Pas d’exploit pour Kevin Mayer. Trois semaines après son second titre de champion du monde à Eugene (Etats-Unis), le double-vice champion olympique a préféré abandonner dès la première épreuve du décathlon des Championnats européens de Munich, lundi 15 août, pour « arrêter avant de se blesser ». Une décision peu étonnante au vu du peu de temps écoulé depuis les Mondiaux, et de l’engagement du Français sur ses compétitions.
Le double vice-champion olympique s’était rendu à Munich en rêvant d’un doublé Championnats du monde – Championnats européens en trois semaines. Un « objectif incroyable » selon ses propres mots, mais difficilement réalisable. « J’ai peut-être eu les yeux plus gros que le ventre », a souligné le décathlonien après son abandon.
Car disputer un décathlon laisse des traces. Si « le temps d’effort physique pur ne dépasse pas, en cumulé, sept minutes sur les deux jours de la compétition », explique Gaëtan Blouin, responsable des épreuves combinées à la fédération française d’athlétisme (FFA), l’intensité est bien présente. « On tord le corps dans tous les sens pour lancer, courir, sauter. Les traumatismes de dix disciplines s’ajoutent les uns aux autres pour le corps, qui met une à deux semaines à récupérer », souligne-t-il. « A chaque épreuve, il y a des micro-lésions musculaires qui doivent se régénérer. »
Problème, les épreuves s’enchaînent pendant deux jours « pleins », laissant peu de temps à la récupération. « Baptiste (Thiery, 21 ans, l’autre Français engagé sur le décathlon) a réussi à faire une heure de sieste avant de recommencer à s’échauffer, lundi. Hier soir, il s’est couché à minuit, au mieux, et le petit-déjeuner était à 5h30, donc le corps n’a pas pu totalement récupérer, souligne Gaëtan Blouin. Ce mardi, il y aura une grosse fatigue accumulée, et c’est aussi cela qui fait qu’en épreuves combinées, on est plus susceptibles de se blesser. »
Avec deux décathlons séparés de 22 jours, seuls sept athlètes présents aux Mondiaux ont fait le déplacement à Munich.« Trois n’ont pas pris le départ car ils n’étaient pas totalement remis du rendez-vous d’Eugene, sans compter Kevin. Les kinés des équipes sont très sollicités. Il ne serait pas étonnant d’en voir d’autres s’arrêter en plein concours », estime le membre de la FFA.
Outre la fatigue physique, « le décathlon est traumatisant d’un point de vue nerveux, explique le responsable des épreuves combinées. « Il faut généralement trois à quatre semaines pour que l’euphorie redescende. » Pour se remettre d’un tel combat, la durée peut varier. « Certains se remettent vite de leurs émotions, souligne Stéphane Diagana, champion du monde du 400 mètres haies et consultant pour France Télévisions. Kevin Mayer fait partie de ceux qui « mettent une telle intensité nerveuse dans un événement, que le temps de récupération est très long », souligne l’ancien hurdleur.
« Pendant la compétition, Kevin monte très haut dans les tours, en termes d’influx nerveux, d’adrénaline, c’est ce qui lui permet de faire des choses exceptionnelles. Mais derrière, il a des chutes nerveuses impresionnantes. Tout cela fait que sa récupération commence bien après celle des autres, et qu’il lui est beaucoup plus compliqué d’enchaîner », complète Gaëtan Blouin.
Un engagement total qui explique pourquoi Kevin Mayer se limite habituellement à un décathlon par saison.« C’est comme ça qu’il envisage son sport, c’est un événement qu’il sacralise », indique Stéphane Diagana. Le dernier enchaînement de deux compétitions de la part du Français remonte à 2018. Cette année-là, il ne terminait pas le décathlon des championnats d’Europe de Berlin, début août, à la suite de trois échecs au saut en longueur, avant de pulvériser le record du monde au Décastar de Talence, mi-septembre.
S’il ne dispute qu’un seul décathlon dans une saison, il s’entraîne continuellement pour son événement annuel. « Il pense constamment à son échéance. C’est la grande différence avec les footballeurs par exemple : ils ont des matchs toutes les semaines, alors que nous, on n’a pas de résultats réguliers. On travaille d’arrache-pied pour un ou deux événements dans l’année. Les sports collectifs nous qualifient de masochistes, parce qu’il n’y a pas de trêves psychologiques. »
Ce nombre ultra-réduit de participations à des événements explique pourquoi la peur de la blessure est immense. « Notre échéance à nous est tellement lointaine, il peut se passer tellement de choses entre temps, tout est très incertain, souligne Gaëtan Blouin. Mais une fois que le résultat est passé, la pression et la tension retombent, et les vacances sont les bienvenues. »
« Je ne veux surtout pas partir en repos sur une blessure et avoir une dette pour la saison prochaine », avait prévenu Kevin Mayer avant la compétition. Le Français avait connu cette mésaventure en se blessant aux Mondiaux de Doha, en 2019. Cette fois, en renonçant à poursuivre le décathlon des Championnats européens munichois, le double champion du monde français peut s’octroyer de longues vacances (« au moins trois ou quatre mois », avait-il confié la semaine dernière), l’esprit tranquille. Et ainsi préparer au mieux les Mondiaux de Budapest, son objectif de 2023.
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