Le corps professoral a été très touché par cet assassinat qui a établi une nouvelle échelle de la violence pour les enseignants, et a laissé des traces.
Deux ans après l’assassinat de Samuel Paty, enseignants et élèves s’apprêtent à honorer la mémoire du professeur décapité le 16 octobre 2020 par un jeune homme radicalisé, qui lui reprochait d’avoir montré des caricatures de Mahomet à ses élèves. Ce drame a profondément marqué la communauté enseignante et a laissé des traces.
« Encore aujourd’hui, c’est quelque chose de très fort », déclare à BFMTV.com Frédéric Marchand, secrétaire général du syndicat UNSA Éducation, « c’est un moment important, qui a fortement marqué » les enseignants.
« C’est quelque chose qui n’a pas été facile à vivre, on s’est tous identifié à Samuel Paty », dit Guislaine David co-secrétaire générale du syndicat d’école primaire SNUipp-FSU.
C’était « inimaginable une telle barbarie et pourtant c’est arrivé »
Et si « ce n’est pas forcément un sujet qui revient souvent dans les conversations », le meurtre de Samuel Paty reste à l’esprit du corps enseignant, explique Jean-Rémi Girard président du SNALC (Syndicat national des lycées et collèges), notamment « quand on aborde le sujet de la laïcité ou des religions ».
L’assassinat de Samuel Paty a établi une toute nouvelle échelle de la violence que pouvaient subir des professeurs. « Il y a toujours eu cette possibilité que des personnes en veuillent à des enseignants », rappelle Guislaine David, mais « cela restait inimaginable une telle barbarie. Et pourtant c’est arrivé. »
Cette semaine, une enquête a ainsi été ouverte concernant les menaces de mort visant un professeur d’histoire-géographie d’un lycée de l’Essonne auquel une lettre anonyme promet le même sort que Samuel Paty. Aujourd’hui, il y a l’idée que « ça peut aller jusque-là », abonde Jean-Rémi Girard, et « quand on aborde un potentiel sujet à tension ou que l’on a une relation conflictuelle avec un élève, on peut y penser », explique-t-il.
« Sur les sujets religions, chaque enseignant qui entre en conflit peut penser: ‘je peux être le prochain Samuel Paty' », déclare à BFMTV.com Didier Georges, proviseur dans un collège du 11e arrondissement de Paris et membre de l’exécutif national du syndicat SNPDEN,
D’après les témoignages récueillis, les professeurs ne se rendent pas dans leur établissement avec la peur au ventre depuis deux ans, il ne s’agit pas d’une crainte quotidienne, mais plutôt d’une inquiétude latente qui peut ressurgir dans les moments de tensions.
Le sujet de la laïcité et des religions moins facile à aborder
Pour éviter cette crainte, certains enseignants préfèrent d’ailleurs éviter de parler de matières sujettes à débat avec leurs élèves. « Oui, je pense qu’il y a des gens qui hésitent » à aborder la laïcité ou les religions, explique Frédéric Marchand, qui souligne qu’il est difficile de savoir combien de personnes cela peut concerner.
En décembre 2020, seulement deux mois après l’assassinat, 42% des enseignants déclaraient s’autocensurer au sein de leurs établissements et dans leurs enseignements afin d’éviter de possibles incidents.
Didier Georges dit avoir déjà entendu des professeurs signifier ne pas vouloir parler de sujets comme la laïcité ou les religions avec leurs élèves. Ils expliquent « qu’ils ne se sentent pas armés pour mener ce genre de débats, qu’ils n’ont pas les connaissances ou les appuis nécessaires » car ce n’est pas la matière qu’ils enseignent.
Mais « j’ai déjà entendu un enseignant dire qu’il ne voulait pas risquer de conflit car il avait peur qu’il lui arrive quelque chose. »
Le proviseur souligne toutefois que ces cas d’autocensure concernent une petite portion de professeurs à sa connaissance et que la grande majorité « continue de traiter de la laïcité ». « Moi je n’y pense pas, mais oui, il y a des collègues qui sont dans une forme de crainte. »
Il faut être « en capacité d’expliquer, de répondre aux élèves »
Cette affaire a dans tous les cas changé la perception du danger du corps enseignant et leur volonté de se protéger. « De plus en plus de collègues portent plainte, déposent une main courante et demandent la protection fonctionnelle quand ils font l’objet de menaces », chose qu’ils n’auraient peut-être pas fait il y a deux ans, déclare Guislaine David.
Jean-Rémi Girard constate également que « les collègues obtiennent plus facilement la protection fonctionnelle que par le passé », et sont « davantage soutenus sur ces sujets par l’institution », même si cela diffère d’un établissement à l’autre. La protection fonctionnelle offre à celui qui l’obtient une assistance juridique de la part de son administration, avec par exemple la prise en charge des frais de justice.
Le gouvernement a lancé un plan Laïcité en 2021, afin de former les personnels de l’Éducation nationale aux principes de la laïcité. Il faut en effet qu’ils « soient en capacité d’expliquer, de répondre aux élèves », assure Frédéric Marchand, qui appelle également à faire « faire vivre de façon concrète le sujet avec des projets, ça ne suffit pas de poser le cadre républicain ». Il souligne également l’importance de faire remonter des faits d’atteinte à la laïcité.
Le ministre de l’Éducation Pap Ndiaye a indiqué jeudi que les remontées de terrain concernant les atteintes à la laïcité confirmaient « une hausse des signalements » depuis la rentrée pour « port de vêtements ou d’accessoires de nature religieuse ». Toutefois, « les signalements pour refus de participer à une activité ou contestation d’enseignement sont plus faibles, autour de 7% chacun », a déclaré le ministre, contre plus de 10% d’avril à juillet 2022.
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