Selon une dernière étude de Santé publique France, plus d’un tiers des Français fument, et un quart d’entre eux allument une cigarette tous les jours. Leur nombre ne baisse plus, après des années de déclin.
Le nombre de fumeurs stagne en France, après avoir nettement baissé chaque année depuis la deuxième moitié des années 2010. C’est le constat qu’a fait ce mardi Santé publique France, à l’occasion de la journée mondiale sans tabac. Et ce, en dépit des efforts gouvernementaux pour lutter contre le tabagisme, avec une augmentation régulière du prix des cigarettes et des campagnes de prévention.
« Inégalités sociales »
Dans son étude publiée ce mercredi, Santé publique France met en avant des « inégalités sociales (…) très marquées » en matière de tabagisme au sein de la population française. L’agence a dénoté une prévalence du tabagisme quotidien « nettement plus élevée lorsque le niveau de diplôme est plus faible ». Près d’un tiers des personnes n’ayant pas le baccalauréat ont l’habitude de fumer quotidiennement, contre 16% des personnes disposant d’un diplôme supérieur au bac.
Le tiers de la population ayant les revenus les plus bas constitue aussi l’ensemble le plus touché par le tabagisme. Quatre personnes au chômage sur 10 fument quotidiennement, contre 26% des actifs et 19% des étudiants.
Pour certains experts, les inégalités sociales sur le tabagisme peuvent être vues comme un effet collatéral des campagnes de santé publique. Elles ont « un impact plus important parmi les classes sociales plus favorisées », selon la présidente de la Société francophone de tabacologie, Anne-Laurence Le Faou.
Selon l’agence, ces inégalités sociales « seront un enjeu majeur pour le troisième programme national de lutte contre le tabac, qui sera lancé en 2023 ». Ces plans de lutte passent notamment par des « dispositifs de prévention précoce en milieu scolaire » ou encore l’aide à l’arrêt du tabac.
Pour Anne-Laurence Le Faou toutefois, « l’amélioration des conditions sociales de ces groupes de fumeurs n’est pas une stratégie suffisante pour faire baisser la prévalence tabagique car l’addiction au tabac est sévère ». La tabacologue plaide pour une meilleure aide au sevrage des parents, pour l' »amélioration des conditions de scolarité des enfants » ou encore la « lutte contre l’isolement social », l' »encouragement à l’obtention d’un diplôme et à l’accès à une activité professionnelle ».
Covid-19 et stress
Outre les inégalités sociales, les chercheurs de Santé publique France estiment que l' »impact de la crise sanitaire, sociale et économique liée à la Covid-19 ne peut être exclu » face à cette stabilisation du nombre de fumeurs « et à la hausse observée parmi certaines populations ».
La crise a été anxiogène pour une grande partie de la population, tant sur le plan sanitaire qu’en raison des restrictions mises en place par les gouvernements. Le télétravail, les éventuelles pertes économiques liées à un ralentissement ou à un arrêt de l’activité ont également augmenté le stress d’une partie de la population. Ces facteurs ont pu pousser les fumeurs à continuer ou à reprendre leur consommation de tabac.
Ces derniers notent toutefois dans leur rapport que la crise a également « davantage touché les populations les moins favorisées » pour qui « la cigarette peut être perçue comme un outil de gestion du stress et des difficultés du quotidien »
« Cette pandémie a également pu avoir un impact sur la santé mentale de la population, (…) les troubles anxieux et dépressifs (étant) associés au tabagisme », souligne l’étude menée par l’épidémiologiste Anne Pasquereau.
Illustration de ce phénomène lié à la pandémie, les tentatives d’arrêt de la cigarette liées à l’opération « Mois sans tabac » ont diminué durant les deux années de crise sanitaire, selon les auteurs du rapport.
Ces hypothèses restent toutefois à nuancer. Les États-Unis, touchés eux-aussi par la pandémie, ont vu la consommation de tabac baisser pour atteindre des niveaux particulièrement bas, avec un Américain sur dix déclarant fumer en 2022.
Inflation moindre sur le paquet de cigarettes
L’inflation galopante qui fait partie du quotidien des Français depuis 2021 et s’est accentuée l’an dernier avec le début de la guerre en Ukraine peut également être source de stress et d’anxiété et ainsi favoriser l’envie de fumer une cigarette. Mais si la hausse des prix a fortement touché l’alimentation (+12% en 2022), »les prix du tabac n’ont que très faiblement augmenté en 2021 et 2022« , note Santé publique France.
Ces moindres hausses ont donc eu pour effet « une baisse relative du prix du tabac par rapport aux autres produits de consommation », ces derniers ayant en moyenne vu leurs prix augmenter de 5,9% l’an dernier. » Un rattrapage a été mis en place avec une augmentation de 50 centimes en mars 2023 et une augmentation de 35 centimes prévue pour 2024″, notent toutefois les chercheurs, qui estiment que ‘la politique de prix pourrait être un enjeu majeur » du gouvernement.
L’Alliance contre le tabac préconise une hausse « progressive et continue » du prix du paquet pour atteindre 15 euros en 2027, rappelle son président, le Dr Loïc Josseran, dans un article publié ce mercredi par l’Institut Montaigne.
Si l’import de cigarettes depuis l’étranger, où le paquet coûte parfois moins cher, n’a pas cessé, le Sénat a voté mardi une réforme sécurisant les capacités de fouille des douaniers, alors que Bercy publiait la semaine précédente un bilan 2022 « exceptionnel » pour la douane française, avec notamment un record de 649,07 tonnes de tabacs et cigarettes saisies.
Le texte alourdit également la peine prévue pour l’introduction ou importation frauduleuse de tabacs manufacturés. Elle est portée de un à trois ans (dix ans en cas de bande organisée). Le Sénat aussi voté un amendement du gouvernement élargissant la possibilité pour la douane d’utiliser des drones, notamment dans la lutte contre les trafics de tabac.
Hausse du vapotage
Plus de 40% des Français ont par ailleurs déclaré avoir déjà expérimenté la cigarette électronique, contre 38% en 2021. Quelque 7% d’entre eux l’utilisent actuellement, en hausse significative depuis 2016.
Les jeunes peuvent être tentés par la version jetable de ces vapoteuses électroniques, les « puffs », qui ont des goûts de bonbons et sont présentées de manière particulièrement attrayantes pour un public adolescent, avec des couleurs vives. « Un marketing complètement édulcoré », dénonçait sur BFMTV Marion Catelin, directrice de l’Alliance contre le tabac. Les puffs possèdent par ailleurs de la nicotine, pouvant créer une forte accoutumance et pousser les jeunes à consommer, par la suite, des cigarettes plus classiques.
Le ministre de la Santé François Braun s’est montré favorable à leur interdiction. Il a toutefois ouvert la voie à la prescription, par les pharmaciens, ainsi qu’au remboursement par la sécurité sociale de substituts nicotiniques favorisant l’arrêt du tabac sous forme de cigarettes électroniques.
Une mesure qui doit être encadrée, selon les associations de lutte contre le tabagisme, avec notamment un suivi sur plusieurs semaines ou mois des patients qui bénéficient de ces prescriptions, afin que le « fumeur ne devienne pas un vapoteur », selon des propos du président de l’Alliance contre le tabac sur Sud Radio lundi.
Règlementation moins stricte que dans d’autres pays
Dès 1991 et la loi Evin, la France s’est dotée d’une loi pour lutter contre le tabagisme. S’en sont suivies des interdictions de fumer dans certains lieux publics, comme les restaurants (2004), puis dans les établissements de santé, transports en commun, écoles et lieux de travail (2007).
Mais certains pays interdisent même la consommation de tabac sur les terrasses des bars et des cafés, ou dans les lieux publics en extérieur, ce qui ne fait pour l’heure l’objet d’aucune loi en France. Désireuses de lutter également contre le tabagisme passif via l’inhalation de fumées par des non-fumeurs, plusieurs communes ont alors pris la question à bras-le-corps pour instaurer des espaces sans tabac dans les parcs ou jardins. C’est notamment le cas d’Argenteuil, dans le Val-d’Oise.
« C’est une bonne chose pour les citoyens, pour les gens qui ne fument pas, et aussi pour les enfants », réagissait au micro de BFMTV un habitant de la commune ce mercredi matin, favorable à ce que « l’on force un petit peu les choses » pour réduire les « nuisances » liées à la fumée de cigarette.
« Ces décisions (…) permettent aussi d’exclure le tabac de notre quotidien. Elles donnent ainsi l’opportunité aux fumeurs d’associer les moments conviviaux et agréables aux lieux et aux personnes qui les entourent plutôt qu’à la cigarette », abonde le Dr Loïc Josseran dans son article.
La Suède, meilleur élève de l’U.E ?
Le « premier » pays à restreindre le tabagisme dans les espaces publics, « d’abord dans les cours de récréation et les centres périscolaires, puis dans les restautants, les cafés en plein air et les lieux publics tels que les gares routières » a été la Suède, selon Ulrika Arehed, à la tête de la Société suédoise du cancer, selon des propos rapportés par l’agence Associated Press. Mais dans ce pays aussi, la proportion de fumeurs, bien qu’ayant drastiquement diminué, reste plus grande chez les plus défavorisés.
La Suède est en passe de devenir le premier pays « sans tabac » d’Europe (c’est-à-dire qu’il comptera moins de 5% de fumeurs dans sa population), alors que l’usage quotidien de la cigarette diminue, selon AP. L’an dernier, 5,6 % des Suédois de plus de 15 ans fumaient quotidiennement selon des données de l’Agence suédoise de santé publique, contre 18,5% des citoyens de l’Union européenne en 2019, selon Eurostat.
Au début des années 2000, un Suédois sur 5 fumait. Les experts attribuent la diminution drastique du nombre de fumeurs en Suède à des décennies consacrées à des campagnes de sensibilisation ainsi qu’à une législation anti-tabac. D’autres pointent le »snus », un tabac à chiquer présenté dans le pays d’Europe du nord comme une alternative à la cigarette mais interdit à la vente dans de nombreux autres pays membres de l’Union européenne, comme la France, car contenant de la nicotine et induisant une forte dépendance.
En France, des adolescents ont été victimes de malaises après avoir obtenu illégalement et consommé du snus. Selon l’Alliance française contre le tabac, ces petits sachets discrets peuvent également favoriser l’apparition de cancers du pancréas, entraîner des lésions des muqueuses dans la bouche et une rétraction irréversible des gencives.
« Passer d’un produit nocif à un autre n’est pas une solution », a déclaré l’OMS dans un courriel adressé à AP.
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