Le Français Saifedine Alekma (à gauche) lors des championnats d'Europe de lutte, à Varsovie (Pologne), le 19 avril 2021. (MAXPPP)

La vie d’athlète de haut niveau non professionnel ne s’apparente pas à un long fleuve tranquille, notamment du point de vue financier. Si les sportifs professionnels sont en contrat avec leur club et perçoivent donc un salaire mensuel, pour beaucoup d’autres en revanche, les finances reposent uniquement sur les sponsors, les contrats d’image et les éventuels « prize money » remportés en compétition. Des situations parfois précaires, aussi nombreuses et diverses qu’il y a d’athlètes, et ce, même au sein des disciplines historiques des Jeux olympiques et paralympiques.

Le lutteur de l’équipe de France Saifedine Alekma peut en attester. Le vice-champion d’Europe de sa catégorie (-79 kg) en 2021, 8e au classement mondial, a longtemps jonglé entre sa vie d’athlète de haut niveau et les petits boulots. « Juste avant ma médaille d’argent aux championnats d’Europe, j’étais au chômage. C’était une période très compliquée », se souvient-il. « Des coachings à droite à gauche », et « un contrat d’avenir avec son club pendant trois ans » lui ont permis de rester à flot, non sans difficultés.

Une situation d’autant plus difficile alors que les compétitions de lutte n’accordent que très peu de « prize money ». « Cela dépend des tournois mais de manière générale, nous n’en touchons pas. L’an passé, j’ai fait un tournoi en Pologne, le vainqueur a gagné 150 euros et une boite de chocolats », raconte, amer, Saifedine Alekma. Côté sponsors, la situation n’est guère mieux. En juin, le lutteur était encore à la recherche d’un partenaire financier. « Je suis conscient que la lutte n’est pas un sport médiatisé en France, et que cela freine à la recherche de partenaires », constate-t-il. 

« C’est usant physiquement et psychologiquement, surtout dans les phases de préparation de compétitions où les entraînements sont très intensifs. »

Saifedine Alekma, lutteur

à franceinfo: sport

Pour soutenir les athlètes comme Saifedine Alekma, l’Agence nationale du sport (ANS), qui a récupéré les prérogatives d’accompagnement financier du ministère des Sports en 2019 en vue des Jeux de Paris 2024, propose plusieurs dispositifs. Des aides personnalisées aux conventions d’insertion professionnelle (CIP), ils représentent autant de solutions proposées aux athlètes connaissant de grandes difficultés financières. Ils permettent aux sportifs concernés de toucher l’équivalent d’un smic. Pour accompagner les athlètes tricolores vers Paris 2024, le budget pour la haute performance a augmenté de 10% entre 2021 et 2022, selon l’ANS, passant de près de 100 millions d’euros à plus de 110 millions en 2022.

« Les conventions d’insertion professionnelle permettent aux sportifs d’être salariés d’une administration, d’une collectivité ou d’une entreprise et de bénéficier d’un aménagement de leur temps de travail », explique Maguy Nestoret-Ontanon, conseillère en haute performance à l’ANS. Après deux refus, Saifedine Alekma a vu son dossier accepté lors de la commission du 22 juin, pilotée par l’ANS. Grâce à ce contrat, il va ainsi intégrer l’armée de terre. Cette décision lui apportera dès novembre une « sérénité financière » pour se projeter vers Paris 2024.

Avant cette commission, Saifedine Alekma n’avait reçu que des aides personnalisées de l’ANS, à hauteur de 4 000 euros en 2021 et de 4 500 en 2022. Une disette financière expliquée par son retrait, entre fin 2017 et fin 2020, des listes ministérielles de sportifs de haut niveau, établies tous les ans par les fédérations. L’inscription est la condition pour percevoir toute aide de l’agence. « Il a été inscrit pendant plusieurs années sur la liste de haut niveau jeunes, mais en passant chez les séniors, il n’avait pas les références de performance demandées en compétition par l’ANS », justifie le DTN de la Fédération française de la lutte et directeur de la performance, Patrick Vazeilles. Il a toutefois retrouvé ce statut après sa médaille d’argent aux championnats d’Europe en 2021.

Comme Saifedine Alekma, l’escrimeuse Auriane Mallo, 17e mondiale, cherche des partenaires pour l’accompagner jusqu’à Paris 2024, afin de se créer « un airbag de secours » pour « la vie de tous les jours, pour vivre ». Bref, il s’agit de trouver, pour l’épéiste triple championne d’Europe par équipes, un revenu complémentaire.

L’athlète et maman de 28 ans partage son temps entre sa carrière de haut niveau et son métier de kinésithérapeute. Elle bénéficie d’une convention d’insertion professionnelle (à hauteur de 35 000 euros par an) dans un centre de rééducation, convention financée par l’ANS, sa fédération et son employeur. Ajoutée au contrat initial signé entre Auriane Mallo et son employeur, elle permet de définir les modalités d’aménagement de son emploi et la compensation financière de l’Agence et de la fédération. « Dans le cas d’Auriane, sa CIP lui permet de bénéficier d’un détachement d’environ 70% de son temps de travail, sans perte de salaire », précise Odile Pellegrino, conseillère haute performance à l’ANS. 

L'épéiste française Auriane Mallo, lors des championnats d'Europe d'escrime à Novi Sad (Serbie), en juin 2018. (AUGUSTO BIZZI / FFE)

Malgré ces filets de sécurité, l’escrimeuse se montre inquiète. « Cela reste des situations précaires car d’une année sur l’autre, on ne sait pas comment on va gagner notre vie. Cela dépend aussi de nos résultats, ce qui ajoute de la pression. Mais c’est la règle du haut niveau », admet-elle. 

Toutefois, une fois signée, cette convention reste inchangée sur l’année en cours. Seule modification possible : la répartition de la prise en charge financière de la CIP entre la fédération et l’employeur en fonction des résultats. « Si les résultats sont au rendez-vous [médailles lors des championnats du monde et Jeux olympiques], la fédération prendra en charge une partie plus importante, sinon c’est l’employeur qui la prendra à sa charge », affirme Odile Pellegrino. 

Autre dispositif, les aides personnalisées ont été mises en place depuis 2021. Elles permettent aux athlètes de percevoir un complétement de revenus, plafonné à hauteur de 40 000 euros. Pour cela, les situations sociales et individuelles sont analysées par l’agence. « On regarde entre un emploi, un contrat d’image, une bourse de mécénat par exemple, combien il manque à l’athlète pour arriver aux 40 000 euros », précise Maguy Nestoret-Ontanon.

Les situations des athlètes sont revues deux fois par an pour coller au plus près de la réalité. « Cette année, nous avons environ 5 000 sportifs inscrits sur les listes de haut niveau, appronfondit Odile Pellegrino de l’ANS. Sur ce nombre, près de 2 000 ont bénéficié d’aides personnalisées, et sur ces 2 000, nous avons identifié environ 400 athlètes potentiellement médaillables, aux revenus très faibles, et qui sont donc prioritaires pour ce type d’aide, et pour lesquels on s’engage à ce qu’ils aient ce niveau de revenu minimum. »

« Pour cette aide, cela concerne généralement des sports moins médiatisés. Il s’agit souvent de disciplines individuelles, les sports collectifs étant soumis à des contrats professionnels. »

Maguy Nestoret-Ontanon, conseillère haute performance à l’ANS

à franceinfo: sport

C’est notamment le cas du judoka Hélios Latchoumanaya, médaillé de bronze aux Jeux paralympiques de Tokyo (catégorie des -90 kg). Intégré au cercle de performance pour Paris 2024, le Tarbais de 22 ans reçoit les aides personnalisées de l’ANS.

Celles-ci complètent ses revenus composés d’un contrat d’image, d’une convention d’insertion professionnelle d’un an renouvelable au sein de l’Insep (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance) ainsi qu’une bourse accordée par son club. « En judo, quand on est en équipe olympique et paralympique, on commence à pouvoir vivre de son sport, mais pour tous les jeunes qui sont derrière, c’est dur. Il y a encore un an, je n’avais que ma bourse du club, autrement dit je n’avais pas grand-chose pour vivre », raconte Hélios Latchoumanaya.

Le judoka français Hélios Latchoumanaya (à d.) affronte le Kazakhstanais Zhanbota Amannzhol pour la médaille de bronze des -90 kg, lors des Jeux paralympiques de Tokyo, le 29 août 2021. (KAZUHIRO NOGI / AFP)

Si aujourd’hui le judoka se dit à l’abri financièrement grâce aux aides, sa situation pourrait se complexifier à la rentrée. « A partir de septembre, je vais quitter l’Insep », explique celui qui y a vécu pendant quatre ans.

Toutefois confiant, le judoka a prévu de budgétiser cet été ses prochaines saisons, entre logement, vie quotidienne et déplacements en stages. « Les stages et les équipements sont pris en charge par la fédération mais dans une certaine limite, encore plus chez les paralympiques. Mon objectif est de partir régulièrement en stage personnalisé à l’étranger, afin de me confronter aux adversaires, à leur style de judo, afin d’apprendre à les appréhender. Si je veux en faire plus que ce que propose la fédération, c’est à moi de financer », explique-t-il.

Même son de cloche pour le kayakiste Guillaume Burger. Le vice-champion du monde K-4 1 000 m (course en ligne) en 2009 espère se qualifier pour l’épreuve par équipes du kayak 4 places 500 mètres à Paris 2024. « L’ANS nous aide beaucoup mais le haut niveau demande beaucoup d’investissement. Si on veut se donner les moyens de nos ambitions, on ne peut pas simplement attendre le ministère ou l’Agence pour avancer, pour aller chercher la très haute performance », poursuit-il.

Guillaume Burger et ses coéquipiers (Maxime Beaumont, Quilian Koch et Guillaume Le Floch Decorchemont) ont besoin de s’entraîner ensemble lors de stages additionnels, et donc non financés par leur fédération. Pour rendre ce projet possible, ils ont lancé une cagnotte de financement participatif afin de préparer les championnats du monde, à Halifax (Canada), du 3 au 7 août. L’objectif, qui a été atteint, était de récolter 2 000 euros, afin de financer les déplacements, les logements, les repas ainsi que du matériel supplémentaire.

Le kayakiste française Guillaume Burger à l'entraînement. (BALINT VEKASSY / FFCK)

Après avoir enchaîné des petits boulots pendant des années, avant de participer aux Jeux olympiques de Tokyo alors qu’il était au chômage, Guillaume Burger s’est enlevé une épine du pied. Il a signé un contrat professionnel avec le club de Boulogne (ACBB) en février. « En complément, j’ai des sponsors, avec du mécénat notamment. Cela me permet d’avoir mon budget pour la saison », témoigne celui qui est désormais « serein pour les deux ou trois prochaines années ». « Je suis très content d’avoir réglé mon cas individuel mais comme je pratique un sport d’équipe, il faut trouver un moyen pour mes équipiers, qui ne sont pas dans ma situation. Tout seul, je n’y arriverai pas. »

Au-delà des aides pour les plus précaires, l’ANS accompagne l’ensemble des athlètes de haut niveau, même ceux ne pratiquant pas une discipline olympique ou paralympique. Il s’agit notamment de financer le matériel, les stages et les déplacements des « athlètes qui sont au-dessus de 40 000 euros par an », développe Maguy Nestoret-Ontanon. Les athlètes peuvent également s’appuyer sur des aides des collectivités territoriales, qui ont des dispositifs de soutien aux sportifs.

A deux ans des Jeux de Paris, l’Agence nationale du sport se félicite du travail accompli récemment. Il y a sept ans, un rapport alarmant sur « les situations juridiques et sociales » des athlètes de haut niveau et professionnels, réalisé par Brigitte Bourguignon, alors députée, avait été publié. Il observait que « 40% des athlètes de haut niveau [vivaient] en dessous du seuil de pauvreté », qui correspond à un revenu de 1 102 euros par mois.

« Aujourd’hui, on n’est plus dans les mêmes proportions et la situation socioprofessionnelle des athlètes s’est considérablement améliorée », assure Maguy Nestoret-Ontanon. Selon cette dernière, aux Jeux de Tokyo, ils n’étaient plus que 10% dans ce cas.

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