À Leicester, en Grande-Bretagne, des tensions exacerbées entre hindous et musulmans

En Inde comme au Pakistan, le cricket est une véritable religion; il y a peu de sports où la rivalité entre deux pays est aussi féroce. Fin août et début septembre, les deux équipes nationales s’affrontent en coupe d’Asie (cette année délocalisée à Dubaï) : l’Inde sort victorieuse à l’aller, mais le Pakistan l’emporte en match retour et se hisse jusqu’à la finale.
À plus de 5 000 kilomètres du stade de Dubaï, à Leicester, dans les Midlands, les esprits des supporters s’échauffent. Et dans cette ville où hindous et musulmans cohabitent pourtant de manière pacifique depuis plus de 50 ans. La situation dégénère.

Samedi 17 septembre, plusieurs centaines d’indiens en cagoule et sweat à capuche défilent aux cris de « Mort au Pakistan« . Ils scandent aussi « Jai Shri Ram », un chant traditionnel détourné par les nationalistes hindous, un chant qui en Inde est devenu le symbole des violences contre les musulmans.

Les musulmans ne se laissent pas faire : le lendemain, ils se rassemblent à leur tour, décrochent un drapeau sacré du Shivalaya, le temple hindou Brahma Samaj sur Belgrave Road et y mettent le feu.

Les tensions sont amplifiées, déformées par les réseaux sociaux. La police procède au total à quarante-sept arrestations. Un homme est notamment condamné à 10 mois de prison après avoir plaidé coupable de possession d’une « arme offensive ». Ces violences font la une en Inde et au Pakistan mais au Royaume-Uni elles passent quasiment inaperçues : le pays tout entier a les yeux tournés vers les funérailles d’Elizabeth II.

À Leicester, quasiment un habitant sur trois est originaire du sous-continent indien. jusqu’ici la cohabitation n’a jamais posé problème : dans les rues, les femmes en sari côtoient les écoliers en uniforme et les hommes en djellaba. Leicester, c’est l’exemple réussi du multiculturalisme à la britannique.

Mais si les matchs de cricket ont eu le même effet qu’une étincelle dans une botte de paille, dans une ville plutôt connue pour son club de football, c’est parce que depuis plusieurs mois déjà cet équilibre vacille. Les deux camps s’accusent réciproquement de racisme et de persécutions. D’abord en raison des difficultés économiques et sociales : la région a subi de plein fouet la cure d’austérité à partir de 2010 (les associations de quartier ont vu leur budget diminuer, les cours d’anglais se sont fait plus rares). Plus récemment, avec le Covid, la population a été confinée pendant quasiment un an (la période la plus longue de tout le pays), aujourd’hui c’est la crise, le pouvoir d’achat est en chute libre. Tout cela crée un terreau favorable : les tensions sont aujourd’hui exacerbées par les nationalistes hindous, arrivés plus récemment et souvent installés dans les quartiers les plus pauvres de l’est de Leicester.

En Inde, le mandat du Premier ministre ultra-nationaliste Narendra Modi coïncide avec une recrudescence de la violence envers les groupes minoritaires chrétiens, dalits et surtout musulmans. Modi, qui fait l’objet d’un vrai culte par ses partisans, a notamment contribué à diviser les communautés. Le gouvernement est régulièrement accusé de mauvais traitements envers la minorité musulmane via le RSS (Rashtriya swayamsevak sangh), une organisation paramilitaire créée au début des années 1920 sur le modèle des Blackshirts du leader fasciste italien Mussolini. Son idéologie ? L’Hindutva, l’hégémonie hindoue.

Si le conflit s’exporte, c’est parce que le parti du gouvernement, le BJP, mobilise largement la diaspora indienne pour propager l’Hindutva. La réticence des dirigeants hindous de Leicester à dénoncer le RSS et l’Hindutva a d’ailleurs entrainé une certaine frustration dans la communauté musulmane indienne de la ville.

« Permettez-moi de dire à tous mes compatriotes indiens que l’Hindutva a profondément brisé notre pays. S’il vous plaît, n’exportez pas ces divisions dans le monde entier » dit sur Twitter la journaliste indienne Vasundhara Sirnate.

À Leicester, les habitants se plaignent de voir de jeunes hindous klaxonner en passant devant les mosquées ou écouter de la musique très fort pendant l’heure de la prière. Mais les tensions sont aussi le fait d’agitateurs extérieurs à la ville. La police de Leicester a confirmé que la moitié des personnes qu’elle avait arrêtées venaient de Birmingham, Solihull, Luton et Londres.

Le Conseil interconfessionnel de la ville (Council of faiths) prévoit une grande marche de la paix et de la réconcilation le dimanche 2 octobre, avec des responsables des communautés hindoue et musulmane. Objectif : apaiser les tensions, et surtout éviter qu’elles se propagent à d’autres villes au Royaume-Uni.

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