Qui a bien pu passer plus de temps que Magnus Cort-Nielsen à l’avant de la course depuis le début du Tour de France 2022 ? Sur sa moto jaune, l’ardoisière du Tour, Claire Pedrono, fait certainement de la concurrence au coureur danois au nombre de kilomètres avalés en tête. Avec neuf Grandes Boucles à son compteur, cette ancienne cycliste semi-professionnelle passe ses mois de juillet au coeur de la course, avec un point de vue privilégié pour assister aux exploits des coureurs.
« Ma mission, c’est informer sans gêner ». Ardoisière sur le Tour de France depuis 2010, Claire Pedrono prend son rôle très à coeur. Vêtue intégralement de jaune, facilement repérable par les coureurs, c’est elle qui leur donne les informations sur les écarts entre la tête de la course et le peloton. « Sur mon ardoise, j’écris l’avance que les échappés ont sur le peloton, puis j’attends le peloton pour l’informer de son retard et des noms ou des numéros de dossards des hommes à l’avant », explique-t-elle. Pour obtenir ces informations, elle peut compter sur l’aide d’autres motos : « Une première moto se met à l’avant avec les échappés, et indique à quel moment ils passent tel panneau distinctif. Puis la moto qui suit avec le groupe suivant déclenche son chrono et indique au bout de combien de temps elle atteint ce panneau. Dans la foulée, elle me donne l’information, pour que je la transmette ».
Chargée d’affaires en banque d’entreprises le reste de l’année, Claire Pedrono est ardoisière pour la neuvième fois sur le Tour de France, pendant ses congés. Un poste rêvé qu’elle a pourtant eu du mal à obtenir. « J’ai fait beaucoup de cyclisme, et quand j’ai levé un peu le pied, j’avais envie de rester dans le vélo, en travaillant pour le Tour, raconte celle qui a participé à la Grande Boucle Féminine internationale, l’ancêtre du Tour de France femmes, en 2005. J’ai postulé à de multiples reprises pour essayer de travailler au sein de la caravane, ou à l’accueil d’invités, sans succès. Puis j’ai assisté à une conférence où Christian Prudhomme était l’invité d’honneur, donc je suis allée à sa rencontre pour lui remettre directement un CV et une lettre de motivation. Je pense que ça lui a plu puisque quelques semaines plus tard j’étais contactée par ASO [Amaury Sport Organisation, organisateurs du Tour de France] ».
La voici donc embarquée dans la Grande Boucle, en 2010, à une époque où les femmes se faisaient encore rares autour du peloton : « Je pense que ça a suscité l’intérêt. Des commissaires de la fédération sont même venues me remercier d’avoir ouvert la voie et de montrer qu’on pouvait faire le job ». À l’arrière de sa moto, Claire Pedrono arpente le parcours du Tour à toute vitesse, en faisant des allers-retours entre l’échappée et le peloton, tout en essayant de conserver une écriture lisible de tous. « Quand je suis à l’avant et que j’attends le peloton pour l’informer, j’ai le temps de m’arrêter pour écrire. Mais quand nous repartons à l’avant et que nous roulons très vite pour remonter, c’est moins pratique donc je profite des encombrements avec les voitures d’équipes et les autres motos pour écrire », explique-t-elle.
Avec son pilote, l’ardoisière ne prend les devants que lorsqu’un groupe se détache avec un écart significatif de plus de 25 secondes. Et malgré la généralisation des oreillettes au sein de peloton, grâce auxquelles les coureurs peuvent communiquer avec leurs directeurs sportifs, Claire Pedrono reste convaincue de l’utilité des ardoisiers. « Les échappés donnent tout de même un coup d’oeil à l’ardoise, puisque pendant l’effort, la mémoire visuelle est meilleure que la mémoire auditive. C’est avant tout un confort pour eux, alors que sur certaines courses où ils n’ont pas d’oreillettes, comme sur les championnats du monde, ça devient un poste stratégique et indispensable », assure-t-elle.
Au coeur de la course, l’ardoisière est aussi au centre des stratégies des équipes : « Ça m’arrive d’entendre les coureurs se parler. Je me souviens d’une étape durant laquelle ceux d’Europcar discutaient. J’ai dit à mon pilote que je sentais que ça allait partir, et quelques secondes plus tard, ils attaquaient. Je ne vois pas toujours le coup se préparer, mais j’ai quand même souvent l’opportunité d’assister aux moments clés de la course ».
Et lorsque les conditions se dégradent, Claire Pedrono partage la douleur des coureurs. « J’ai toujours beaucoup d’admiration pour eux. Je me souviens d’une étape, sur mon premier Tour, entre Pau et le col du Tourmalet. Le brouillard était très dense et on voyait à peine les vélos. À Arenberg aussi cette année, en voyant la tête des coureurs après les secteurs pavés, j’avais mal pour eux », raconte-t-elle. L’ardoisière, qui officie également sur Paris-Nice et Paris-Tours espoirs, espère d’ailleurs retourner sur les routes du Nord, pour le prochain Paris-Roubaix.
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