Quelque 4500 contractuels ont été recrutés par le ministère de l’Éducation nationale pour faire face à la pénurie d’enseignants. Plus d’un mois après la rentrée, ils confient leurs difficultés à s’installer dans leur nouveau poste.
Sana*, 30 ans, est devenue professeure des écoles « par hasard ». Au printemps dernier, Pôle emploi lui transmet une annonce: l’Éducation nationale recrute pour assurer les cours à la rentrée – ils sont quelque 4500 contractuels comme elle à avoir été embauchés en quelques semaines à peine. Cela tombe bien: cette ancienne architecte d’intérieur souhaite « prendre une pause » – elle travaillait auparavant à son compte. Et « quand on est professeur, on a les mercredis et les vacances », explique-t-elle.
Sauf que cette trentenaire, sans aucune expérience dans l’enseignement, l’a vite constaté: la réalité du métier est bien différente. Recrutée en tant que contractuelle dans l’académie de Versailles, elle est aujourd’hui en charge d’une classe de CM1 et « c’est très difficile ».
Elle ne s’attendait pas à une telle quantité de travail, à des enfants qui font « beaucoup de bruit » et aux différences de niveau entre les élèves. Surtout, Sana pensait qu’on lui transmettrait des cours « clé en main ».
« Le premier jour, je n’avais rien », se souvient-elle pour BFMTV.com. « Pas de ressources, aucun document ni programmes et je ne savais pas comment faire avec les élèves. »
« Heureusement, la remplaçante était avec moi », poursuit-elle. Mais j’ai eu envie d’arrêter. » Car « au début », Sana ne « comprenait rien ». Et plus d’un mois après la rentrée, elle bute toujours sur certaines disciplines. En mathématiques, elle ne parvient pas à limiter sa séance à 45 minutes. En histoire, « j’ai tout oublié ». Et pour l’éducation physique et sportive, Sana est perdue.
« Je ne sais pas ce que je dois faire », s’inquiète-t-elle. Alors elle « révise beaucoup » et essaie de se « débrouiller en regardant sur internet ».
« Un boulot monstre » pour se mettre à niveau
Même en travaillant d’arrache-pied avant la rentrée, les deux premières semaines devant les élèves étaient tout de même « compliquées » pour Amélie*, 26 ans. « J’étais dans l’improvisation », confie à BFMTV.com cette contractuelle recrutée avant l’été par l’académie de Versailles lors d’un « job dating ». « Maintenant, je commence à avoir un peu plus de repères même si je ne suis pas encore tout à fait au point. »
Cette ancienne ingénieure en géologie, qui n’avait jamais enseigné avant de devenir la maîtresse d’une classe de CE1, ne connaissaît pas le niveau dans lequel elle serait affectée – elle ne l’a découvert que la veille. Elle avait donc préparé deux journées de classe pour tous les niveaux, de la petite section au CM2.
« J’ai commencé à préparer les cours dès que j’ai su que j’étais prise », raconte Amélie. « Heureusement que j’avais du temps, j’y ai passé tout l’été. »
Au quotidien, Amélie consacre toutes ses soirées et ses week-ends à préparer ses cours. Sa progression et ses séquences sont prêtes jusqu’aux vacances de la Toussaint, qui seront dédiées à la préparation de la suite.
Amandine*, 46 ans, ne compte pas ses heures non plus, au point de très peu dormir. Cette enseignante contractuelle du premier degré, recrutée par téléphone, assure avoir « un boulot monstre »: quand elle ne prépare pas ses cours jusqu’à une heure du matin, elle explique se lever avant 5 heures pour que tout soit prêt à l’arrivée de ses élèves.
« C’est un travail de titan mais c’est pour les enfants que je le fais », assure-t-elle. « Je suis responsable d’eux, je ne peux pas les mettre en échec. Mais c’est horrible. Je travaille comme une esclave. »
« Ils vont craquer »
Guislaine David, porte-parole et co-secrétaire générale du Snuipp-FSU, le premier syndicat du primaire, regrette les conditions de recrutement de tous ces contractuels, parfois parachutés en classe sans formation, expérience ou accompagnement. « Ils n’ont même pas pu assister à des cours et voir des collègues enseignants travailler », déplore-t-elle.
« On ne peut pas débarquer dans une classe, s’improviser enseignant et faire cours comme ça », s’alarme la syndicaliste pour BFMTV.com.
« C’est un métier qui s’apprend », poursuit-elle. « S’ils ne sont pas soutenus et accompagnés, ils ne vont pas tenir sur la durée et ils vont craquer. »
C’est ce que craint Alexandra*, 28 ans, ancienne chargée de recrutement, qui reconnaît se sentir « perdue » avec ses élèves de maternelle. « Hier, lors d’une activité vélo, les enfants étaient dans la cour et clairement, ils faisaient ce qu’ils voulaient », explique-t-elle. « Je m’arrive pas à m’imposer. Je patauge. » Elle envisage de démissionner, quelques semaines seulement après la rentrée.
Le ministère vante un « arsenal » de formations
Face à la controverse liée au recrutement express de ces enseignants contractuels, Pap Ndiaye s’était voulu rassurant mi-septembre: 87% des 4500 enseignants contractuels recrutés pour cette rentrée scolaire avaient déjà une expérience dans l’enseignement. « On ne les lâche pas dans le grand bain comme ça », a-t-il déclaré.
Pour les nouveaux, quatre jours de formation ont bien été organisés avant la rentrée – certains des contractuels avec lesquels BFMTV.com a échangé n’en ont pourtant pas bénéficié.
Mais « ce ne sont pas ces quatre jours qui suffisent, ils doivent être formés tout au long de l’année », insiste Guislaine David. « Pour ça, il faut les retirer de leur classe. Mais qui va les remplacer? »
Interrogé par BFMTV.com, le ministère de l’Éducation nationale met en avant un « arsenal » de formations, « en présentiel » ou « à distance », « en début » ou « tout au long de l’année ». Rue de Grenelle, on cite les écoles académiques de formation continue – une nouveauté depuis cette année – qui « pilotent l’ensemble des formations des personnels du premier et du second degré » ainsi que celles de Réseau canopé, le réseau de formation des enseignants.
« Toutes les académies proposent des formations », affirme-t-on encore. Le ministère indique d’ailleurs que les contractuels du premier degré ont une obligation de formation de dix-huit heures. Autre dispositif: le « parcours magistère », une plateforme de formations à distance. « En tout, cela représente trente heures de formation socle, pouvant déboucher sur d’autres parcours complémentaires », précise-t-on.
Enfin dernier point: « l’accompagnement humain ». Soit la visite de conseillers pédagogiques (d’inspecteurs dans le second degré) et du tutorat « mis en place au niveau académique ou des établissements ». Si le ministère reconnaît que « ce n’est pas systématique » et que « le modèle n’est pas unique », il l’assure: « on a bien un accompagnement pédagogique régulier ».
« Je me sens livrée à moi-même »
Depuis la rentrée, Sana, évoquée au début de l’article, a ainsi reçu deux fois la visite d’un conseiller pédagogique, une troisième est programmée et sa période d’essai a été prolongée. Ce n’est pas le cas de Mathilde*, 50 ans, recrutée en juillet en tant que remplaçante dans l’académie d’Orléans-Tours après avoir travaillé dans l’édition. Elle n’a jusqu’ici reçu aucune visite du rectorat et se sent « livrée à elle-même ». « J’apprends sur le tas », confie-t-elle à BFMTV.com.
« Heureusement », dit-elle, qu’elle est titulaire d’un master Meef – le master dédié à la formation aux métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation. Elle avait d’ailleurs passé cette année le CRPE (le concours de recrutement de professeur des écoles) mais était sur liste complémentaire.
« Je connais les programmes et je sais ce qu’il faut faire en classe. Mais je m’inquiète pour tous les contractuels pour qui ce n’est pas le cas et qui cherchent sur internet comment se former. »
Pour certains de ces nouveaux enseignants, les premières heures de cours ont ainsi semblé moins complexes à gérer. Alexandre Piard, 28 ans, lui aussi titulaire d’un master Meef, a été recruté en début d’année par l’académie de Rennes comme professeur d’histoire-géographie. Lorsqu’il a pris son premier poste – trois classes, dont une de seconde, une de première et une de terminale – il ne partait en effet pas de zéro.
« Durant mon M2, j’ai fait cours dans une classe de 5e aux côtés de l’enseignante pendant huit mois », explique-t-il. « C’était très formateur, j’ai appris comment encadrer une classe, préparer ses cours et pratiquer devant les élèves. »
Alors quand il a été nommé en lycée, Alexandre Piard ne se sentait pas en terrain inconnu. « J’ai évidemment dû préparer tous mes cours, ça a été beaucoup de travail et beaucoup de stress. Mais en classe, ça se passait bien. »
Vers un poste de titulaire pour certains?
Toutes ces difficultés n’empêchent donc pas certains de ces nouveaux contractuels de s’imaginer un avenir durable dans l’enseignement. Si Amélie reconnaît que le métier est difficile et comporte « toujours des imprévus » – sa classe compte un élève russophone et un autre présentant un trouble de l’attention – elle envisage de passer le concours pour s’installer dans la durée dans son nouveau poste.
Pap Ndiaye, le ministre de l’Éducation nationale, a en effet annoncé fin août la mise en place « d’un concours exceptionnel de titularisation » des enseignants contractuels. Mais il ne devrait pas s’adresser aux contractuels recrutés cette année.
*Les témoins interrogés ont souhaité conserver l’anonymat.
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