Et si le « toujours plus » des grands événements sportifs n’était tout simplement plus soutenable, face au défi du changement climatique, ni « moralement acceptable » ? Pour la paléoclimatologue et coprésidente du Giec (groupe d’experts climat de l’ONU) Valérie Masson-Delmotte, le sport doit « monter en puissance et en compétence » sur de meilleures pratiques afin de prendre en compte les « transformations profondes » qu’entraîne le réchauffement. Elle s’exprimait dans le cadre du festival Demain le sport, jeudi 22 septembre à la Maison de la radio et de la musique.
franceinfo : Depuis plus de vingt ans, chaque édition des Jeux olympiques promet d’être la plus « propre » de l’histoire. Des Jeux « propres », ça peut exister ?
Valérie Masson-Delmotte : Je ne suis pas là pour porter un jugement de valeur mais pour partager l’état des lieux vis-à-vis du changement climatique, qui touche le sport. Beaucoup d’événements ont été annulés cet été avec la chaleur extrême. Et donc la question, pour le sport comme pour tout, c’est soit des transformations subies, c’est-à-dire des événements intenses qui s’intensifient dans un climat qui se réchauffe – et on n’est pas prêts – soit des transformations choisies, c’est-à-dire une pratique sportive qui anticipe sur les calendriers, les infrastructures, pour permettre d’être résilient dans un climat qui se réchauffe. La question, c’est aussi la responsabilité du secteur du sport sur les émissions de gaz à effet de serre, notamment pour les grands événements, mais aussi pour la pratique au quotidien. Et le rôle du sport, comme de tous les secteurs, pour construire une baisse importante des émissions de gaz à effet de serre. On voit que les pratiques commencent à évoluer. C’est le début, il y a besoin de mieux mobiliser. Finalement, beaucoup d’amateurs de sport partout dans le monde, pas seulement les athlètes, mais aussi les pratiquants au quotidien, ceux qui aiment le sport, les supporters, se sentent concernés, partagent des valeurs importantes sur le sport. Le respect, c’est aussi le respect de l’environnement. La performance, c’est aussi être capable de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Il y a une forme d’émulation collective. Et là, il y a besoin de faire monter l’exigence sur de meilleures pratiques. Mesurer les émissions de gaz à effet de serre d’un grand événement, c’est plusieurs millions de tonnes de CO2 : les infrastructures, l’hébergement, les déplacements, les équipements… Il y a une puissance d’action toute particulière pour le sport, parce que c’est quelque chose qui nous relie. C’est aussi un fait culturel, une puissance médiatique, une puissance économique, toute une industrie.
« L’enjeu, c’est d’enclencher des transformations vraiment profondes dans ces secteurs. Pas simplement un truc qui fasse joli pour se donner bonne conscience, mais une réflexion de fond. »
Valérie Masson-Delmotteclimatologue, coprésidente du groupe 1 du GIEC
En 2050, qu’est-ce que c’est, les pratiques sportives dans un monde qui sera peut-être à 1,5 degré, 2 degrés voire davantage, si on est capables de réduire les émissions de gaz à effet de serre ? Quelles seront les conditions pour les pratiques sportives ? Et pas seulement ici, mais partout dans le monde, et notamment dans des régions tropicales où les conditions vont être plus chaudes, plus humides et très difficiles pour une activité physique en extérieur sur une longue période de l’année ?
L’alternance Jeux d’été et Jeux d’hiver, qu’est-ce qu’il en restera à l’horizon 2050 ?
On pourrait dire « Jeux de la canicule » et puis « Jeux du manque de neige » ! Moi, je me pose vraiment des questions sur la manière dont ce type de grand événement peut d’abord donner à comprendre, pour tous ceux qui y participent, pour que chacun puisse s’approprier les enjeux par rapport aux émissions de gaz à effet de serre. Et puis qu’il puisse donner à voir des transformations, c’est-à-dire d’éviter des équipements neufs pour privilégier des équipements réutilisés et réadaptés, qui ont une autre vie après, qui ne soient pas abandonnés. Et puis il y a ce que le sport glorifie. Est-ce qu’il glorifie des pratiques très intensives en émissions de gaz à effet de serre : les voyages, le sport automobile ou autre… Ou est-ce qu’au contraire, il participe et il donne à voir une transformation dans tous les secteurs ? Une transformation où le sport joue sa part, mais aussi entraîne les autres à jouer leur part.
Comment les climatologues s’emparent de ce sujet ?
On voit de plus en plus de publications scientifiques sur le sport et le changement climatique. Ça a démarré en 2003, il y en a quelques-unes qui montent en puissance depuis 2015, plutôt dans les pays riches, plutôt sous l’angle chaleur extrême et sport. On voit qu’il n’y a pas encore un cadre rigoureux pour comparer ne serait-ce que l’empreinte carbone de grands événements. Ce n’est pas encore une pratique standard. Il n’y a pas non plus de pratique standard pour faire des stress tests climat sur des planifications de calendrier, d’événements sportifs, d’infrastructures. Et donc il y a, je pense, vraiment besoin que le sport monte en puissance, monte en compétence sur ces aspects-là.
Le prochain grand événement sportif, c’est au Qatar, la Coupe du monde de football. Est-ce que vous êtes inquiète de son impact écologique ?
Il y a des choses qui étaient standard : toujours plus, toujours plus de stades, parfois abandonnés, toujours plus de consommation d’énergie, toujours plus de déplacements… Et en fait, ce qui était standard était non soutenable. Je pense que maintenant, ça pose question. C’est perçu comme n’étant pas moralement acceptable. Et donc ça met mal à l’aise tous les acteurs du sport sur une attente de la société d’une transformation beaucoup plus rapide et beaucoup plus profonde. Et la question c’est : qu’est-ce que le sport glorifie ? Avec quoi fait-il rêver ? Est-ce que c’est au détriment des droits humains ? Est-ce que c’est au détriment même parfois de la santé des athlètes ou des spectateurs ? Ou alors, est-ce qu’au contraire le sport se transforme et valorise une manière plus agile de faire, plus légère, plus propre ? Et est-ce que ce n’est pas là aussi une occasion d’entraîner plus de gens ? Pas simplement sur le fait de fêter le sport de haut niveau, mais aussi sur une pratique du sport au quotidien. Quand on regarde les leviers d’action pour réduire massivement les rejets de gaz à effet de serre, on peut aussi les voir comme des politiques de santé publique : améliorer la qualité de l’air ; plus de mobilité active au quotidien, avec des infrastructures sécurisées, pour aller s’entraîner et faire du sport à pied ou à vélo ou dans des véhicules partagés ; l’alimentation saine, qui permet d’avoir des bonnes performances, de vivre longtemps en bonne santé, avec moins de protéines animales, plus de protéines végétales… En fait, pas mal d’aspects liés aux pratiques du sport au quotidien – nutrition, mobilité active– sont des leviers d’action pour le climat et qui peuvent être adoptés à une très large échelle, mais qui ne sont pas forcément valorisés par les acteurs du sport de haut
Dans cette pratique sportive au quotidiennes, quelles sont les conséquences du réchauffement dans les années à venir ?
L’été dernier, on a eu par exemple à Toulouse 71 jours à plus de 30 degrés. Donc, pour les personnes un peu fragiles, ça veut dire ne pas sortir aux heures chaudes de la journée. Pour les sportifs, ça voulait dire des vrais freins sur l’entraînement en extérieur, notamment les sports d’endurance, la course ou le cyclisme. Donc on y est déjà, en fait. Il y a aussi tous les enjeux, par exemple, sur la fiabilité de l’engagement en montagne, toute l’industrie des sports d’hiver qui est directement concernée. Mais je pense que plus largement, au-delà de ces impacts directs, il y a souvent une prise de conscience de nombreuses personnes qui cherchent à pouvoir concilier leur pratique au quotidien avec un sport qui est beaucoup plus acteur des transformations, qui est plus léger sur son empreinte environnementale. On a vu des réactions multiples et variées, des expressions des uns des autres à des événements sportifs à fort impact carbone. En fait, on voit que la conversation démarre et je pense que cette conversation, elle est importante. Pas les polémiques, mais la conversation de fond sur comment on se projette dans l’avenir, qu’est-ce qu’on transforme, comment on le fait de sorte à ce que ce soit juste, que le partage soit juste. Le sport a une vocation exemplaire. Ça fait partie des valeurs du sport.
On voit que cette « conversation » que vous évoquez, ce dialogue est difficile.
Est-ce qu’il y a un espace pour que l’ensemble des acteurs du sport et de ceux qui observent le sport puissent ensemble évaluer les pratiques, les tendances lourdes des vingt dernières années, leur côté non soutenable sur l’eau, sur les sols, et pas simplement les enjeux d’émissions de gaz à effet de serre ? Un espace pour définir ensemble des stratégies, des scénarios où l’ensemble des acteurs se projettent dans ce que c’est un sport responsable, le construit et ensuite le met en œuvre ? Cet espace-là, à ma connaissance, il n’existe pas.
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