Ces réservoirs doivent glaner de l’eau l’hiver dans les nappes phréatiques pour que les agriculteurs soient moins touchés l’été par la sécheresse, mais les opposants dénoncent un « accaparement de l’eau ».
Des milliers de manifestants sont attendus ce week-end à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), pour protester contre un projet de réserve d’eau pour l’agriculture. Cette manifestation « anti-bassines », qui inquiète les autorités locales, n’est pas la première. En mars dernier une protestation avait ainsi réuni entre 5000 et 7000 personnes à La Rochénard (Deux-Sèvres).
D’autre part, des réserves d’eau ont également été vandalisées en Vendée et en Charente-Maritime ces derniers mois, en signe de protestation.
· À quoi servent ces bassines?
Ces bassines contre lesquelles protestent les manifestants sont des réserves d’eau qui recueillent en partie l’eau de pluie, mais sont surtout alimentées par les nappes phréatiques. Elles permettent de « prélever l’eau dans le milieu en hiver, de la stocker puis de l’utiliser en été quand les conditions hydroclimatiques le requièrent », peut-on lire sur le site de la Coopérative de l’eau, à l’origine du projet dans les Deux-Sèvres.
« Ils vont prélever de l’eau l’hiver pour la restituer en été », quand il est difficile de trouver de l’eau en raison de la sécheresse, explique sur notre antenne le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu, qui se dit favorable à ces projets.
La réserve de Sainte-Soline est la deuxième des 16 prévues dans le projet, avec pour objectif de « baisser de 70% les prélèvements » en été.
Ces bassins peuvent contenir des centaines de milliers de mètres cube d’eau. Le réservoir de Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres), contre lequel des manifestations avaient eu lieu, fait 5 hectares pour 300m de long, 150m de large et une dizaine de mètres de profondeurs, rapporte La Nouvelle République. Celui-ci peut stocker 240.000 m3 d’eau, mais certains peuvent en stocker jusqu’à 650.000 m3 (soit 260 piscines olympiques).
« On a vécu une des années les plus dures depuis trente ans, on a des récoltes qui sont catastrophiques, on a pu mesurer combien on a vraiment besoin de mieux gérer l’eau et d’avoir des outils pour le faire », explique à BFMTV Thierry Boudaud, agriculteur et président de la coopérative de l’eau.
· Pourquoi y a -t-il des protestations contre ces projets?
Avec ces bassines, « la problématique c’est l’accaparement de l’eau, le pillage des nappes phréatiques au profit de l’agro-industrie, de cette agriculture mortifère qui a complètement défiguré notre territoire depuis plus de 50 ans », déclare sur BFMTV Julien Le Guet, porte-parole du collectif « Bassines non merci », à l’origine de la manifestation de ce week-end.
Les associations qui protestent contre le projet soulignent que ces réservoirs n’encouragent pas à changer le modèle agricole gourmand en eau, alors que le changement climatique va entraîner des sécheresses plus fortes et plus fréquentes. Elles pointent aussi du doigt l’incidence des travaux sur une surface de plusieurs hectares, avec la pose de bâches en plastique et l’impact pour la biodiversité, car l’eau qui va se retrouver dans ces réservoirs ne va pas ruisseler dans les cours d’eau à proximité.
« L’eau récoltée dans les réservoirs, c’est de l’eau qui aurait dû se retrouver dans les sols ou dans les cours d’eau », expliquait en septembre à FranceInfo, Christian Amblard, spécialiste de l’eau et des systèmes hydrobiologiques. Cet argument fait partie des craintes des manifestants, qui alertent sur un assèchement potentiel des cours d’eau à proximité des bassines.
· Des études sur le sujet?
Dans un dossier sur le changement climatique, publié en juin, l’INRAE (Institut national de la recherche agronomique) rappelait aussi que « même si le remplissage de ces retenues se fait en période de ‘hautes eaux’, il faut s’assurer qu’il n’altère pas le bon fonctionnement global du cours d’eau ».
Selon l’unique rapport scientifique disponible sur ces bassines, publié par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), le projet pourrait, par rapport à la période 2000-2011, augmenter « de 5% à 6% » le débit des cours d’eau l’été, contre une baisse de 1% l’hiver. Cette modélisation, « exclusivement quantitative », ne prend pas en compte l’évaporation potentielle des futures réserves, ni la menace de sécheresses récurrentes liées au changement climatique, précise la direction régionale du BRGM à l’AFP.
Pour l’hydrogéologue Alain Dupuy, membre du comité scientifique et technique de suivi (CST) du projet, « les réserves seules ne suffiront pas » à inverser ce « déséquilibre » du « grand cycle de l’eau ». Mais dans ce territoire très spécifique, « où nappes et rivières sont imbriquées, interconnectées », « prendre l’eau en abondance l’hiver et interdire tout prélèvement dans le milieu l’été devrait bénéficier aux zones humides, aux tourbières et aux marais », explique-t-il à l’AFP.
En Vendée voisine, la construction de 25 retenues similaires depuis 2006 « a permis de faire remonter significativement le niveau de la nappe » mais sans empêcher le dépassement fréquent des seuils d’alerte, notait l’Agence de l’eau Loire-Bretagne dans une étude de 2021.
· Que répondent les autorités?
Face aux protestations, les partisans du projet des Deux-Sèvres mettent aussi en avant le pendant écologique des bassines. Ces réserves d’eau vont permettre d »‘éviter » dans « des situations de sécheresse que l’on connait d’aller prendre de l’eau dans les étiages (période de l’année où le niveau d’un cours d’eau est au plus bas, ndlr) avec toutes les conséquences que cela peut avoir dans la biodiversité », explique Christophe Béchu.
Les protestaires ont lancé ces dernières années plusieurs recours juridiques contre ces méga-bassines des Deux-Sèvres. Le tribunal de Poitiers avait ainsi retoqué en 2021 la construction de neuf des seize projets de bassines en construction dans les Deux-Sèvres car elles étaient trop imposantes: « le volume autorisé sera largement supérieur à ce qui a été consommé ces dix dernières années », rapportait La Nouvelle République.
Mais ces actions en justice « ne se sont pas soldées par des annulations », soulignait Christophe Béchu mercredi à l’Assemblée nationale.
Il rappelle également sur notre antenne qu’il « y a eu une énorme concertation après des temps très compliqués, et en 2018, presque toutes les associations et des élus de tous bords, ont signé un protocole » pour le projet des réservoirs dans les Deux-Sèvres. « Il y a des retenues, mais en face il y a des engagements en faveur de la biodiversité et en faveur d’une évolution des pratiques », assure-t-il.
Depuis la signature, plusieurs associations se sont toutefois retirées. La députée des Deux-Sèvres écologiste Delphine Batho, qui fait partie des signataires, a ainsi protesté contre ce projet à l’Assemblée mercredi, réclamant l’arrêt des travaux en assurant que l’État « a piétiné le protocole ». Elle réclame un référendum local sur la gestion de l’eau.
Cliquez ici pour lire l’article depuis sa source.