Enzo Hodebar défie son entraîneur Benjamin Compaoré aux Championnats européens 2022

Ils arrivent en toute décontraction au point presse. Au moment où démarre l’entretien avec Benjamin Compaoré et Enzo Hodebar, les triathlètes français réalisent un triplé historique aux Championnats européens de Munich. « On n’a plus qu’à faire pareil », glisse tout sourire Compaoré, 34 ans, champion d’Europe en 2014. Les deux athlètes représentent le triple saut français en Bavière avec Jean-Marc Pontvianne. Benjamin Compaoré espère d’autant plus un bon résultat d’ensemble que son compatriote Enzo Hodebar, 23 ans, est son élève depuis 2020.

franceinfo:sport : Quelles sont vos ambitions pour ces Championnats européens ?

Enzo Hodebar : Moi, je viens pour gagner. Je suis dans un pic de forme, donc je veux monter sur le podium, c’est une certitude.

Benjamin Compaoré : Je réponds toujours en tant qu’entraîneur et athlète. Je viens avec un double objectif en tête. Pour qu’il monte sur le podium [en montrant son élève de la tête], et pour me faire plaisir. Ça rime avec performance, mais la partie athlète est moins importante. J’ai surtout envie d’être là pour Enzo, pour qu’il soit très bon, pour faire perdurer la tradition du triple saut français, en hommage à « Stieve » [Jean-Hervé Stiévenart, entraîneur emblématique du triple saut] qui nous a quittés, et puis pour raconter notre belle histoire.

Comment appréhendez-vous ce double rôle ?

BC : On a l’expérience d’Eugene (Etats-Unis), où c’était une première en triple saut qu’un coach et son athlète soient qualifiés aux Mondiaux, à ma connaissance. Même si on n’est pas arrivés pas en finale, cela nous a beaucoup servis parce qu’on s’est rendus compte des conditions des grands championnats internationaux. Sur les événements à plus petite échelle, il y a plus de proximité, moins de contraintes logistiques avec les caméras, les câbles. La facilité que j’ai d’habitude en meeting à me placer où je veux pour parler à Enzo, je ne l’ai pas retrouvée aux Etats-Unis.

Avez-vous été perturbés par cela ? 

EH : Moi, pas plus que ça, mais j’ai vu que pour toi [en regardant son coach], c’était plus compliqué, d’autant plus qu’on était sur deux sautoirs décalés.

BC : Je restais attentif à tout, mais c’était très difficile avec toutes ces contraintes. Résultat, je n’ai pas du tout réussi à me concentrer sur moi en tant qu’athlète, et c’est dommage que ça ne soit pas passé pour lui [pour seulement quatre centimètres]. Ici, on espère passer le cap des qualifications, déjà.

EH : [Avec un clin d’oeil] Avant de voir ce qu’on donne en finale !

Cela va être votre deuxième compétition internationale en quelques semaines…

BC : C’est la première chose que j’ai dite à Enzo. Il a une chance incroyable, en athlé, on a rarement deux événements de cette envergure de suite. Souvent, après un échec en grand championnat, on doit attendre une année pour porter à nouveau le maillot de l’équipe de France. [En s’adressant à son élève] Imagine, tu gagnes une médaille ici, la déception américaine est vite effacée. C’est comme si les Mondiaux avaient été ton petit apprentissage.

EH : C’est comme ça qu’on appréhende le truc, comme une supère occasion. Surtout que je reste un peu sur ma faim aux Mondiaux, où mon élan a été coupé. Je vais essayer de me rattraper ici.

Qu’est-ce que cela fait d’avoir son coach comme adversaire en compétition ?

EH : C’est motivant, ça crée une dynamique. On a envie d’être bons tous les deux. Par contre, quand je suis sur la piste, c’est moi contre les autres, je mets Benjamin au même niveau. Il y a beaucoup d’agresssivité, mais pas d’animosité, c’est la petite nuance.

BC : Il n’y a pas de pression particulière de l’échec ou de la réussite de l’autre. S’il rate de peu et que moi je passe, il sera content pour moi et vice-versa. Parce qu’il y a du respect et de la bienvaillance. Dans mon rôle d’éducateur, c’est ça qui prime, au-delà de la performance. On est surtout hyper heureux de partager ça ensemble. Le côté humain rend cette aventure passionnante. C’est un truc de fou. Demandez à n’importe quel autre entraîneur ici de le faire. On fait un truc tellement cool. Il devrait y avoir 100 journalistes pour écouter notre histoire.

EH : Avec les médailles, ça viendra, ne t’inquiète pas. Mais de toute façon, pour nous, ça reste un truc énorme.

Vous n’en avez pas marre de passer votre temps ensemble ? À l’entraînement, en stage, et même sur la piste ?

EH : Non, pas du tout ! Mais c’est sûr que les moments de coupures sont importants. Benjamin a une vie de famille, il part avec ses filles en vacances. Moi, je suis rentré chez moi, à Créteil. Après Eugene, on n’était pas ensemble pendant six jours, c’était la première fois de la saison qu’on faisait une pause aussi longue, à part après la fin de la saison en salle. On s’est séparés pour mieux se retrouver. Ça nous a fait du bien physiquement, ça nous a libéré l’esprit, et on a coupé avec l’athlétisme.

Quelle est votre relation en dehors des entraînements ?

BC : Je l’appelle, ne serait-ce que pour le réveiller quand il loupe les débuts de séances. [Il rigole avant de retrouver son sérieux.] Je ne l’entraînerais pas si je ne pouvais pas le supporter. La relation humaine prime avant tout, c’est ce que « Stieve » m’a transmis. Après, j’essaie de garder mon statut de coach quand je suis avec lui, mais en même temps, on n’a pas trente ans d’écart, seulement douze. Et j’entraîne d’autres athlètes aussi, dont Sohane [Aucagos, sacrée aux Mondiaux juniors de Cali début août]. Il y a une bonne dynamique de groupe avec tous les autres. Enzo n’a pas une relation privilégiée avec moi.

EH : [Dans un éclat de rire] C’est plus Sohane la chouchou de toute façon.

Comment se passent les entraînements ? 

BC : Je m’entraîne avant mes athlètes. Je fais toujours dans ce sens, parce que dans l’autre, nerveusement, c’est épuisant. Si on veut être attentif et pédagogue, c’est impossible de se réentraîner derrière une séance de coaching. Et puis, ça donne des moments sympas, quand les athlètes arrivent avant que je termine ma séance. C’est une façon de montrer que je suis encore là comme athlète.

EH : Quand ça arrive, on sort le popcorn, on s’assoit et on admire, c’est motivant de le voir à l’oeuvre. Quand c’est à nous, on essaie de faire aussi bien que lui.

Est-ce que vous vous voyez continuer longtemps ce double rôle ?

BC : Quand Enzo passera un cap, bientôt j’espère, et que je serai très loin de lui, je m’arrêterai. Le projet ne serait plus cohérent. Ça fait le mec qui s’accroche. En fait, c’est lui qui décide de la fin de la collaboration. S’il fait 17,40 m et que je reste à 17,10 m, je mettrais mon clignotant. Mais une chose après l’autre, pour l’instant on se concentre sur les Europe.

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