Julian Alaphilippe après sa chute sur le Tour des Flandres, le 18 octobre 2020. (DIRK WAEM / BELGA MAG)

Vingt-trois ans. Il a fallu attendre une génération pour de nouveau voir un Français champion du monde de cyclisme, après le sacre de Laurent Brochard en 1997. Comme une évidence, celui qui a remis la main sur ce maillot arc-en-ciel, c’est aussi celui qui fait la pluie et (surtout) le beau temps dans le cyclisme français depuis quelques années : Julian Alaphilippe. Armé de son panache et de son punch, « Alaf’ » avait attaqué à 11 km de l’arrivée pour s’envoler vers son sacre mondial. Un triomphe historique, suivie d’une saison forcément particulière, maillot arc-en-ciel sur le dos. Une saison dont Julian Alaphilippe a profité, savourant le port d’un maillot qui l’a pourtant, parfois, handicapé.

Sur les terres d’un Wout Van Aert archi-favori, Julian Alaphilippe remet donc sa couronne en jeu. Et à la veille du départ, il n’a pas caché son état d’esprit dans les colonnes de L’Equipe : « C’est la course où je vais me sentir le plus léger de toute la saison, vraiment, vraiment. (…) Si je suis amené à perdre le maillot, ce sera plus un soulagement qu’une déception. Depuis un an, j’ai tellement eu à cœur, sur chaque course, tout le temps, de l’honorer, que je me suis rajouté de la pression », analyse le Français, lucide et visiblement fatigué après une année éprouvante.

Il faut dire que porter le maillot arc-en-ciel, c’est être particulièrement scruté à chaque course dont on prend le départ. Et sollicité, que ce soit par les médias, le public ou les partenaires. Et quand bien même la tunique irisée « motive » et « procure des sensations spéciales », comme l’a reconnu toute la saison Julian Alaphilippe, elle incombe certaines responsabilités, et un autre regard du peloton. Sans parler de la légendaire – et jamais réellement prouvée – malédiction du maillot arc-en-ciel, que le Français a touché du doigt dès sa première sortie paré des cinq couleurs.

Souvenez-vous : une semaine après le sacre d’Imola, Alaphilippe se présente au départ de Liège-Bastogne-Liège, qui n’a plus vu un vainqueur français depuis 40 ans et une victoire mythique de Bernard Hinault. La pression est grande sur les épaules du puncheur tricolore, déterminé à honorer le maillot. Mais après avoir levé les bras trop tôt, il est devancé sur la ligne par Primoz Roglic, puis déclassé pour un écart dangereux sur Marc Hirschi. Un geste qui ne ressemble pas du tout à Julian Alaphilippe, qui a d’ailleurs mal vécu cet incident. On pense alors le Français parti pour une année de malédiction.

Pour digérer ce souvenir liégeois, il s’aligne trois jours plus tard sur la Flèche Brabançonne. Le pari est réussi : au sprint, un Alaphilippe arc-en-ciel rayonne et s’impose devant Mathieu Van der Poel. Tout sourire, le Français tient sa première victoire de champion du monde, et sa photo finish bras levés, maillot irisé. Quelques jours plus tard, c’est donc un « Loulou » revigoré qui prend le départ de son premier Tour des Flandres. Alors qu’il s’engage dans le final rêvé par tout le monde face à van der Poel et van Aert, Alaphilippe s’empale dans une moto. Sa course est finie, et ne reste que les regrets et les « et si… », alors qu’il semblait avoir les jambes pour sa première sur le Ronde. Le froid de l’hiver vient d’éclipser l’arc-en-ciel. Rendez-vous au printemps.

Remis de sa double fracture à la main droite, Julian Alaphilippe retrouve la compétition en février sur le Tour de Provence. Et avec fracas : dès le premier jour, il s’embarque dans une longue échappée infructueuse, mais pleine de promesses. A l’image de son Tour de Provence, qu’il termine derrière Ivan Sosa, mais devant Egan Bernal, Wout Poels ou encore Bauke Mollema. Le début d’une collection de places d’honneur. Car en mars, Alaphilippe termine deuxième des Strade Bianche derrière van der Poel, à qui il ravit toutefois une victoire d’étape dans la foulée sur Tirreno-Adriatico, sa première de la saison 2021, sa deuxième en arc-en-ciel.

Les voyants semblent alors au vert à l’approche de Milan – San Remo. Mais après avoir écrémé le peloton dans le Poggio, Alaphilippe termine 16e, loin de ses objectifs de victoire. Comme sur le Tour des Flandres début avril, où il se mue en coéquipier de luxe pour Kasper Asgreen, vainqueur du Ronde. Le champion du monde français, lui, vise les Ardennaises. Le 21 avril, il signe une victoire éclatante sur la Flèche Wallonne (sa troisième) en déposant Primoz Roglic et Alejandro Valverde dans le mur de Huy. Mais quelques jours plus tard, après une course quasi-parfaite, il échoue de nouveau sur Liège-Bastogne-Liège, dépassé d’un cheveu au sprint par Tadej Pogacar. Une semaine qui résume sa saison, entre coups d’éclats et coups de massue.

Fort de cette campagne de classiques réussie, malgré l’unique victoire à la Flèche Wallonne, Alaphilippe peut alors se tourner vers les deux grands rendez-vous de son été : le Tour, et la naissance de son fils, raison pour laquelle il annonce d’ailleurs faire l’impasse sur les JO. Un choix du cœur et un coup dur pour les Bleus, tant l’épreuve olympique paraissait taillée pour le puncheur. Après un long stage montagneux en Espagne et un bon Tour de Suisse, place au grand moment de l’année pour le champion du monde tricolore : le Tour de France, sur lequel il rêvait d’étrenner son beau maillot. Et dès le premier jour, Julian fait du Alaphilippe.

Attendu dans le final autour de Landerneau, l’homme arc-en-ciel attaque dans la côte finale  de la Fosse-aux-Loups et lève les bras dès la première étape du Tour. Il troque alors son arc-en-ciel rayonnant pour un maillot jaune resplendissant, qu’il enfile pour la troisième année consécutive (!). Mais pour une journée seulement : car dès le lendemain, il le cède à son meilleur ennemi de la saison, Mathieu van der Poel, vainqueur à Mûr-de-Bretagne.

Forcément, après de tels débuts, la suite de sa Grande Boucle sera plus fade. Mais pas de quoi faire perdre son sourire ni son punch au Tricolore. Une fin de Tour qu’on peut résumer en une étape : la 11e, celle de la double ascension du mont Ventoux. Au premier passage au sommet, un Alaphilippe fringant vire en tête. Au second, un Alaphilippe détaché passe en faisant la fête.

Julian Alaphilippe mène la danse lors du premier passage en haut du mont Ventoux sur la 11e étape du Tour de France, le 7 juillet 2021. (THOMAS SAMSON / AFP)

Après ce Tour réussi malgré son goût d’inachevé, le champion du monde se retire auprès de sa famille. Il fait son retour en juillet sur la Clasica San Sebastian (6e), puis termine deuxième de la Bretagne Classic derrière Benoit Cosnefroy. Début septembre, il subit la foudre de Wout van Aert, impérial sur le Tour de Grande-Bretagne (vainqueur de 4 étapes et du général).

A l’heure de remettre sa tunique en jeu, le bilan du champion du monde est donc de quatre victoires en 57 jours de courses avec le maillot arc-en-ciel sur le dos. Correct, mais loin de ses 11 succès de 2019, et 10 de 2018. Ou des 13 de Van Aert en 2021. Un rendement légèrement en baisse, mais attendu pour un coureur qui portait déjà la pancarte avant d’arborer le plus beau des maillots, et encore plus surveillé avec l’arc-en-ciel sur le dos.

« Le titre de champion du monde était le plus grand objectif de ma carrière. J’étais donc très content de l’avoir atteint, mais je savais que ça allait changer pas mal de choses, qu’il serait difficile de lui faire honneur et de continuer à gagner des courses », analysait récemment le Français dans Sport magazine, avant de prévenir : « Mais je ne dirai donc pas non à une nouvelle année avec le maillot arc-en-ciel ». Nous non plus. Mais pour cela, il va falloir réussir ce qu’Alaphilippe n’a encore jamais accompli : s’imposer dans les Flandres.

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