les filles réussissent-elles à se faire une place dans les matchs de foot des cours de récré ?

« Toutes les récréations, j’avais le ballon et on faisait des matchs. C’était presque la Coupe du monde pour moi. » Dans une vidéo de la FFF avant l’Euro féminin de foot qui se tient en Angleterre, l’ancienne internationale Elise Bussaglia est revenue dans la cour de son école élémentaire, à Sedan (Ardennes). Si l’ex-milieu de terrain aux 192 sélections en équipe de France s’est souvent mêlée aux garçons, la majorité des jeunes filles restaient sur la touche quand un maître ou une maîtresse acceptait de sortir un ballon.

Alors que les Bleues entament leur Euro face à l’Italie, dimanche 10 juillet, les lignes ont-elles bougé dans la cour de récré ? Dans les clubs en tout cas, la Coupe du monde 2019, organisée à domicile, a boosté le nombre de licenciées : en mars 2022, la FFF revendiquait quelque 200 000 inscrites, dont 163 717 joueuses actives contre 141 279 un an plus tôt. De quoi inciter les jeunes filles à prendre aussi leur place sur les terrains en bitume ?

Les pratiques évoluent, mais lentement, remarquent les enseignants qui ont répondu à l’appel à témoignages de franceinfo. Le terrain de foot n’est pas strictement fermé aux écolières, qui tentent de plus en plus d’intégrer les parties improvisées de l’interclasse. Mais la séparation entre garçons et filles reste une tendance lourde, confirme Edith Maruéjouls, géographe du genre, co-autrice du rapport de l’Unicef et directrice du bureau d’études Larobe.

Dans la cour, le terrain peut occuper « jusqu’à 80% de l’espace », alors qu’il n’est privatisé que par dix à vingt grands garçons. « On peut voir une ou deux filles qui jouent, mais ce sont toujours les meilleures », ajoute la spécialiste, qui travaille depuis plus de dix ans en immersion dans les écoles sur le partage égalitaire de l’espace entre filles et garçons.

Impossible de chiffrer précisément la part des écolières qui tapent le ballon, mais Elodie, directrice en élémentaire dans le Val-et-Marne, confirme la tendance. Lorsqu’elle observe ses élèves jouer, seules quelques rares filles se mêlent à ces matchs d’une dizaine de minutes. « Elles ne semblent pas trop demandeuses de jouer au foot, c’est comme si elles ne se l’autorisaient pas. C’est peut-être lié à la représentation qu’elles se font de ce sport », avance-t-elle.

Dans les cours de récréation, les enfants se rêvent en Kylian Mbappé. « Il apparaît même dans la communication de certaines écoles », témoigne Edith Maruéjouls. Malgré des avancées, « au niveau médiatique et parmi les figures qui font modèle, ça reste compliqué pour les filles de s’identifier à des joueuses de haut niveau », ajoute la géographe du genre. Un déficit de représentation qui pourrait expliquer que les filles n’essaient pas de s’imposer plus.

Parfois improvisé avec des vêtements pour symboliser les buts, quand ils ne sont pas figurés par des arbres, le foot à la récré a par ailleurs ses propres codes. « Se pose la question de la constitution des équipes, du ‘chef’ du ballon, tout ça est très régi entre les enfants », observe la chercheuse. Et dans cet espace très régulé, c’est souvent la performance individuelle qui prime : « Qui est le meilleur ? Qui marque le plus ? »

« Ce sont souvent les plus grands, les plus forts et les plus compétents qui jouent. »

Edith Maruéjouls, géographe du genre

à franceinfo

Pour forcer le verrou, certaines élèves font du zèle. « Une fois, l’une est carrément venue en crampons à l’école pour montrer qu’elle était capable de jouer. D’autres arrivent en tenue de footballeuse. Elles sont comme obligées de montrer qu’elles ont leur place », remarque Philippe, enseignant dans une école élémentaire de Côte-d’Or.

Une fois qu’elles ont intégré les rangs, leur présence n’est finalement plus un sujet. Nicole Abar, ancienne internationale dans les années 1960, présidente de l’association Liberté aux joueuses, observatrice depuis deux décennies de la place des filles dans le football, reconnaît cette évolution : « Aujourd’hui, c’est normal qu’une fille puisse jouer au foot. »

« Les filles qui jouent restent une exception, mais cette exception n’est plus une anomalie. »

Nicole Abar, présidente de l’association Liberté aux joueuses

à franceinfo

Les refus, les quolibets, les « garçon manqué » fusent peut-être moins qu’hier, quand une fille lorgnait trop le ballon au goût des autres. Mais se pose encore la question de la place qu’elles occupent sur le terrain. D’après les témoignages recueillis par franceinfo, celles qui jouent restent « reléguées en défense ou au poste de gardienne ». Il faut qu’elles aient du tempérament pour jouer plus haut sur le terrain, en attaque. Et quand une fille marque, c’est incroyable », sourit Roxane.

Cette enseignante dans une classe de CM2 qui ne compte que huit garçons constate qu’ils « sont un peu obligés de jouer avec les filles, sinon cela ferait de trop petites équipes ». En revanche, lorsque sont franchies les portes de la 6e, les améliorations constatées en élémentaire ont tendance à disparaître. « Au collège, la masculinité est exacerbée, les garçons veulent trouver leur place et ça peut faire peur de participer à ce sport qui peut être physique. Les garçons expriment leur puissance. En primaire, moins », note Laurent, professeur d’EPS en Vendée. Un constat partagé par Edith Maruéjouls qui se souvient d’un collège « où certaines filles, pourtant inscrites dans des sections football, ne pratiquaient pas ce sport lors de la pause entre midi et 14 heures. »

Finalement, c’est la place des filles dans la cour de récréation qui interroge, au-delà du terrain de foot qui semble n’être qu’un exemple, visible, d’un cloisonnement encore prégnant. De leur côté, la FFF et le ministère de l’Education nationale n’ont pas forcément de pistes pour améliorer cette non-mixité des enfants. Les deux instances confirment à franceinfo que personne ne s’est penché spécifiquement sur le sujet. Le travail se fait donc au niveau local où plusieurs mairies, comme celle de Trappes, Rennes, La Roche-sur-Yon, Grenoble ou Lyon tentent de réaménager l’espace scolaire.

Un travail aussi mené dans une école de Houilles (Yvelines), où la cour a été réaménagée pour en finir avec « le cloisonnement entre les filles et les garçons et éviter les bousculades avec le football notamment », déclare sa directrice, Madeleine*. Désormais, il y a trois zones, créées en fonction des intensités : une pour courir, une autre pour les jeux calmes et une zone pour d’autres jeux (sans ballon). « Les élèves ne réclament plus de jouer au foot, cela prouve donc qu’un monde sans ballon est possible », se réjouit-elle. Dans ces cours repensées, le frisbee ou le jeu du chat (perché ou glacé, c’est selon) toute leur place.

Selon Edith Maruéjouls plusieurs pistes peuvent encore être explorées pour améliorer la mixité. Elle propose : « Apprendre à partager les espaces, pourquoi pas avec un planning. Travailler sur les tracés au sol et déterminer l’espace du jeu collectif. »L’évolution des mentalités passe aussi par un effort d’éducation : « On a fait intervenir une entraîneuse de foot qui s’occupait de la section féminine du club local, raconte Marie-Christine, directrice d’école dans le Jura. Grâce à elle, certains garçons doués au foot ont compris le bénéfice qu’il y avait à partager le ballon et à jouer avec les filles. »

Enfin, malgré les bonnes volontés, une formation des enseignants serait aussi bénéfique. « Dès la maternelle, c’est au ministère de l’Education nationale de s’emparer de cette question en imposant une formation aux enseignants afin de les interpeller sur leurs propres représentations et leur faire prendre conscience de leur rôle dans la reproduction des stéréotypes de génération en génération », selon l’ex-internationale Nicole Abar. « Il faut tout reprendre à zéro », insiste-t-elle. Pour espérer éviter le match nul.

* Le prénom a été changé à la demande de l’intéressée

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