On n’y est pas encore. Le début de l’Euro en Angleterre, le mercredi 6 juillet, a été précédé d’annonces, en grande pompe, quant à la mise en place d’une équité de revenus entre les sélections féminines et masculines dans plusieurs pays. Mais d’une fédération à l’autre, les paramètres des accords sont loin d’avoir la même portée.
Soyons clairs : il n’y a pas d’équité de salaires. « C’est en fait une égalité de primes et une égalité de traitement. Mais d’argent non, les deux économies n’ont rien à voir. Appeler ça salaire, c’est un abus de langage », tranche d’entrée Luc Arrondel, chercheur au CNRS et co-auteur de Comme les garçons ? L’économie du football féminin. Sur les 48 fédérations nationales qui ont pris part aux qualifications de l’Euro féminin, seules dix ont du reste mis leurs joueurs et joueuses sur un relatif pied d’égalité en sélection nationale.
Pour comprendre ce qu’il se joue en Europe, il faut d’abord faire un tour du côté… des Etats-Unis. En matière d’égalité, les Américaines, quadruples championnes du monde et autant de fois championnes olympiques, font figure de pionnières. Leurs revendications influencent celles faites sur le Vieux Continent. Après trois ans de bataille, la fédération américaine de football s’est engagée, le 22 février, à payer l’équipe nationale féminine au même niveau que l’équipe masculine « lors de tous les matchs amicaux et tournois, y compris la Coupe du monde », précise le communiqué. « La convention collective instaure l’égalité parfaite à tous les niveaux en sélection. C’est une première ! », souligne l’économiste Luc Arrondel.
Cependant, la Fédération internationale de football (Fifa) et l’UEFA (qui organise les compétitions européennes) continueront de verser davantage d’argent aux fédérations pour la participation des sélections masculines. La raison : les recettes engrangées (droits télé, sponsoring) sont bien plus importantes chez les hommes.
Les fédérations redistribuent une partie de l’argent aux joueurs sous forme de primes. En 2019, les Américaines, championnes du monde, ont ainsi perçu 1,45 million d’euros. Les joueurs américains, éliminés en huitièmes de finale en 2014, ont quant à eux reçu 4,5 millions d’euros. Cette différence entre les deux sommes a été très critiquée outre-Atlantique et a abouti à un procès intenté par 28 footballeuses à l’US Soccer pour « politique discriminatoire ». Avec la nouvelle convention collective, les deux équipes mettront leurs bonus en commun et les partageront ensuite en parts égales.
When we win, everyone wins!
— Megan Rapinoe (@mPinoe) February 22, 2022
En revanche, l’égalité de salaire n’est pas absolue entre hommes et femmes, même aux États-Unis. Au-delà de quelques superstars comme Megan Rapinoe ou Alex Morgan, le salaire annuel moyen pour les joueuses du championnat américain était de 23 000 euros en 2017 contre 303 147 euros pour les hommes, selon le rapport « Global Sports Salary Survey » (en anglais). « Dans l’économie de club, les marchés sont totalement disjoints. Tandis que dans l’équipe nationale, on peut avoir une régularisation au niveau de la fédération. Mais quand on parle de salaires, cela concerne en général les clubs et pas les sélections », rappelle Luc Arrondel.
Interrogée sur l’accord aux Etats-Unis, la défenseure internationale tricolore Wendie Renard a souligné que les joueuses américaines avaient pu utiliser certains moyens de pression. « Elles ont des titres, elles ont un palmarès donc elles peuvent se permettre d’avoir cette lutte avec leur fédération, a déclaré la joueuse lyonnaise. En termes médiatiques, elles sont vraiment populaires alors que c’est très peu le cas en Europe avec les équipes nationales. »
Pourtant, à l’approche de l’Euro 2022, des fédérations ont fait des annonces marquantes en matière d’égalité des primes à l’image des Espagnoles, le 14 juin 2022, ou des Néerlandaises, le 20 juin 2022. Oui, mais voilà : le diable réside dans les alinéas des règlements.
Première ambiguïté : l’Euro et le Mondial sont parfois exclus des accords. Depuis janvier 2020, les joueuses de la sélection anglaise touchent les mêmes primes ou bonus liés aux résultats que les footballeurs. En revanche, ce n’est pas le cas pour les deux principales compétitions. « L’UEFA et la Fifa donnent des sommes différentes, donc il y aura encore de grandes différences de primes. A moins que les hommes ne redistribuent ce qu’ils touchent pour égaliser les sommes », pointe Luc Arrondel. La sélection féminine qui remportera l’Euro, le 31 juillet, empochera 2,08 millions d’euros. Un chiffre nettement inférieur aux 28,5 millions encaissés l’été dernier par l’Italie après son sacre européen.
En outre, la définition de ce qu’est une « prime » varie : s’agit-il de la seule rétribution de la fédération pour la participation des joueuses ? Les compensations journalières ? Les revenus commerciaux tirés du championnat par la fédération ? Les droits à l’image ? La billetterie ? A chacun sa recette. Certains mettent tout dans un pot commun, d’autres non. En 2017, même si la Norvège avait instauré une égalité de primes, Ada Hegerberg avait claqué la porte de la sélection nationale pour manifester son mécontentement face à la différence de traitement dont faisait l’objet l’équipe féminine.
Du côté de la France, la fédération n’a opté que pour une égalité au niveau du pourcentage de la dotation globale de l’UEFA (30%) reversé aux joueurs et joueuses, ainsi qu’à l’encadrement technique. A cela s’ajoute d’autres rigidités de l’économie du foot féminin sur le territoire. « Le championnat est professionnel en Italie, en Espagne, en Angleterre depuis 2016, mais en France, étrangement, on n’en parle toujours pas », regrette Luc Arrondel.
« En France, les joueuses ont des contrats fédéraux, c’est-à-dire le même contrat que le jardinier du stade. »
Luc Arrondel, chercheur au CNRSà franceinfo: sport
En revanche, la D1 Arkema était la ligue la plus rémunératrice d’Europe en 2017-2018 (avec un salaire annuel brut moyen de 42 188 euros), selon le rapport « Global Sports Salary Survey ». Dans les sports collectifs féminins, le championnat français figurait même sur le podium, derrière la Women NBA et la ligue de netball australienne.
« La France a été en avance à un moment avec Lyon, Montpellier puis le PSG. C’était innovant ! Mais en Angleterre, il y a eu une prise de conscience avec l’organisation de l’Euro 2022″, raconte Luc Arrondel. Et le chercheur de citer les réformes effectuées depuis 2016 : « Ils ont refondé le championnat, encouragé les clubs d’élite à créer une section féminine, offert des hauts salaires. Par conséquent, les internationales américaines vont désormais davantage jouer en Angleterre qu’en France et les droits TV ont été renégociés à hauteur de 8 millions d’euros [contre 1,5 million en France].« Néanmoins, les deux pays gardent un point commun : le chemin vers l’équité femmes-hommes est encore long.
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