoigne de l’écrasante domination du cyclisme féminin néerlandais sur la Grande Boucle féminine. Tout sauf un hasard.
Règle numéro 1 pour dominer le cyclisme mondial : se doter de pistes cyclables. Cela peut paraître idiot, mais c’est pourtant la première raison évoquée pour expliquer l’hégémonie des Néerlandaises en cyclisme féminin. Car derrière ce détail se cache un élément central : la culture cycliste des Pays-Bas. Championne de France, Audrey Cordon-Ragot se rend ainsi souvent en terres bataves : « Il faut y aller pour comprendre, le vélo est plus qu’un sport là-bas. Tout le monde est à vélo au quotidien. Chaque route est construite et organisée autour du cycliste. On peut avoir toutes les montagnes du monde, à partir du moment où la société n’a pas cet amour, ce respect du vélo, c’est beaucoup plus compliqué d’amener les jeunes vers ce sport ».
Et la championne de France vient pourtant d’une terre de vélo, puisqu’elle est Bretonne : « J’ai été animatrice dans une base sportive en Bretagne. J’ai eu des groupes d’enfants de 10-14 ans avec des jeunes qui ne savaient pas faire de vélo ! C’est là que j’ai compris : si le vélo devenait un mode de déplacement pour les jeunes, avec des pistes protégées, on verrait la différence ensuite ». Encore faut-il pour cela un réseau sécurisé, à l’image de celui que l’on retrouve partout au pays de Van Gogh et du gouda : « Si j’étais mère, je ne laisserais pas mon enfant partir en vélo à l’école en France. Aux Pays-Bas, oui. Ils montent sur le vélo très jeune, font parfois des trajets longs pour aller à l’école : ça conditionne », insiste Cordon-Ragot.
Voilà une première piste (non cyclable) d’étude, confirmée par Annemiek van Vleuten en personne : « Je suis allée à l’école pendant 16 ans en vélo, tous les jours, peu importe la météo. Je me souviens d’un jour où il faisait -18°C, et j’y suis quand même allée. Les Néerlandaises aiment les courses dures, ne se plaignent pas de la pluie, de la neige, du froid. On monte juste sur notre vélo ».
« C’est dans notre nature néerlandaise d’être proactives et entreprenantes. On allait en stage d’altitude avant que les équipes ne les organisent. On organisait cela par nous-mêmes. On a vite vu notre travail comme quelque chose de professionnel, et on s’est donné les moyens sportifs d’y arriver. »
Annemiek van Vleutenà franceinfo sport
La maillot jaune Marianne Vos soulève un autre point : la concurrence qui règne dès le plus jeune âge dans les courses locales : « On a des compétitions de jeunes de haut niveau, ça pousse à être au top tous les jours, à s’entraîner dur. Si tu veux participer à un championnat aux Pays-Bas, tu dois être au top de ta forme sinon tu ne fais partie de l’équipe. On a de très bonnes athlètes qui ont motivé la relève qui arrive aujourd’hui ».
Et la France, dans tout cela ? « La fédération aide. Ça avance. Le Tour va être un formidable accélérateur pour donner envie aux petites filles de faire du vélo. On n’aura plus juste envie d’être le nouveau Thibaut Pinot, mais aussi la nouvelle Evita Muzic. Ça va créer des vocations », reconnaît Nicolas Maire, directeur sportif de la FDJ-Suez-Futuroscope. « Après on peut toujours faire plus. Si on se compare aux Pays-Bas, on a plus de travail à la base ». Son manager, Stephen Delcourt, pense aussi que le cyclisme français gagnerait à s’inspirer du modèle néerlandais : « Ils ont créé un cercle vertueux à partir de leur culture vélo. Ils ont le volume de pratiquantes, mais ils ont mis en place tout un réseau de formation depuis longtemps ».
Non seulement en avance, le modèle néerlandais est aussi plus adapté à la pratique du cyclisme féminin pour une simple et bonne raison, selon Stephen Delcourt, qui enfile là sa casquette de père de famille : « En France, on ne se pose pas les bonnes questions. Moi, en tant que père d’une petite fille, je n’ai pas envie de l’envoyer dans un club de vélo. Il n’y a pas de vestiaires pour elles, que des éducateurs hommes, âgés… En plus, il y a les dangers de la route. Ma fille fait donc du triathlon, une fédération qui met tout en place pour éviter cela. »
En plus d’un réseau de formation dense, avec des écoles de vélo et des clubs féminins, les Pays-Bas comptent aussi sur des structures de premier plan, notamment au sein du peloton, comme le souligne Franck Perque, directeur de l’épreuve : « En plus de leur nombre de licenciés énorme, ils ont de grandes équipes comme la SD Worx, qui se développent depuis longtemps. Ils n’ont pas attendu pour approcher le haut niveau avec le même état d’esprit que les hommes. Les femmes y sont devenues professionnelles plus tôt. Elles en vivent depuis plus longtemps, ça change tout ».
Stephen Delcourt résume : « Ils ont la culture, la masse, le réseau et la bonne façon de travailler. Tout ça fait qu’ils dominent notre sport depuis des années. Mais l’écart se réduit ». Les récentes performances de Marta Cavalli (2e du Giro), Elisa Longo Borghini (vainqueur du Paris-Roubaix) ou Juliette Labous (lauréate du Tour de Burgos) le montrent : si les Néerlandaises avaient pris l’échappée depuis de longues années, le peloton international revient à vive allure. « Si vous regardez les résultats des Italiennes cette année, je crois qu’elles nous devancent… Ne jamais sous-estimer les Italiennes, elles arrivent ! », sourit Annemiek Van Vleuten.
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