Le défenseur de l'équipe de France des sourds Joffrey Tavares (à gauche) avant un coup franc. (Joffrey Tavares)

Dans la vie de tous les jours, les deux appareils auditifs de Joffrey Tavares gomment la perte d’audition de 80% dont il est atteint depuis sa naissance. Mais sur les terrains, ce diplômé en management a appris à s’en passer. A 29 ans, il joue au foot chez les sourds, au CSSM Paris, le club pour sourds-muets de la capitale, qu’il préside. Mais aussi chez les valides, à Maisons-Alfort. Depuis mai, il est même vice-champion Deaflympics avec les Bleus, l’équivalent des Jeux Olympiques pour les personnes malentendantes. Pour franceinfo: sport, il revient sur son parcours.

franceinfo: sport : Comment se fait-il que vous jouiez à la fois chez les sourds et chez les entendants ?

Joffrey Tavares : J’ai commencé le football à l’âge de six ans grâce à mon père qui m’a transmis sa passion. Seulement, comme il n’y a pas de catégories jeunes chez les sourds, faute de licenciés, j’ai d’abord joué dans des clubs entendants. Depuis 13 ans maintenant, je joue aussi avec les personnes malentendantes, au CSSM Paris. Cela me fait donc deux licences : une Handisport et une à la FFF. Mais une bonne partie des joueurs sourds sont dans ce cas-là.

On imagine que votre handicap a tout de même une incidence sur le jeu. Comment qualifieriez-vous le foot sourd ?

C’est clair, le jeu est plus lent. Les entendants se préviennent entre eux des mouvements sur le terrain tandis que les sourds ont besoin d’une à deux secondes de plus pour prendre les informations. En général, le niveau d’une bonne équipe sourde correspond à celui d’un club de National 3 (cinquième division, NDLR). En février, l’équipe de France sourde avait joué contre les jeunes du PSG : on n’avait perdu que d’un but.

Ce n’est pas trop dur de jongler entre les deux catégories ?

Comme on a deux clubs, cela implique d’enchaîner les matchs, le samedi en sourds puis le dimanche avec les valides. Depuis cette année, je joue pour Maisons-Alfort parce que je suis jeune papa et j’avais besoin d’horaires flexibles pour garder le petit. En dehors de la logistique, il y a aussi la question de l’adaptation des coachs entendants à notre handicap. Depuis que j’ai commencé le foot, j’ai eu des entraîneurs qui faisaient la part des choses. Mais aussi d’autres qui m’ont dit que ça allait être compliqué de me faire jouer parce que je suis défenseur et forcément, cela crée des déséquilibres quand on me dit de monter et que je ne m’aligne pas sur un hors-jeu car je n’entends pas.

Justement, comment faire pour communiquer chez les sourds ?

Déjà pour pouvoir pratiquer, il faut une perte d’au moins 55% d’audition. Moi je suis à 80% mais certains ont des déficiences de 100%, voire même de plus de 100% d’audition donc par souci d’équité, on enlève toutes les aides auditives lorsqu’on joue.

« Pour se comprendre, il nous reste la langue des signes que tout le monde connaît. Cela ne nous empêche pas de crier sur le terrain mais c’est parce qu’on a l’habitude avec les valides. »

Joffrey Tavares

à franceinfo: sport

Autrement, c’est connu, quand on perd l’un des cinq sens, les autres sont plus développés. Nous, c’est le visuel qui compense. On regarde et on anticipe beaucoup plus.

En mai dernier, vous avez participé aux Deaflympics, l’équivalent des Jeux Olympiques pour les personnes atteintes de surdité. D’ailleurs, l’équipe de France a réalisé un excellent résultat au Brésil avec une médaille d’argent. Racontez-nous.

Avant tout, j’aimerais préciser que ce n’était pas le Brésil comme on peut se l’imaginer ! Ni plage, ni soleil : on était dans les montagnes, le froid et la pluie (rires.) C’était trois semaines intenses ! Il faut dire qu’on a explosé l’objectif initial qui était de sortir des poules, ce que la France n’avait pas fait depuis longtemps. Au final, on perd la médaille d’or sur le plus petit des scores 1-0 contre l’Ukraine, qui était quand même sur sa quatrième finale de rang. Tant pis, c’était déjà du bonus pour nous ! On a des souvenirs inoubliables à raconter pour plus tard. Mais surtout grâce à cela, tous ceux qui ont fait partie de l’équipe doivent se voir reconnaître le statut de sportif de haut niveau en octobre.

Au vu des performances de cette équipe, regrettez-vous de ne pas être convié aux Jeux Paralympiques ?

Pour concourir, il faudrait qu’on ait notre propre catégorie. Les handicaps sont trop différents, ce serait trop inégal par rapport à d’autres athlètes à qui il manque un membre, par exemple. Dans l’idéal, je pense qu’il faudrait faire une première quinzaine avec les JO, une deuxième avec les Paralympiques et une troisième pour nos Deaflympics. Cela nous permettrait de profiter des infrastructures et de la visibilité médiatique. Aujourd’hui, on est sur des dates et des lieux différents. Paris 2024 aurait été un rêve, mais bon pour nous, ça sera Tokyo 2025. C’est dommage.

Vous ressentez un manque de reconnaissance pour votre discipline au quotidien ?

Je me bats contre cela depuis que j’ai repris la présidence du CSSM. D’ailleurs en deux ans, j’ai réussi à obtenir un peu d’argent de la mairie de Paris. Ce n’est pas grand-chose par rapport à notre budget prévisionnel mais avant, on n’avait pas de subventions : on vivait des cotisations des membres et des dons. Ce n’est pas un hasard si les autres sports sourds grignotent des licenciés sur le foot. Souvent les collectivités ne garantissent pas de terrain d’entraînement aux équipes sourdes ou bien, elles en donnent un, le dimanche alors que les matchs sourds se jouent toujours le samedi…

« Au CSSM Paris, on est une dizaine d’internationaux, on sort d’une finale de Ligue des champions sourds en Grèce, mais on doit se limiter à une heure, une heure et demie d’entraînement le lundi soir en fonction de l’humeur du gardien. »

Joffrey Tavares

à franceinfo: sport

On m’a toujours dit que le foot féminin et Handisport étaient prioritaires mais même la Fédération sportive et gymnique du travail a plus de terrains réservés que nous. On ne va pas s’entraîner sur du macadam non plus…

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