Deux snipers rejoignent leurs positions sur un bâtiment du village olympique de Munich le 5 septembre 1972. (HORST OSSINGER / DPA via AFP)

C’est un douloureux anniversaire que s’apprête à célébrer l’Allemagne. Il y a cinquante ans, les 5 et 6 septembre 1972, alors que les Jeux olympiques de Munich battaient leur plein, la terreur avait frappé. Des membres du commando palestinien « Septembre noir » avaient pris en otage et tué onze membres de la délégation israélienne, ainsi qu’un policier allemand. L’horreur refaisait surface sur le sol allemand, alors même que le gouvernement fédéral voulait, avec ces « Jeux de la paix et de la joie », faire oublier le triste souvenir de ceux de 1936, organisés par Adolphe Hitler à Berlin.

Un demi-siècle après le « Massacre de Munich », la douleur est toujours présente. L’athlète Guy Drut, vice-champion olympique du 110 m haies à Munich, dit régulièrement repenser à ces Jeux, un “souvenir à double tranchant” : “La médaille d’un côté, l’horreur de l’autre ». Sacré sur l’épreuve de vitesse de cyclisme sur piste la veille de l’attaque, Daniel Morelon se rappelle quant à lui d’une “longue journée d’attente anxiogène”

Le 5 septembre 1972, à l’aube du onzième jour des Jeux, à environ 4h30 du matin, l’attaque débute. Un commando de huit hommes (baptisé “Septembre noir”), habillés en athlètes, parvient à accéder au pavillon de la délégation israélienne masculine, au 31 Connollystrasse. Ils s’introduisent sans grande difficulté, puisque les autorités allemandes, qui avaient à cœur de faire oublier le passé nazi du pays, avaient mis en place un dispositif de sécurité faible dans le village olympique, sans patrouilles de police armées.

Les terroristes font deux morts en pénétrant dans les appartements des Israéliens et prennent en otage les neuf autres occupants. L’un des corps est abandonné dans la rue par les assaillants. L’organisation, nommée en référence à la répression sanglante des combattants palestiniens en Jordanie en septembre 1970, pose ses revendications : la libération de quelques 230 prisonniers palestiniens détenus en Israël.

L’olympisme, symbole de la paix et de l’unité, bascule dans la terreur. “Les Jeux olympiques modernes étaient censés être dans le même esprit que les Jeux olympiques anciens, à savoir que la paix règne et que toute violence est arrêtée. Personne n’imaginait ça“, racontait en 2020 à l’Associated Press le coureur israélien Shaul Ladany, qui a échappé à l’attaque en s’enfuyant par la porte-fenêtre de sa chambre. L’événement « occupe toujours l’esprit » de l’actuel président du CIO et ancien escrimeur, l’Allemand Thomas Bach : « Même cinquante ans après, on ne peut pas parler de l’un sans parler de l’autre, c’était si extrême », raconte-t-il à L’Equipe magazine.

Commencent alors de longues heures de discussions confuses, entre terroristes et forces de l’ordre totalement dépassées. « Nous avons vu les Allemands mener les négociations avec les terroristes qui menaçaient de tuer un athlète toutes les deux heures et de lancer son corps depuis le balcon de leur immeuble si les prisonniers palestiniens n’étaient pas libérés, décrivait l’ancienne sprinteuse israélienne Esther Roth à l’AFP en 2012. C’était épuisant et terrifiant. »

Le traumatisme d’un témoin direct, l’ex-handballeur d’Allemagne de l’Est, Klaus Langhoff, dont l’appartement se situait à une vingtaine de mètres de l’attaque, reste profond. « Je dois dire que ça a été un choc », confie-t-il 50 ans plus tard à l’AFP, encore ébranlé par ce face à face. « Quand nous regardions dehors, par la fenêtre ou sur le balcon, nous voyions ce sportif mort », raconte-t-il. Il a tout vécu lors de cette journée, et se souvient d’« un homme qui tenait en permanence une grenade en main devant la porte d’entrée. Et en haut, sur le balcon et sur le toit, il y avait un autre terroriste qui avait une kalachnikov prête à tirer. C’était comme une scène de guerre. »

Guy Drut se souvient très bien de ce jour-là. Le champion d’Europe du 110 m haies, qui disputait ses premiers Jeux, devait profiter d’un jour de repos, en attendant sa finale, prévue le lendemain. Le 5 septembre au réveil, une grande confusion règne dans le village olympique. L’athlète de 21 ans comprend “tout de suite que quelque chose n’était pas normal” : “Le village était bouclé. Après avoir appris pour la prise d’otages, on a tout suivi sur les écrans de télévision.”

“Les informations parvenaient au compte-goutte. La police encerclait le village, on a vu des tireurs d’élite se positionner sur les toits »

Daniel Morelon, cycliste sur piste, triple champion olympique, sacré en vitesse à Munich en 1972

à franceinfo: sport

L’athlète français assiste à l’organisation du transport des fedayins et des otages vers l’aéroport militaire. Les terroristes y sont acheminés, à leur demande, avec les Israéliens pour y prendre un avion, direction le Caire, où les négociations doivent se poursuivre. “Le bâtiment médical où je me faisais manipuler par le kiné se trouvait à la limite entre le village olympique et un parking, raconte le hurdler. On a entendu des bruits d’hélices. On s’est mis sur le balcon. En bas, il y avait des hélicoptères et des bus, dont les vitres étaient occultées par des couvertures. On a vu les otages monter dedans. Ce sont des images qu’on ne peut pas oublier. Après, tout s’est calmé pour nous, alors même que le calvaire commençait pour les Israéliens.“

Sur le tarmac de la base militaire de Fürstenfeldbruck, la tentative de libération de la police allemande, mal préparée et sous-équipée, vire à la catastrophe. Les coups de feu fusent. La prise d’otages se termine à 0h30 le 6 septembre, avec la mort de onze Israéliens (six entraîneurs, cinq athlètes), d’un policier allemand et de cinq terroristes.

Une prise d’otage au destin funeste, dont la gestion sera par la suite très critiquée. Tout comme la décision de maintenir les Jeux. Partout dans le monde, des manifestations demandent que l’événement prenne fin. La Première ministre israélienne, Golda Meir, déclare que les compétitions doivent continuer, qu’arrêter les Jeux reviendrait à céder au chantage des terroristes. De son côté, Avery Brundage, le président du CIO de l’époque, affirme : “Les Jeux doivent continuer”. Après une journée de deuil, les épreuves restantes reprennent le 7 septembre.

Des Israéliens réclament la fin des Jeux olympiques de Munich, le 6 septembre 1972.  (AFP)

Si la délégation israélienne quitte la Bavière, suivie par quelques Norvégiens et une partie de l’équipe néerlandaise, pour la majorité des athlètes dont il reste des épreuves, l’enjeu sportif prend le pas. C’est le cas de Guy Drut. Bien que “le monde des haies était directement touché” par la mort d’Amitzur Shapira, le coach de son amie Esther Roth (engagée sur la finale du 100 m haies, prévue initialement le 6 septembre), le hurdler français se “remet dans (sa) bulle d’athlète”. “Objectivement, je n’ai plus pensé à ce qu’il s’était passé pour préparer la finale. J’étais tout jeune, je n’avais même pas 22 ans, ma conscience politique n’était pas développée. Avec les sept autres finalistes, nous étions évidemment touchés par ce qu’il s’était passé, mais nous partagions le même état d’esprit, poursuit celui qui décrochera l’argent olympique. Nous étions là pour gagner et nous nous sommes tous remis dans notre bulle d’athlètes de haut-niveau.”

Cette tragédie continue de hanter témoins et survivants. D’autant que la gestion de la crise a traumatisé les familles de victimes : tenues en partie responsable de son dénouement, les autorités allemandes ont du mal à gérer l’héritage de cet événement tragique. Ce dernier n’a jamais fait l’objet d’excuses publiques des autorités et l’épineuse question de l’indemnisation des familles de victimes par le gouvernement allemand a seulement été résolue le 31 août 2022, quelques jours avant le 50e anniversaire de la prise d’otage.

Il a fallu attendre 2017 pour qu’un mémorial en hommage aux victimes de la prise d’otages soit inauguré au parc olympique de Munich. C’est là, ainsi qu’à la base militaire de Fürstenfeldbruck, que se déroulera la cérémonie en mémoire aux victimes de l’attentat, en présence d’environ 70 proches des athlètes tués ainsi que des chefs d’Etats allemand et israélien.

Une femme se recueille au mémorial du massacre de Munich 1972. (SVEN HOPPE / DPA via AFP)

Des commémorations que les familles de victimes ont un temps déclaré boycotter, réclamant notamment des réparations financières « justes » et des excuses publiques. Après des décennies de négociations, les autorités allemandes ont annoncé que l’Allemagne allait « s’acquitter de son obligation historique » envers les victimes et leurs familles, en leur versant 28 millions d’euros. Des documents seront également déclassifiés pour permettre aux historiens de se saisir du sujet. Un travail qui pourrait permettre de panser les plaies béantes laissées par cette attaque terroriste.

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