Thibaut Pinot, bien malgré lui, est devenu le coureur cycliste français qui ne laisse personne indifférent, l’un des rares à avoir un fan-club sur les réseaux sociaux, capable de susciter les émotions les plus extrêmes, de la joie d’une victoire comme au Tourmalet sur le Tour 2019 aux larmes de 2020, avec une chute dès le premier jour.
Mais à 32 ans, c’est enfin un coureur apaisé que l’on retrouve, qui nous parle du plaisir qu’il prend en courses et de sa relation si particulière qu’il entretient avec le public. Lui qui ne souhaite plus être le leader de son équipe, la Groupama-FDJ, prêt à poursuivre sa belle histoire en équipier de luxe et en vainqueur d’étape. franceinfo l’a rencontré il y a quelques semaines, autour d’un café, après un entraînement, chez lui, dans les Vosges, à la fameuse Planche des Belles Filles. Interview.
franceinfo : Est-ce que vous reconnaissez ne pas être un coureur comme un autre?
Thibaut Pinot : Oui, je suis un coureur différent. Mais je ne le fais pas exprès, ce n’est pas un jeu, mais je pense que je reste naturel, c’est cela qui plaît. Ce que je donne dans la vie, je le retransmets aussi beaucoup sur le vélo, j’ai toujours été généreux dans l’effort. Et puis, je pense aussi que cela plaît aux gens ce côté « malchance un jour et le lendemain, il peut gagner« . Et au final, je suis beaucoup plus supporter que mon palmarès (rires) . Et maintenant que j’ai l’âge d’être assez mâture, tout ce soutien ne me fait plus peur : à 32 ans, et je prends le bon côté des choses. Maintenant, pour moi, c’est aussi une force.
Alors quel est votre rapport au vélo aujourd’hui?
Aujourd’hui, j’ai besoin de prendre du plaisir ! Moi, ce qui me plaît, c’est de m’entraîner chez moi, sous le soleil, lors des journées de printemps ou d’automne, ce sont les plus belles journées pour moi. Je pense que, même après ma carrière, je continuerai à faire du vélo. Mais après, voilà, une fois que je suis en course, ce que j’aime, c’est gagner. J’en ai besoin aussi. Cela faisait tellement longtemps que je n’avais pas gagné. Entre le Tourmalet et la victoire sur le Tour des Alpes, il y avait eu plus de 1000 jours, on me l’a rappelé plusieurs fois : 1000 jours, c’était vraiment très très long pour moi. Le plus dur, c’est l’hiver : en Franche-Comté, c’est vraiment compliqué. Les entraînements sont parfois difficiles mais on me demande toujours pourquoi je ne vais pas dans le Sud? Mais parce que, tout simplement, j’ai besoin aussi de souffrir à l’entraînement, on a peut-être un petit côté sadique aussi, je pense, et j’ai besoin de rouler sous la pluie, j’ai besoin de rouler dans la neige pour prendre du plaisir ensuite quand il va faire beau. Une fois le mois de mars passé et qu’on commence à voir les fleurs pousser, c’est le plaisir qui arrive et tu savoures encore plus car tu repenses à tous ces moments où tu as galéré.
C’est cela qui vous a poussé à continuer, à ne pas lâcher quand vous souffriez ?
Oui, c’est ça. C’est de retrouver le bonheur. Je voulais pas non plus arrêter là-dessus, sur ces douleurs au dos, ces 18 mois de doutes et de galères. Si je l’avais fait, je pense que j’aurais eu vraiment des regrets plus tard dans ma vie. Je préfère aller au bout de l’histoire. Et je pense que j’ai encore la capacité d’écrire de belles choses. Et je le répète, j’aime aussi encore la compétition. C’est retrouver également les copains en course, une bande de potes qui rigolent, c’est un côté qui me plaît énormément. Quand on discute avec d’anciens coureurs, ils vous disent que c’est cela qui leur manque le plus et je le comprends tout à fait : pour moi aussi, ces moments sont importants, la vie du bus, c’est là qu’on rigole le plus. J’ai besoin d’avoir une ambiance familiale, de me sentir comme à la maison et c’est ce que j’ai dans cette équipe (la Groupama-FDJ) : ici, je suis bien, c’est pour cela aussi que j’y suis resté toute ma carrière, parce qu’il y avait une ambiance qu’on ne retrouve pas dans bon nombre d’équipes. C’est une équipe qui a la joie de vivre. Et comme je le dis toujours, ce n’est que du vélo, c’est du sport. Moi, j’ai besoin de rigoler dans la vie. Et donc si dans le vélo on peut plus rigoler, on n’a plus le droit de rigoler, cela devient triste.
Vous vous êtes qualifié vous-même, par le passé, de coureur ingérable. Cela a changé depuis?
C’est sûr que je suis un peu plus compliqué que certains, parce qu’il y a des choses que je n’accepte pas spécialement, des choses qu’il n’y avait pas au début de ma carrière. l n’y avait pas tout ce qui est autour du vélo : l’image que l’on donne par exemple maintenant est devenue très importante. Avec les réseaux sociaux, tu ne peux plus faire ce que tu veux, tu ne peux plus dire ce que tu veux non plus parce que maintenant tout est repris et déformé. Tout ce qu’il y a autour du vélo, avec les sponsors aussi : c’était beaucoup plus simple avant. L’ambiance n’est plus la même non plus avec les jeunes parce que justement ils sont plus connectés, ils sont plus avec leurs téléphones qu’on ne l’était à notre époque. C’est là que tu vois que les choses ont changé. Avant, nous, le soir, après le repas, on se retrouvait dans une chambre pour discuter alors que maintenant tout le monde est un peu sur sa tablette à regarder un film ou une série. Donc cela, c’est un côté qui pour moi qui est dommage. Dans les années 2010, il y avait pas Instagram, il n’y avait pas Twitter encore, donc c’était complètement différent. J’ai vraiment connu l’évolution de deux générations. Donc voilà, je ne suis pas le coureur le plus connecté, je ne suis pas robotisé à l’entraînement mais cela, mon entraîneur qui est aussi mon frère l’a bien compris. J’ai besoin aussi de prendre du plaisir à l’entraînement et donc si je vois une bosse et que j’ai envie de souffrir dedans, même si ce n’est pas dans mon programme, et bien, j’y vais! Je n’ai pas besoin d’avoir un planning vraiment établi en terme d’intensité. Je suis comme cela, cela dépend vraiment de chaque coureur. Après, c’est sûr que le vélo a énormément changé. C’est sûr qu’il y aurait moyen de rendre beaucoup plus ludique en enlevant les oreillettes par exemple. Après, chacun vit avec son époque. Mais voilà, pour la meilleure pub pour un coureur, restera toujours de gagner des courses tout simplement, pas tout ce qu’il y autour avec les réseaux sociaux.
Une dernière question pour revenir au Tour de France. Entre amour et haine, on a cette image de là de votre relation avec cette course, vous validez?
Oui, c’est vrai que le Tour de France est fait de hauts et de bas pour moi. Mais après ce que je retiens surtout, c’est que les mauvais moments, je les efface assez vite et je ne garde que les bons moments, je garde mes victoires, mon podium. Même si en 2019, la fin a été dure, au final, ce que je garde de ce moment, c’est ma victoire au Tourmalet : pour moi, cela a été un moment exceptionnel.
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