« Si vous entendez de la musique à l’Insep, c’est que vous êtes au breaking. » Xavier Fleuriot, directeur de la performance breaking au sein de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), plante le décor. Une musique au rythme entraînant de Evan finds the third room, du groupe texan Khruangbin, s’échappe du bâtiment A, une bâtisse en briques rouges et aux grandes baies vitrées, située à l’entrée de l’Insep.
Tous derrière notre équipe de France de #breaking qui entre en lice aujourd’hui aux championnats du monde à Séoul ! ‘ pic.twitter.com/Tc9ZEG69Px
— INSEP (@INSEP_PARIS) October 21, 2022
Sur la droite du bâtiment, et après avoir passé un sas faisant office de vestiaire, une petite salle de danse accueille, depuis septembre, le pôle France de breaking (aussi appelé breakdance), fraîchement constitué. « Tout n’est pas encore organisé, souligne Xavier Fleuriot, montrant d’un signe de la main les affaires qu’il reste encore à ranger et à installer. Mais l’Insep déploie beaucoup d’énergie et de moyens pour nous accueillir du mieux possible. On se sent vraiment bien reçu. » Parmi les nouveaux sports intégrés aux JO, le breaking est le seul à avoir pris ses quartiers dans le temple du sport français et de l’olympisme. Le skate et l’escalade peuvent bénéficier des services de l’Insep, mais n’y trouvent pas d’équipement liés à leur pratique. Ils ont, en revanche, accès aux installations des Creps, comme à Talence pour le skate et à Toulouse pour l’escalade.
>> Le tuto breaking avec Martin Lejeune sur france.tv
La petite salle de danse, aux murs blancs et aux grands miroirs installés sur toute la largeur de la pièce, est encore en « construction », confirme Omar Remichi, entraîneur et responsable de l’équipe de France de breaking. « La salle est encore un peu fade. On est installé, maintenant j’ai besoin qu’il y ait une atmosphère, avec des instruments de musique, et que notre identité du break soit représentée. »
En ce mercredi, l’ordre du jour est la préparation des championnats du monde à Séoul, en Corée du Sud, qui auront lieu trois semaines plus tard, les 21 et 22 octobre. « On est sur du peaufinage. On travaille sur la propreté, la récitation ou la répétition de certains passages et surtout sur le relationnel en battle, autrement dit sur le jeu de question-réponse, le regard, le charisme et l’occupation de l’espace », explique Omar Remichi, vêtu du tee-shirt officiel de l’équipe de France, ses cheveux noirs frisés rassemblés sur le haut de son crâne.
Le reste du temps, il fait travailler ses athlètes sur différents « labs », ou sessions (musicalité, charisme, expression de la personnalité) : « C’est ça qui va nous faire gagner, décrypte le responsable du pôle France. Ce sont tous des vieux loups, qui font du break depuis vingt ans. Ils appartiennent à la génération des années 2000 qui breakait pour s’exprimer et revendiquer quelque chose. On ne va donc pas leur apprendre le break, mais on va plus travailler sur leurs failles, sur la stratégie avec un travail personnalisé. »
A gauche de la pièce, deux grosses enceintes noires diffusent les morceaux préalablement sélectionnés. Dany Civil (b-boy Dany Dann), Khalil Chabouni (b-boy Khalil), Sarah Bouyahyaoui (b-girl Sarah Bee), Carlota Dudek (b-girl Carlota), Nathanaël Etouke (b-boy Nasty), Gaëtan Alin (b-boy Lagaet), font partie de la première promotion de l’équipe de France de breaking à l’Insep. Avec eux, trois sparring-partners partagent leurs entraînements pour les mettre en situation de battle et les aider à progresser.
Ces six b-boys et b-girls ont été sélectionnés parmi la quinzaine d’athlètes qui compose l’équipe de France, âgés de 16 à 35 ans, pour rejoindre l’Insep.
La musique s’enchaîne sans interruption, et chacun leur tour, selon leur ressenti, ils travaillent leurs compositions, et gèrent eux-mêmes leur intensité et leurs pauses. Comme l’heure d’arrivée. Si les athlètes ont rendez-vous à 15 heures cet après-midi avec leur entraîneur, dans les faits, chacun arrive au fur et à mesure dans l’heure qui suit. Loin du cadre strict de l’Insep, et des feuilles de route plus rigides des autres sports de haut niveau, le breaking a gardé ses codes et sa liberté. « Au début, ça en décontenance beaucoup, moi le premier », sourit Xavier Fleuriot, ex-directeur des équipes de France de canoë-kayak.
« Que leur apporte le fait de venir à une heure précise ? Pour eux, rien. L’approche est plus artistique et ils utilisent ce temps pour échanger, temps dont ils ont besoin. »
Xavier Fleuriot, directeur de la performance breakdance à l’Insepà franceinfo: sport
Une vision que confirme Dany Dann. « Le break vient de la rue, et il n’a pas perdu son esprit. Certes, on est à l’Insep, il y a le côté athlètes, mais aussi le côté b-boying que l’on garde. » Ici, l’entraîneur est donc davantage un guide, « pour les aider à atteindre leur plus haut niveau. Il ne faut pas les polluer, ni leur apprendre quelque chose que toi tu maîtrises », appuie Omar Remichi.
Plus que le travail de précision mené cet après-midi de septembre, il s’agit aussi d’être capable de réaliser ses gammes sur des musiques différentes, puisqu’en compétition, la musique est dictée par un DJ. « On a tous répété ce qu’on a prévu pour les Mondiaux. Moi, je répète encore et encore de nouveaux enchaînements pour que mon corps assimile bien les mouvements. Entre nous, on fait des cercles, et on se donne des conseils sur les uns et les autres. C’est un vrai plus », se réjouit Dany Dann.
Dany, vêtu d’un ensemble de survêtement violet, s’élance. « Quand tu balances, ‘tak, tak’, ça fait trop du bien », encourage Omar Remichi, qui mime avec son corps ses onomatopées, visiblement convaincu par la proposition de Dany. « Ne t’arrête pas, enchaîne », lui lance-t-il dans la foulée d’une voix forte par-dessus la musique.
« Je te l’ai déjà dit plusieurs fois, c’est bien ce que tu fais et tu arrêtes », fait également remarquer Omar Remichi à Carlota, juste à côté, après quelques passages. Cheveux bruns noués en chignon bas, vêtue d’un jogging noir et d’un tee-shirt écru, elle acquiesce. Essoufflée après plusieurs répétitions, elle s’assoit par terre, réajuste son chignon décoiffé et prend des notes sur un petit cahier. Détails des mouvements, des enchaînements, son carnet est un véritable recueil d’idées.
Avant septembre, l’activité breaking en France n’était pas fédérée autour d’une même entité. Son accueil au sein de l’Insep, où elle avait déjà effectué des stages par le passé, est donc un tournant pour la jeune discipline olympique. Cette création du pôle France lui fait changer de dimension, avec un accès, au même titre que tous les athlètes de l’Insep, au suivi médical, paramédical, socio-professionnel, ainsi qu’à un accompagnement du projet de performance (logistique, matériel etc.).
« On a le projet depuis 2019, mais le cheminement a été long. Il y a encore quelques mois, aucun athlète du groupe n’aurait adhéré », avoue Xavier Fleuriot. La bascule a eu lieu au début de l’été 2022. « Ce qui a changé, c’est leur regard sur la performance, l’acceptation qu’entrer dans un cadre comme l’Insep leur serait bénéfique pour leur projet olympique, poursuit Xavier Fleuriot. Ils ont aussi pris conscience de l’importance des Jeux à Paris. »
Autour de ces six athlètes, un staff d’une dizaine de personnes s’est constitué pour les guider vers Paris 2024. « C’est incroyable d’être ici. C’est quelque chose que je n’aurais jamais imaginé. On sent que la discipline est prise au sérieux, salue Khalil Chabouni. Avant notre arrivée à l’Insep, je me considérais déjà comme un athlète de haut niveau, mais je me gérais tout seul de A à Z. Ici, tout est plus facile car nous sommes accompagnés et aidés. Ce sont de meilleures conditions pour progresser. »
« Je vois déjà ma progression depuis septembre, même sur le plan de la performance sportive. C’est un réel plaisir d’être dans ce cadre de travail, parmi les champions français, et avec un groupe qui a un objectif commun, les JO. »
Dany Dann, b-boy de l’équipe de Franceà franceinfo: sport
Au-delà de mettre les athlètes dans de meilleures conditions pour préparer les Jeux, intégrer le breaking à l’Insep est aussi un moyen de lui donner une reconnaissance qui lui manque encore. « C’est un symbole fort, relève Xavier Fleuriot. A l’Insep, ils côtoient les champions des autres sports, et inversement, ce qui permet de s’apprivoiser et de prendre sa place, de se sentir légitime, à l’heure où il y a encore des doutes de certains, voire de la population que le breaking est un ‘vrai sport’ ».
Si certains en doutent, Khalil Chabouni n’est pas en manque de réponse. « En plus d’être athlétique, le break demande aussi de la créativité, ce qui n’est pas le cas dans les autres sports. Il ne suffit pas de savoir faire une figure. Il faut pouvoir amener la figure et les jurés dans un univers, tout en gardant sa personnalité. » Avant de lancer un dernier argument en forme de défi : « Qu’ils viennent essayer. »
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