Martine, Dominique et Fabrice Travet, spectateurs rencontrés entre Morzine et Megève (Haute-Savoie), le 12 juillet 2022, lors de la 10e étape du Tour France. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

, mais c’est bizarrePour voir « en vrai » le Tour de France, la famille Travet a traversé toute la France et roulé très exactement 773 kilomètres à bord de son camping-car. Delphine Geri, elle, a marché dix minutes à pied depuis le bureau. Quant à Christian Thévenot, il n’avait qu’à passer sa tête par-dessus la barrière du jardin. Combien étaient-ils, encore, mardi 12 juillet, agglutinés au bord des routes haut-savoyardes entre Morzine et Megève ?

Surtout, pourquoi sont-ils là, prêts à attendre des heures sous le soleil des coureurs qui passeront devant eux façon nuage de poussière ? Franceinfo a passé la 10e étape dans la roue de ces Français, anonymes, pour qu’ils nous racontent ce que représente la Grande Boucle à leur yeux.

« Le Tour nous maintient en vie, ma famille et moi »

Martine, Dominique et Fabrice Travet, spectateurs rencontrés entre Morzine et Megève (Haute-Savoie), le 12 juillet 2022, lors de la 10e étape du Tour France. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Martine Travet, 59 ans, auxiliaire de vie. Deux jours qu’on est là, garés sur ce parking. On vient de la Somme, un village près d’Abbeville. On a fait la route avec « papi », c’est comme ça qu’on appelle notre camping-car, il n’est plus très jeune, il a 20 ans. Il y a Dominique, mon mari, et il y a Fabrice, notre fils, handicapé. Le Tour, c’est sa grande évasion. Vous avez vu son grand sourire ? Il n’y a pas grand-chose qui le rend aussi heureux.

Je sais qu’il y a des gens qui ne comprennent pas qu’on soit là. A les écouter, on n’aurait pas le droit au bonheur, on devrait rester chez nous et nous morfondre puisque notre enfant a des difficultés. C’est déjà arrivé qu’on nous demande pourquoi on est là. Pourquoi est là ? Mais pour vivre, enfin ! Pour profiter ! Le Tour de France, ça nous maintient en vie, ma famille et moi. La vie est tellement vache par moments, qu’il faut profiter. Ca nous fait un bien d’être là, loin de la maison et de notre vie de tous les jours.

Dès que les coureurs sont passés, on grimpe dans notre cabane à roulettes, on allume la télé pour suivre le reste de l’étape. Et le soir, on débriefe la course, on dit ce qu’on a aimé, pas aimé. Et Fabrice, dans son fauteuil, il a toujours plein de choses à dire, vous devriez voir ça.

« Après, on joue au Tour de France avec les copains »

Auriane et Clément, spectateurs rencontrés entre Morzine et Megève (Haute-Savoie), le 12 juillet 2022, lors de la 10e étape du Tour France. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Clément, 9 ans, écolier. Avec ma petite sœur Auriane, on a fait une pancarte. On a écrit « coucou les Pillet ». Les Pillet, ce sont des amis. On a un jeu avec eux : si on passe à la télé, ils doivent nous offrir à chacun un cornet de glace avec quatre boules. 

Je suis là pour regarder les coureurs. Car après, on joue au Tour de France avec les copains pour s’amuser. L’autre jour, on a fait une mini-course à Versailles où on habite. C’était un peu pareil que le Tour. Mais ça ne faisait que 2 kilomètres. Et puis nous, on n’était que quatre. Moi, j’ai terminé deuxième. Le copain qui a gagné, il a fait comme un gorille quand il est arrivé, il a tapé des mains contre lui. Il avait vu ça a la télé. Je vais regarder ce que le vainqueur va faire aujourd’hui : je pourrais faire pareil après avec les copains.

« Ça change de la maison de retraite »

Véronique Perche, spectatrice rencontrée entre Morzine et Megève (Haute-Savoie), le 12 juillet 2022, lors de la 10e étape du Tour France. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Véronique Perche, 85 ans, résidente d’une maison de retraite. J’ai mis mon chapeau parce qu’il faut se faire beau pour le Tour. Les filles de la maison de retraite nous ont prévenus ce matin qu’on allait voir les coureurs. Elles sont gentilles. Ça change des activités qu’on fait d’habitude, vous ne pouvez pas savoir comme ça fait du bien. Ca change du quotidien, toujours un peu enfermé dans nos chambres, toujours avec les mêmes personnes. Là, on prend l’air, on voit plein de gens, ça nous sort. Et puis ça fait une belle animation, toutes ces voitures de la caravane. Ah, il y en a une qui arrive ? Une rouge. C’est quoi ? 

Bon, je ne peux rien rattraper avec mes bras, je suis trop vieille. Mais ce n’est pas important. Je ne connais pas les coureurs non plus. Mais tout à l’heure, quand ils passeront devant mon fauteuil, je serai aux premières loges. Je vais les encourager, je vais crier. 

J’ai quatre enfants, sept petits-enfants et quatre arrière-petits-enfants, et aucun ne sait que je suis là. Ma fille doit venir me voir ce soir. Je vais lui dire : « tu sais ce que j’ai fait aujourd’hui ? J’ai vu le Tour de France ! En vrai hein, pas à la télé, pas dans la chambre, en vrai !

« C’est un peu Noël en plein été »

Adeline Rodriguez, spectatrice rencontrée entre Morzine et Megève (Haute-Savoie), le 12 juillet 2022, lors de la 10e étape du Tour France. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Adeline Rodriguez, 30 ans, mère au foyer. On est venus à pied avec les trois enfants, Malo, Ambre et Alba, et avec le chien Newton. Le Tour, c’est un peu Noël en plein été. C’est un spectacle gratuit, facile à organiser, et il y a des cadeaux avec la caravane, des bonbons, des casquettes…

C’est un souvenir d’été qui compte, ça dépayse tout en restant chez soi. J’ai des souvenirs d’enfance qui remontent. Moi aussi je courais après des goodies quand j’étais petite. Je revois mon père, avec son transat, qui se met au bord de la route. Je revois ma mère, avec sa pancarte, et les tee-shirts jaunes qui volent. Et cette fois, c’est moi qui refais pareil avec mes propres enfants, c’est chouette. Le plus grand, Malo, devait avoir un an quand on l’a emmené la première fois sur le Tour.

« C’est un prétexte pour voir les copains »

Marie-Paule Andréa, spectatrice rencontrée entre Morzine et Megève (Haute-Savoie), le 12 juillet 2022, lors de la 10e étape du Tour France. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Marie-Paule Andréa, 63 ans, coach sportive. On est venus à six d’Isère, trois couples, Gérard, Martine, Joëlle, Jacques, Michel et moi. On est amis depuis quarante ans. Je dois vous le dire : le Tour, en fait, c’est un prétexte pour voir les copains. Je dirais même que ça nous oblige à nous réunir en juillet. Sans le Tour, on se serait vus, mais quand ? Je ne sais pas. Là, on profite de l’étape pour nous retrouver tous ensemble. 

On passe des moments sympathiques sur les bords de route. Mais on ne parle pas forcément de la course. On parle de tout, de la vie, de nos petits-enfants. On parle d’autre chose que du Covid, de la crise… Et quand les coureurs arrivent, on se met en position avec l’appareil photo.  

Après, entre nous, qui gagne, qui perd… Le vainqueur pourrait me passer devant que je ne le reconnaîtrais même pas… mais ce n’est pas grave puisque j’aurais vu les copains.

« C’est de la transmission avec les petits-enfants »

Denis Perrot, spectateur rencontré entre Morzine et Megève (Haute-Savoie), le 12 juillet 2022, lors de la 10e étape du Tour France. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Denis Perrot, 70 ans, agriculteur à la retraite. Je suis venu en famille. Il y a mon épouse, mon beau-frère, ma belle-sœur et les petits-enfants. On fait plusieurs étapes tous ensemble, six en tout. Pour moi, le Tour, c’est de la transmission. Les petits, j’ai fini par les contaminer avec mes histoires de vélo. Les emmener sur les bords de la course, c’est comme une piqûre de rappel dont les effets secondaires n’ont pas l’air désagréables.

Je sais déjà qu’ils vont encore me poser plein de questions. Quand je vais leur expliquer qu’à mon époque, les coureurs avaient une chambre à air autour du cou, au cas où ils crèvent. Quand je vais leur dire qu’à mon époque, les types se changeaient dans un fourgon. Quand je vais leur dire que les stars de mon époque, c’était Jacques Anquetil et Raymond Poulidor. Je le vois de là : « Qui c’est lui, Jacques Anquetil ? » C’est comme leur parler de Charles Trénet ou du Général de Gaulle. Eux, ils me parlent de Thibaut Pinot. Ca créé des souvenirs. Ils feront peut-être pareil, eux, plus tard.

« Faire ses sandwiches, c’est déjà le Tour »

Sam Mazzega et Estelle Million, spectateurs rencontrés entre Morzine et Megève (Haute-Savoie), le 12 juillet 2022, lors de la 10e étape du Tour France. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Sam Mazzega, chauffeur-livreur pour les cantines scolaires, 22 ans. Je ne connais pas d’autres événements où on attend aussi longtemps quelque chose dont on profite en réalité seulement quelques secondes. Avec Estelle, on a déplié les chaises ici à 7h30 et les coureurs sont passés vers 15 heures, 15h30. On a même eu le temps de continuer notre nuit dans la voiture. Mais je crois que c’est ça le charme du Tour de France : c‘est de la préparation. On a décalé exprès d’une journée notre départ dans le Sud de la France pour les vacances parce qu’il y avait le tour. On est venus repérer l’endroit il y a quatre jours, et on s’est dit : Ok, c’est là qu’on se mettra. Il y a de l’ombre, le sommet est juste là, parfait.

Rien que sortir la glacière, c’est déjà le Tour. Faire ses sandwiches, c’est déjà le Tour. Des copains nous ont dit qu’on serait mieux dans notre lit. Nous, on pense qu’on va passer une bonne journée sur cette pelouse.

« C’est pour voir Thibaut Pinot et Thibaut Pinot nous a vus, je vous jure »

Erwan Launay, spectateur rencontré entre Morzine et Megève (Haute-Savoie), le 12 juillet 2022, lors de la 10e étape du Tour France. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Erwan Launay, 13 ans, collégien. Je suis là pour voir Thibaut. Enfin Thibaut Pinot. Je l’appelle Thibaut parce qu’on vient de la même région, la Franche-Comté. Et il nous a vus l’autre jour, je vous jure ! Il a vu notre pancarte en descendant. On était le long de la route avec les autres et il a tourné la tête, et il a même fait un « V » avec ses mains. Ca m’a fait très, très plaisir. Après, j’aurais bien aimé discuter avec lui, même si je ne sais pas ce que je lui aurais dit, j’aurais été timide. Vous lui avez déjà parlé, vous ?

Je l’aime bien, Thibaut. Je parle souvent de lui, peut-être trop. Mais voilà, il se bat, il grimpe bien, il grimpe vite. Ah, et il ne laisse pas tout tomber comme ça. Au début, j’avais l’impression qu’il n’était pas trop dans son assiette sur ce Tour. Et puis maintenant, j’ai l’impression que ça va mieux. Je pense qu’il peut faire podium. On peut parier.

« Je me dis que je ne fais pas le même sport »

Claude Carret, spectateur rencontré entre Morzine et Megève (Haute-Savoie), le 12 juillet 2022, lors de la 10e étape du Tour France. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Claude Carret, 73 ans, retraité. Le Tour, c’est mon moment de l’année. Pendant trois semaines, c’est la même chose : vers 17 heures, il ne faut pas me déranger, j’arrête tout et je me débrouille pour être devant une télé pour suivre les arrivées. Aujourd’hui, j’ai fait mieux, je suis venu avec mon vélo, ma tenue. Les cols qu’ils grimpent, je les connais bien. Quand j’y passe, j’ai un peu l’impression de faire le Tour de France moi aussi. Après, il y a la réalité : eux, ils appuient comme des fous sur les pédales. 

Le Galibier là-bas ? Très, très, très dur. Tenez, pour venir, j’ai monté le col des Saisies, plus de 1 600 mètres d’altitude, hyper casse-pattes. A chaque fois, sur ma selle, je me dis que je ne fais pas le même sport. Pas le même moteur. Avant, je comparais leurs temps avec les miens, pareil, c’est fini ça. Je sais ce qu’ils vivent, ce qu’ils endurent, et c’est pour ça que je les admire encore plus. Le Tour, ça me donne à chaque fois encore plus envie de faire du vélo.

« Avec le Tour, j’ai de nouveau 10 ans »

Delphine Geri, spectatrice rencontrée entre Morzine et Megève (Haute-Savoie), le 12 juillet 2022, lors de la 10e étape du Tour France. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Delphine Geri, 43 ans, secrétaire. Exceptionnellement, notre responsable nous a autorisé une pause les collègues pour le passage de la caravane publicitaire. Pour la remercier, on lui a promis de lui offrir un des goodies qu’on aura récupérés. Ne lui dites pas que pour l’instant, on est à zéro cadeau… 

Pour moi, le Tour, c’est ça. Un retour à l’enfance. J’ai 43 ans mais avec le Tour, j’ai de nouveau 10 ans. Vous avez vu autour de nous, tous ces adultes qui bataillent sur un bord de route pour essayer d’attraper un porte-clé qui finira certainement au fond d’un tiroir ? Voilà, j’adore ce côté festif, tout le monde est plus relax. J’ai plein de souvenirs qui remontent. Mon père qui a failli renverser Marco Pantani [coureur italien] un jour. Mon père qui me disait, gamine, où me mettre pour bien tout voir, plutôt dans une montée, plutôt avant ou après un virage, parce que la caravane et les coureurs vont moins vite à ces endroits-là. Vous avez vu où je suis aujourd’hui ? Après un virage…

« Ca fait discuter avec les voisins »

Christian Thévenot, spectateur rencontré entre Morzine et Megève (Haute-Savoie), le 12 juillet 2022, lors de la 10e étape du Tour France. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Christian Thévenot, 66 ans, retraité. Je ne pense pas qu’on puisse mieux voir les coureurs que devant ma maison. Quand ils vont passer tout à l’heure, j’aurais juste à passer la tête par-dessus la barrière. Ils vont rouler juste devant chez nous. Dans le village, on ne parle que du Tour de France depuis plusieurs jours. La route a été refaite il y a deux semaines, elle est nickel. Devant chez nous, devant chez les voisins d’en face, il y a des ballons qui ont été accrochés. Plus loin, il y a d’autres décorations. Le temps s’est comme arrêté. Ca fait discuter avec les voisins, on revoit des gens. D’ailleurs, on n’a jamais vu autant de monde passer dans le coin. Des voitures de gendarmes, des touristes, des spectateurs qui cherchent une bonne place… Et puis, demain ou après-demain, la vie normale reprendra dans le village. Mais on aura vécu un truc qui change du reste de l’année. Et je suis sûr qu’on en reparlera longtemps entre nous.

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