Si la question des sélections est un vieux serpent de mer de l’athlétisme français, la liste dévoilée, mercredi 29 juin, par le directeur de la haute performance de la Fédération, Romain Barras, a laissé pantois de nombreux athlètes et observateurs. Dans l’œil du cyclone : le sprint et le demi-fond, dont les délégations ont été drastiquement réduites comparées aux Mondiaux de Doha ou aux Jeux de Tokyo. Le sprinteur français, flashé en 10 »10 sur la ligne droite cette saison, n’a ainsi pas été retenu par la FFA (minima à 10″03), et ne disputera pas les Mondiaux en individuel.
« C’est de la déception. Une grosse déception. Il n’y a qu’une personne sélectionnée en sprint en individuel. Cette année, il y a eu un mur et j’ai eu du mal à faire les minima alors que je les faisais facilement avant« , déplore Jimmy Vicaut depuis son hôtel, à l’annonce de la liste des sélectionnés pour les Mondiaux de Eugene (15-24 juillet).
Sur 44 épreuves (hommes et femmes confondus), 19 minima fixés par la Fédération sont supérieurs à ceux fixés par World Athletics, en particulier en sprint et demi-fond. « Nous n’avons pas durci les minima, nous les avons harmonisé entre disciplines pour faire en sorte que tous les athlètes sélectionnés puissent viser un Top 16. […] On a des critères de sélection exigeants », nuançait en conférence de presse, mercredi, Romain Barras.
La mesure avait été engagée après la déroute de Doha 2019 (seulement deux médailles de Pascal Martinot-Lagarde et Quentin Bigot) puis de Tokyo (Kevin Mayer seul médaillé). « Nous n’emmènerons pas de touristes », avait alors clamé le président André Giraud. Cette fois, l’ambition de la Fédération est de présenter l’équipe la plus compétitive possible, quitte à réduire la voilure des athlètes.
Effet immédiat des paramètres de sélection : un seul sprinteur français a été retenu sur la liste des sélectionnés : Mouhamadou Fall, repêché sur 200 m (20″26). « Je ne sais pas si ça ciblait les sprinteurs, on est plusieurs dans ce cas, mais oui je ne pense pas que toutes les disciplines ont été traitées de la même manière. Mais c’est comme ca. Les minima sont à 10″03, j’aurais dû courir plus vite et point barre », réagissait Jimmy Vicaut, qualifié uniquement dans l’équipe du 4×100 mètres aux Mondiaux.
A l’issu de la période de qualification pour les championnats du monde, seul 6 athlètes (au monde) ont réussi à courir le NPR français sur 1500m.
Fin de la blague.— Miellouse (@Alexis_Miellet) June 29, 2022
“Il faudra se contenter des Europe”, tranche de son côté Hugo Hay. Le coureur de 5 000 m n’apparaît pas non plus sur la liste, malgré un chrono en 13’12 »14 (minima de World Athletic à 13’13 »50) en début de saison. Le champion de France ne répond pas aux minima de la Fédération Française d’athlétisme, élevés à 13’09 »00 pour les Mondiaux.
“Si on m’avait dit dès ma première course : ‘c’est bon, tu es qualifié’, je me serais préparé pendant un mois et demi vraiment à fond et j’aurais été encore meilleur aux championnats du monde. Alors que là, si on a des délégations réduites, les jeunes ne vont pas acquérir d’expérience dans ce genre de championnat. En demi-fond, les courses de championnat ne sont pas du tout les mêmes qu’en meetings, on a besoin de cette expérience-là, de faire des courses tactiques avec les Kenyans”, réagissait le Tricolore, qui se projette à défaut vers les Europe.
La Fédération française d’athlètisme veut de son côté rediriger ces sportifs vers les championnats d’Europe de Munich (15-21 août): « C’est une première étape vers Budapest et Paris, les athlètes vont acquérir de l’expérience face à une concurrence internationale », pointait Romain Barras. En demi-fond, seuls Benjamin Robert, Gabriel Tual et Pierre-Ambroise Bosse sur 800 mètres et Jimmy Gressier sur 10 000 mètres sont parvenus à se hisser sur la liste des sélectionnés.
Mais cette course aux minima a laissé des traces sur les athlètes qui ont du bousculer leur préparation. « On devait avoir trois pics de forme. En demi-fond c’est compliqué, cela demande beaucoup d’intelligence et de réflexion. Cela veut dire qu’on doit être très en forme en mai et en juin pour réaliser des standards qui sont quand même très élevés, puis être bon en juillet aux Mondiaux et ne pas être cuit en août aux Europe », expliquait Hugo Hay, en partance pour les Etats-Unis où le coureur doit commencer un stage en altitude, et d’ajouter : « Or, on ne peut pas être en forme tout le temps, donc il faut faire des choix. Là, on a un peu l’impression qu’on nous met des bâtons dans les roues, ça nous aide pas à être en forme en grand championnat. On a besoin d’ajustements et quand on n’a pas cette flexibilité au niveau des minima, c’est compliqué”.
Lol pic.twitter.com/thOGpFhxen
— HH (@Hugo_Hay) June 29, 2022
Pour Jimmy Vicaut, le timing n’était pas non plus idéal : « Le chrono commence à descendre, il faut se réveiller et sortir des bonnes performances. Bien sûr je suis déçu mais je vais me faire plaisir, courir, et me recentrer vers le reste de la saison. Il y a encore des meetings et les Europe à Munich. On ira étape par étape. »
Certains athlètes n’ayant pas réalisé les minima, ont pourtant pu être repêchés à l’image de Mélina Robert-Michon (disque), Yann Chaussinand (marteau), Ninon Chapelle (perche), Mouhamadou Fall (200 m), ou les triple-sauteurs Benjamin Compaoré, Enzo Hodebar et Melvin Raffin. Une différence de traitement justifiée par leur capacité à « figurer dans le Top 16 mondial » , selon Romain Barras, et qui s’appuie sur d’autres critères plus complexes (athlètes protégés, classement de World Athletic, algorithme de calcul de haut potentiel, etc…).
Entre heureux et déçus, et en dépit des efforts de transparence, les sélections ont encore divisé l’athlétisme français.
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