Au Bourget, Renault a présenté son nouveau SUV coupé, le Rafale, clin d’œil à son passé dans l’aéronautique. Mais ce modèle se voit reprocher sa forte ressemblance avec certains concurrents. Une critique justifiée? Discussion avec la grande spécialiste du design automobile, Anne Asensio.
C’est une des sensations de ce salon du Bourget 2023: Renault a dévoilé son nouveau SUV coupé, le Rafale, clin d’œil au célèbre avion de chasse de Dassault, mais aussi au passé aéronautique du constructeur automobile.
Un lien historique entre ces deux industries, comme le souligne Anne Asensio, grande spécialiste du design automobile, après avoir travaillé chez Renault et General Motors, et désormais responsable du design chez Dassault Systèmes.
« Les industries automobile et aéronautique ont toujours opéré dans un régime de coévolution: elles cristallisent les technologies les plus avancées, avec un aspect plus humain pour l’automobile car plus accessible et des solutions plus extrêmes, dans l’aéronautique, notamment en raison des conditions de sécurité », résume-t-elle.
Le Rafale, un « énième SUV »?
Comme à chaque présentation d’un nouveau modèle, les critiques positives comme négatives ne manquent pas. Parmi les « plaintes » récurrentes, en particulier sur les réseaux sociaux, celle de se voir proposer « un énième SUV ».
Une certaine overdose du format star pour les véhicules neufs ces dernières années: une mode bien cernée par les constructeurs, et en particulier Renault, qui présente donc ce Rafale juste après son nouvel Austral, et le nouvel Espace, passé définitivement du monospace au format SUV.
Une opposition entre « gentils » monospaces et « méchants » SUV, qui revient souvent aujourd’hui dans les débats sur la place de la voiture dans nos sociétés. Une vision idyllique de l’ancienne star des familles qu’on ne retrouve pas forcément de l’autre côté de l’Atlantique, comme l’explique Anne Asensio:
« En Europe, c’est le monospace qui a initié les nouvelles formes d’hybridation des concepts automobiles, en lien direct avec la question de nouveaux usages de mobilité associés à des styles de vie décomplexés, affranchis de l’ostentation comme la voiture tricorps démonstrative d’un statut et associée au code du luxe et du premium ».
Elle poursuit: « Cette tendance forte des années 80-90 donnait au monospace une image progressiste socialement positive associée au vivre ensemble. Aux Etats-Unis, au contraire, le monospace était associé à l’image négative de la Soccer mom’s car: la mère de famille qui avait besoin d’un véhicule de grande capacité, peu élégant car semblant traduire des usages ‘genrés’ (avec une dévalorisation par une appropriation sociale réservée aux femmes) pour transporter les enfants à l’école, à leurs activités sportives ou pour faire les courses ».
Finalement, c’est d’une certaine manière ce rejet du monospace en Amérique du Nord, qui a fait naître la mode du SUV.
« Dans les années 2000, lorsque les premiers SUV apparaissent, avec quelques déboires sur l’ajustement de la proportion comme de la définition stylistique, rappelle Anne Asensio. Ils se sont dotés d’une image plus masculine, plus positive et se sont de fait développés au détriment des monospaces à l’image moins valorisante. »
Un Renault Rafale, copie du Peugeot 408?
Autre reproche fait au Renault Rafale, d’être une copie d’un des derniers modèles de Peugeot, la 408. Une critique plus globale sur le fait que toutes les voitures, notamment les SUV se ressemblent.
« Que toutes les nouvelles voitures se ressemblent? J’entends ça depuis que j’ai commencé ma carrière dans le design automobile dans les années 80. Il y a par moments de l’innovation, comme avec les monospaces, le SUV, mais sinon ce sont plutôt des évolutions », souligne Anne Asensio.
Autre point à avoir en tête sur ce prétendu mimétisme entre Peugeot 408 et le dernier modèle de Renault: derrière le Rafale de Renault, on retrouve le chef designer de Renault, Gilles Vidal, arrivé en 2020 en provenance… de chez Peugeot. Sur ce cas précis, on peut donc parler d’une continuité dans le style, plutôt que d’une « copie ».
Mais plus globalement, d’où viennent ces SUV coupés qui se multiplient dans le paysage automobile ces derniers temps?
« Les Américains ont donné le ton dans l’automobile sous la forme de l’hybridation des concepts et ont été précurseurs sur le SUV issu d’une réutilisation des plateformes iconiques de ‘trucks’. Mais le SUV coupé est très clairement une réécriture d’influence européenne. Le SUV coupé, c’est un peu un SUV qui entre sa tête dans les épaules. Pour des raisons à la fois aérodynamiques et de recherche d’élégance », analyse Anne Asensio.
Autre explication, ce format s’avère idéal pour proposer de nouveaux modèles sur les plateformes (les bases techniques des véhicules) déjà existantes, alors que de lourds investissements sont en cours pour en développer de nouvelles, optimisées pour les motorisations électriques.
« La miniaturisation des plateformes électriques va prendre du temps, comme la réduction drastique de leur diversité, souvent pas plus de trois plateformes pas marque pour un nombre toujours plus grand de diversité de variantes, explique Anne Asensio. En attendant, le designer va donc chercher à jouer sur les proportions et les référents culturels. Comme dans le cas du Renault Rafale. »
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