Les autorités sanitaires reconnaissent l’efficacité de plusieurs thérapies de désensibilisation allergiques, dans des conditions précises. Le fruit d’une remise en question du champ de l’allergologie.
À 24 ans, dont dix ans passer à souffrir d’importantes réactions face au pollen, Georges Brichler a sauté le pas. Allergique comme environ 25% des Français, selon la Société française d’allergologie, cet ingénieur parisien a décidé en début d’année de recourir à une thérapie de désensibilisation contre les allergies. Il cumulait alors des fortes sensibilités à la moisissure, aux acariens et à deux types de pollens: les graminées et les bouleaux. Il raconte que, pour lui, cette thérapie « a tout changé ».
Pendant de nombreuses années, l’arrivée du printemps a pour lui été synonyme de résignation face aux « gros rhumes des foins » qui l’attendaient et qui se traduisaient par des yeux qui piquent, des rhinites et de fortes baisses d’énergie. Pour certaines personnes, les allergies peuvent durer pendant une bonne partie des phases polléniques, d’avril à octobre en fonction du type de plante concernée.
“À partir du collège, chaque mois de mai, je manquais une ou deux semaines de cours et j’étais out pendant au moins trois semaines. C’est marrant cinq minutes mais c’est quand même très handicapant”, détaille-t-il.
À l’adolescence, il est suivi par un pédiatre homéopathe. Pour venir à bout de ses allergies, il l’envoie consulter un spécialiste, lui aussi adepte de l’homéopathie pour entamer une cure de désensibilisation se basant sur les méthodes de cette pseudoscience médicale. Malgré plusieurs années de traitement censé silencer ses allergies, son état ne s’est jamais amélioré.
« J’avais l’impression qu’on se foutait de moi », tance-t-il.
Les printemps se sont succédés et avec eux leur lot de pollens. Il y a peu, un de ses amis évoque sa récente désensibilisation aux poils de chats, dont il vante l’efficacité. Georges Brichler se laisse convaincre et prend contact avec l’allergologue qui suit son ami. Un premier rendez-vous est bientôt fixé, durant lequel la spécialiste pose « beaucoup de questions sur (son) style de vie », tout en disposant plusieurs gouttes d’allergènes sur son bras, dans le cadre de ce que les allergologues appellent des « prick tests ».
« Elle m’a dit que pour moi, la désensibilisation était adaptée pour les pollens. » Pour la moisissure et les acariens, un lavage régulier des draps et des antihistaminiques suffiront, dixit la spécialiste. La thérapie débute alors pour six mois, durant lesquels le jeune homme doit faire fondre un comprimé contenant des allergènes sous sa langue chaque jour.
Ces comprimés, comme les autres traitements reconnus contre les allergies, notamment les gouttes à positionner sous la langue, se basent sur une administration régulière et de plus en plus importante de doses d’allergènes. L’objectif est d’habituer le système immunitaire de l’individu pour qu’il ne considère plus les allergènes comme des menaces.
Au fil du traitement, ces doses deviennent « plusieurs dizaines de fois supérieures à ce que la personne respire dans des conditions habituelles », explique Pascal Demoly, président de la Fédération française d’allergologie et expert de la discipline pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Généralement, une cure de désensbilisation dure trois ans, soit en continu soit par cures réitérées de plusieurs mois. C’est cette deuxième option que suit Georges Brichler depuis début 2023. À l’issue d’une première session de six mois, il fait part de son soulagement.
“Je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi efficace la première année”, partage-t-il.
« Je me suis mouché quelques fois quand il y avait vraiment beaucoup de pollens mais je n’ai pas du tout été out en avril-mai », se réjouit-il. « Pour le moral, c’est important, c’est un vrai boost, surtout après ma première expérience qui n’était pas terrible ».
Pour consolider le traitement, Georges Brichler doit renouveler cette première cure au cours des deux prochaines années, en commençant comme en 2023 quelques mois avant la saison des pollens. Le traitement pourra alors être être efficace jusqu’à 10 ans.
Pas pour toutes les allergies et pas pour tout le monde
Georges Brichler n’est pas un cas isolé de réussite de thérapie de désensibilisation mais ces traitements ne sont pas non plus la panacée. Dans le cas du jeune homme, son allergie au pollen de graminées et boulot fait partie des cas où l’efficacité de la méthode par comprimés a été démontrée dans le cadre des trois phases tests reconnus par la Haute autorité de santé, de même que pour les pathologies liées aux pollens d’ambroisie et aux acariens.
Les usages des produits dits « APSI » (« Allergènes préparés Spécialement pour un seul Individu ») sont aussi largement répandues en traitement par injonction ou sous forme de goutte à placer là aussi sous la langue. Les différentes préparations utilisées pour les mélanges sont autorisées par l’Agence de sécurité nationale du médicament (ANSM) mais leur efficacité ne peut pas réellement être prouvée, car chaque mélange est différent en fonction de l’individu. Elles ne présentent toutefois un plus faible niveau de preuve que les comprimés.
Jocelyne Just, pneumo-pédiatre à l’Hôpital américain de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) et professeur émérite à Sorbonne université, précise d’ailleurs que « la désensibilisation, ça marche quand on choisit bien le candidat ».
« Il faut être sur que la pathologie est liée à l’allergène », explique-t-elle. « Si vous désensibilisez à la poussière alors que la personne est allergique aux chats, ça ne marchera bien évidemment pas. »
Elle prévient aussi que le degré de sévérité de l’allergie peut empêcher une désensibilisation. « Il faut être suffisamment gêné: si vous ne l’êtes pas, ça ne marchera pas. Et de l’autre côté, si votre allergie se traduit par une asthme sévère, c’est déconseillé » en raison du trop grand risque de réaction allergique dangereuse.
Le fait de souffrir une maladie autoimmune est aussi facteur de contre-indication, de même que le fait d’avoir un cancer, car la chimiothérapie peut dégrader le système immunitaire. Enfin, on ne désensibilise pas avant cinq car « la maladie n’est pas encore assez identifiée » et que faire « faire garder un cachet sous la langue deux minutes à un jeune enfant, c’est compliqué », résume Jocelyne Just.
Des preuves d’efficacité apportées récemment
La désensibilisation ne se décide donc pas sur un coup de tête. D’autant que ne pas respecter les conditions d’emploi des thérapies allergiques reconnues, c’est alimenter le scepticisme encore grand à leur égard, y compris de la part des autorités sanitaires.
En 2018, la Direction générale de la sécurité sociale a menacé d’arrêter de rembourser les thérapies de désensibilisation, reprenant les limites soulignées par la Haute autorité de santé.
Après la mobilisation de la profession, elle n’a finalement déremboursé que les formules injectables, jugées à risque d’œdème. Elle a toutefois acté la baisse du remboursement de 65% à 30% des produits APSI, qui présentaient un niveau de preuve trop faible et maintenu ce taux à 15% pour les comprimés, dans un moment où ils multipliaient les réussites des tests réglementaires.
Car la discipline n’a apporté que récemment les niveaux de preuves demandées par les autorités avec les récentes homologations de la Haute autorité de Santé, rappelle Pascal Demoly, président de la Fédération française d’allergologie et expert de la discipline pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Il estime en effet que “jusque dans les années 2000, la recherche et développement (sur les thérapies de désensibilisation, NDLR) n’étaient pas développés ». « Les produits étaient bons mais les études étaient de petites tailles, moins de 100 personnes. »
Il souligne que « ce n’était pas demandé de faire des grosses études qui coûtent entre 5 et 10 millions d’euros. Pourquoi le faire si on ne vous le demande pas?”
Aujourd’hui, des comprimés de désensibilisation contre les allergies causées par les pollens de bouleaux et de cèdres, ainsi que pour un certain type de moisissure. Les professionnels espèrent que ce développement de la gamme des produits reconnus pourra, à terme, faire remonter le taux de remboursement pour produits de désensibilisation qui peuvent coûter entre 300 et 600 euros pour une cure de six mois qu’il faut renouveler trois fois, selon Pascal Demoly.
« Il faut absolument éviter une médecine à deux vitesses entre ceux qui peuvent et ceux qui ne peuvent pas se les payer », défend Jocelyne Just.
La spécialiste regrette le regard suspicieux parfois porté sur l’allergologie mais se veut optimiste, notamment face à l’augmentation en flèche de cas d’allergie déjà en cours et qui devrait se poursuivre, selon l’OMS: « de toute façon, en 2050, 50% de la population mondiale sera allergique alors si on ne désensibilise pas, on fait quoi? »
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