Après une première journée de qualifications jeudi 11 août, place aux premières finales des Championnats d’Europe de cyclisme sur piste, à Munich. Entre absence de favoris, calendrier chargé et nouvelle génération féminine, l’équipe de France pourrait créer des surprises selon François Pervis, septuple champion de France de cyclisme sur piste et consultant pour France Télévisions. Une compétition réussie redonnerait un peu de couleurs à la piste française à deux ans des Jeux de Paris.
Franceinfo: sport : Qu’attendez-vous de ces Championnats d’Europe ?
François Pervis : Ils tombent relativement mal et ne sont pas vraiment un objectif pour les grands favoris de chaque nation. Un des exemples les plus flagrant est l’absence du Néerlandais Harrie Lavreysen [champion olympique de vitesse individuelle et par équipes lors des Jeux de Tokyo et nonuple champion du monde], qui fait l’impasse en individuel et ne participe qu’à l’épreuve de vitesse par équipes.
Plusieurs raisons à cela : la piste et le calendrier chargé. Le vélodrome de Munich est une structure mobile, construite spécialement pour l’occasion. La piste est plus courte que d’habitude, elle ne fait que 200 mètres contre 250 mètres pour les autres compétitions. Les coureurs vont de plus en vite, et les chutes sont potentiellement plus dangereuses. Certains ne veulent pas prendre de risques, alors que se tiennent les Mondiaux dans deux mois [du 12 au 16 octobre à Saint-Quentin-en-Yvelines, là où se dérouleront les épreuves de Paris 2024]. Les cadors qui participent à Munich prennent le Championnat comme il vient. Mais c’est difficile d’avoir un pic de forme mi-août puis deux mois après. Ils sont actuellement dans une pleine phase de travail intensif pour les Mondiaux, ce qui entraîne beaucoup de fatigue.
Qui dit absence de cadors dit opportunité pour d’autres de briller…
Tout à fait. Certains coureurs « top-élites » font l’impasse et sont remplacés par des jeunes qui, eux, se donnent à 100% car ils savent qu’ils ne feront pas les Mondiaux. Les « Europe » sont donc leur grande échéance de l’année. Cela lisse les forces en présence et c’est comme ça que des outsiders peuvent créer des surprises.
Chez les Français, on peut compter sur [Sébastien] Vigier et [Rayan] Helal, et puis Mathilde Gros pour faire résonner la Marseillaise en individuel. C’est d’ailleurs intéressant de voir que Mathilde n’est plus seule chez les femmes, comme elle l’a longtemps été. La sélection féminine est rajeunie, certaines filles sortent tout juste des Europe espoirs lors desquels elles ont brillé [Julie Michaux, argent en vitesse individuelle, et Marie-Divine Kouamé, triplement médaillée à Anadia dont un l’or sur le 500 m contre-la-montre]. Ça promet pour elles.
La France a longtemps été une nation dominatrice sur la piste, avec un âge d’or à vers la fin des années 1990 et au début des années 2000…
À cette époque-là, nous étions en avance sur les infrastructures. On avait deux pôles France à l’Insep et à Hyères, alors que les autres pays avaient des rassemblements par-ci par-là. Les entraîneurs [le tandem Daniel Morelon et Gérard Quintyn] avaient décidé d’intégrer la musculation à l’entraînement. En sprint, on a besoin de force et d’explosivité. Ça a marché, on a commencé à avoir des bons résultats [première nation aux classements des médailles des championnats du monde entre 1994 et 1999, douze médailles dont huit titres aux Jeux olympiques de 1996 et de 2000]. On était aussi en avance niveau matériel avec la société Look et les premiers vélos en carbone. Tout ça a fait qu’on a collectionné les médailles. On était la bête noire de tout le monde. En vitesse individuelle aux Championnats du monde de 2001, les Français font 1, 2, 3. C’est quelque chose d’inimaginable aujourd’hui.
« La politique fédérale française est assez catastrophique en termes de détection »
François Pervisfranceinfo:sport
Justement, depuis 2012, la piste française est rentrée dans le rang. Comment expliquez-vous cet essoufflement ?
La France s’est reposée sur ses lauriers et ne fait plus peur. On n’a pas cherché à optimiser la performance. On s’est contenté de rester à notre niveau, mais à force, les autres nous ont rattrapés, et même dépassés. Les niveaux se sont resserrés partout. Même les petites nations font de super résultats – l’Inde notamment a fait de grands progrès. Certaines nations se sont entièrement tournées vers l’amélioration technologique. Regardez les Britanniques, qui travaillent avec des ingénieurs de chez Lotus ou Mclaren, ils ont des budgets incroyables. C’est difficile de les concurrencer.
On se bat avec nos armes : il y a trois, quatre ans, notre budget sprint tournait autour des 130 000 euros quand les Britanniques débloquent 17 millions de livres. Avec cet argent, ils misent sur la recherche et développement et la qualité du staff. La politique fédérale française est assez catastrophique en termes de détection. On ne sait plus faire. Il y a deux ans, quelqu’un de la fédé me disait qu’il ne pouvait rien faire en matière de détection, car il n’avait pas de moyens.
Pourtant, les Championnats du monde se déroulent deux années de suite en Hexagone (Roubaix en 2021, Saint-Quentin-en-Yvelines cette année). On ne peut pas dire qu’on manque d’infrastructures.
Non c’est vrai. Surtout qu’il y a plein de beaux projets de vélodromes couverts en France à Loudéac, vers Besançon, Essarts, Angers. Récemment il y a un vélodrome qui est sorti à Laval. Les Championnats du monde en 2027 n’ont pas été encore attribués, mais la région Rhône-Alpes s’est positionnée – en tout cas les élus locaux ont fait part de leur accord pour construire un vélodrome. Tout ça fait qu’on va réussir à remettre du monde sur la piste, à trouver des pépites et à redevenir une nation compétitive.
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