LES ANIMAUX ET LA VILLE (1/4) – BFMTV s’intéresse cet été à ces animaux qui, malgré le béton, la pollution et la flore plus rare qu’ailleurs, arrivent à vivre avec nous en ville. Ce premier épisode s’intéresse aux « nuisibles ».
« Maladies », « détérioration », ‘fientes »… Certains animaux vivant en zone urbaine sont accusés de nombreux maux, et considérés comme « nuisibles » par les municipalités. Ce terme désigne les espèces qui nuisent à l’existence de l’homme en ville, de par les détériorations et les problématiques sanitaires qu’elles entraînent, et dont il faut réguler la population.
Sur la première marche du podium de ces animaux vus comme néfastes, on retrouve le rat, suivi de près par le pigeon et par une série d’insectes à l’image peu ragoutante comme les cafards et les punaises de lit.
Les nuisibles « sont des espèces envahissantes en zone urbaine, on ne peut pas les laisser proliférer », explique sans détour à BFMTV.com Geoffroy Boulard, maire du XVIIe arrondissement de Paris.
Les rats, une « question de santé publique »
Cet élu Les Républicains a fait de la lutte contre la prolifération du rat un combat dans sa municipalité, expliquant qu’ils « posent une question de santé publique, c’est un danger pour l’homme et sa santé ». D’autres élus locaux se distinguent aussi dans cette lutte. « Ces rongeurs souillent les denrées alimentaires, ils sont vecteurs de maladies par leurs urines et leurs déjections, leurs morsures et leurs parasites », écrit la ville de Montpellier sur son site.
Ces craintes sanitaires ont été appuyées le 15 juillet dans un communiqué de l’Académie nationale de médecine qui parle du « rat d’égout » comme de « la plus nuisible des espèces commensales de l’Homme ». L’Académie pointe du doigt « son intense prolificité » et assure que « le rat reste une menace pour la santé humaine en raison des nombreuses zoonoses (maladie transmissible de l’animal à l’homme, NDLR) par ses exoparasites, ses déjections, ses morsures ou ses griffures. »
Elle cite des risques de septicémie en cas de morsure, et la transmission de plusieurs bactéries et virus aux conséquences graves pour l’homme.
François Lasserre, vice-président de l’Opie (Office pour les insectes et leur environnement), rejette, lui, l’idée que ces animaux transmettent de nombreuses maladies, et parle « surtout d’une maladie, la leptospirose », dont on trouve moins de 500 cas par an en France avec très peu de mortalité, explique-t-il.
Cette maladie « se contracte en effet au contact d’un milieu humide contaminé par les urines des rats principalement (boue, flaques d’eau…) », expliquait l’Agence régionale de santé de La Réunion en avril dernier, parlant d’une « maladie grave si elle n’est pas traitée à temps, elle peut mener à une hospitalisation voire un décès. »
Une nuisance liée à leur mauvaise image?
Au-delà de la problématique sanitaire, cet animal est aussi accusé de détériorer des infrastructures, comme « les matériaux isolants des habitations et les réseaux électriques, pouvant provoquer des courts-circuits », déclare la mairie de Montpellier qui parle de « dégâts considérables ».
Pour François Lasserre, cet acharnement contre le rat tient surtout à sa mauvaise réputation, pas vraiment justifiée: « le mot rat est devenu stigmatisant », explique-t-il, « c’est un trauma dans notre culture depuis la peste ».
Douchka Markovic déléguée auprès du Maire du 18e arrondissement de Paris, chargée de la condition animale, avait d’ailleurs appelé début juillet à ne plus parler de « rats » pour les rats bruns présents en ville, mais de « surmulots », un terme « moins connoté négativement ».
« Très bien, certains rats peuvent être embêtants, mais il ne faut pas stigmatiser toute une espèce à partir de quelques individus », déclare François Lasserre, « des millions de Parisiens côtoient chaque jour des millions de rats et ils ne se passent rien, c’est eux qui ont peur de nous ».
Les pigeons font eux aussi partie de ces nuisibles urbains, notamment pointés du doigt pour leur saleté. Leur multiplication « autour d’un même endroit favorise les nuisances pour les habitants: fientes, bruit, détérioration des bâtiments… », écrit la mairie de Lille.
Ils sont « associés à la saleté. Culturellement ils renvoient une certaine image, on en a peur et cela nourrit le fait qu’on les tue », déclare à BFMTV.com Amandine Sanvisens, co-fondatrice de PAZ (Paris Animaux Zoopolis) qui souligne le fait que « tous les animaux peuvent transmettre des maladies, des zoonoses, c’est une raison pour tous les tuer? »
Ces animaux « pâtissent d’une image de saleté alors qu’ils ne sont pas sales », déclare François Lasserre. Il ajoute également que le cafard, qui traine lui aussi une mauvaise image, est un insecte « inoffensif », mais concède qu’être confronté aux punaises de lit est « bien plus ennuyeux ».
Y a-t-il plus de rats que d’habitants à Paris?
Outre la peur d’attraper des maladies via ces espèces, il y a également souvent l’idée qu’elles prolifèrent, que ses membres sont de plus en plus nombreux en ville, représentant donc un danger croissant. Le nombre de punaises de lit semble ainsi avoir grandement augmenté ces dernières années, avec une hausse de 76% des interventions de professionnels en 2020.
Côté rongeurs, dans son communiqué, l’Académie nationale de médecine parle d’un « ratio de 1,5 à 1,75 rats par habitant à Paris et Marseille », ce qui représenterait des millions d’individus. Mais d’autres relativisent ce comptage.
Le Muséum national d’Histoire naturelle écrit ainsi, dans une fiche datant de 2021, « qu’il existe peu de données contemporaines sur les populations de rats en milieu urbain ou sur les maladies associées aux rats, et aucune pour Paris ». Ce manque de connaissances « empêche les scientifiques et les gestionnaires des villes d’évaluer les risques de santé publique associés aux rats et de développer ensuite des stratégies pour surveiller et atténuer ces risques. »
D’après une étude de 2016-2017, relayée par la mairie de Paris, la population de pigeons bisets – une des trois races de pigeons présentes dans la capitale – ne serait, elle, dans la capitale, que de 23.000 individus, pour plus de deux millions d’habitants.
Il y aurait en somme moins de rats et de pigeons qu’on le pense, et pas forcément de plus en plus, comme cela est régulièrement pointé du doigt. Quand il y a des travaux dans certaines parties de la ville les animaux vivant sur place sont délogés et sortent, en conséquence, « on peut avoir l’impression qu’il y en a de plus en plus par endroits », déclare Amandine Sanvisens, soulignant qu’en zone urbaine, ces espèces trouvent de moins en moins d’espaces où loger.
Ils « nettoient des tonnes de déchets »
D’autre part, François Lasserre relève leur participation à l’écosystème urbain, car pigeons et rats « nettoient des tonnes de déchets en surface dans la ville ». « Les rats mangent 25 grammes de déchets par jour. Chacun d’entre eux nous débarrasse donc de 9 kilos de déchets au cours de sa vie », expliquait à 20 minutes Pierre Falgayrac, expert en hygiène et sécurité sur les rats.
Douchka Markovic note elle aussi « le rôle important joué par les surmulots au quotidien dans les égouts avec l’évacuation de plusieurs centaines de tonnes de déchets, et débouchage de canalisation. Ils sont nécessaires à la gestion des égouts de la ville de Paris, ils sont nos auxiliaires de la maitrise des déchets ».
Ces animaux font également partie de la chaîne alimentaire, ils occupent une place dans l’écosystème. Les cafards sont ainsi une source de nourriture pour d’autres espèces comme les lézards, les hérissons ou les souris. Supprimer leur existence, c’est donc retirer à ces animaux une partie de leur alimentation.
« Notre société refuse de se poser la question de cohabiter avec des animaux »
Mais face aux dégradations urbaines liées à ces espèces classées dans la catégorie nuisibles, de nombreuses techniques existent aujourd’hui dans les villes pour les réguler: piégeage, asphyxie, captures, « lutte chimique »… Geoffroy Boulard explique mettre parfois en place des grillages, et sinon utiliser de la glace carbonique qui asphyxie les rats visés. Il assure utiliser « des moyens proportionnés ».
C’est « cet arsenal létal que nous dénonçons », explique Amandine Sanvisens. « Aujourd’hui, notre société refuse de se poser la question de cohabiter avec des animaux sans les tuer dès qu’ils nous dérangent ». Elle ne s’oppose pas directement à la régulation mais aux techniques blessant ou tuant ces individus, qui « sont inefficaces ».
« Les surmulots seront toujours présents à Paris quoique nous fassions, la réalité est que les actions menées jusqu’à maintenant ne fonctionnent pas et sont très couteuses », avait également expliqué Douchka Markovic, réclamant des méthodes « efficaces et non létales. Nous devons nous interroger sur les surmulots et leur manière de vivre, mieux les connaitre afin de trouver des méthodes efficaces et éthiques ».
Des procédés liés à la reproduction sont déjà proposés par endroits, comme les pigeonniers contraceptifs: les pigeons vont pondre dans des lieux dédiés en ville, où leurs oeufs sont rendus stériles.
« Le rapport aux déchets est essentiel »
Pour François Lasserre, si on veut moins voir ces espèces, « il faut faire de la prévention » et d’abord commencer par éviter de laisser de la nourriture partout. « Les cafards sont là parce qu’il y a de la nourriture », souligne-t-il. Pour limiter la prolifération de ces espèces, « le rapport aux déchets est essentiel », abonde Geoffroy Boulard.
La mairie de Lille écrit également qu’il ne faut pas nourrir « les pigeons, si vous ne voulez pas qu’ils prolifèrent », et qu’en « nourrissant les pigeons, vous attirez les rats. »
Étant donné que les « surmulots » sortent principalement à la tombée de la nuit, « si les lieux très visités par eux étaient nettoyés plutôt en fin de journée les surmulots seraient moins incités à y venir pendant la nuit pour se nourrir », explique également Douchka Markovic, ajoutant que « le nettoyage et l’absence de nourriture en surface semblent être une solution majeure, à cela doit se coupler le bouchage des trous permettant aux surmulots de remonter dans les immeubles, ou la pose de grilles dans certains endroits. »
Si François Lasserre appelle à voir le « surmulot » comme un animal doué d’importantes capacité cognitives, et à apprendre à cohabiter avec lui en ville, comme avec les autres espèces présentes, il a conscience qu’un long chemin reste à parcourir avant d’en arriver là, car « quand ce n’est pas désiré, on n’a pas envie de cohabiter. »
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