Ouvrir un refuge ou un centre de soins pour animaux: un rêve pour beaucoup d’amoureux des bêtes, mais qui peut tourner à la désillusion. Énorme charge de travail, solitude et irrégularités des finances sont autant d’aspects que n’avaient pas prévu certains gérants, et qui les ont fait déchanter.
« Je sais qu’il faut s’arrêter avant que ce soit la vie qui vous arrête », lâche Jean-Luc Daub. Cet Alsacien, ancien enquêteur dans les abattoirs français, reconverti comme éducateur spécialisé, a commencé à recueillir des animaux chez lui « par hasard ». Il est aujourd’hui à la tête d’un refuge qui en a accueilli jusqu’à 72 en même temps.
Mais après des années d’une activité chronophage, soutenu par trop peu de bénévoles et des financements variables, car basé sur le don, il s’est résigné. Comme tant d’autres responsables de refuges et de centres de soins à but non lucratif et destinés aux animaux plus atypiques que les habituels chiens et chats, il s’apprête à arrêter son activité, faute de soutien et face à des financements trop variables. Ces structures se compteraient pas plusieurs centaines en France, sans qu’un chiffre clair soit connu.
Au cours des derniers mois, plusieurs établissements ont alerté. En juin, un centre de soins du Calvados a lancé un appel pour tenter de réunir 100.000€ sous peine de fermeture. En août, c’est un refuge de Dordogne en difficultés financières a expliqué qu’il serait contraint d’euthanasier ses animaux s’il venait à fermer faute de moyens. Un autre refuge de la Loire dénonçait quant à lui une arrivée massive de servals, des félins à la mode sur les réseaux sociaux. Sans compter les multiples SPA qui alarment régulièrement sur les abandons, pas seulement d’animaux de compagnie classiques, à l’approche de l’été et des départs en vacances.
« Ça a pris des proportions… »
C’est en 2016, alors qu’il se remettait d’un burn out, que Jean-Luc Daub a réalisé son premier sauvetage: un cochon dont le regard l’a marqué, un jour où il visitait un élevage après avoir pris ses distances de l’industrie de la viande. « C’était le même regard que tous les autres animaux que j’avais vus à l’abattoir. C’est la dernière chose que l’on voit avant qu’ils meurent ».
L’Alsacien décide d’embarquer le cochon anonyme dans sa ferme, achetée l’année d’avant à Sainte-Marie-les-Mines dans le Haut-Rhin, et le baptise Henni. Le sauvetage fait l’objet d’un important bouche à oreille dans la région: « On m’envoyait spontanément des dons, on me demandait de venir le voir, d’être bénévole à la ferme », raconte Jean-Luc Daub.
Fort de ce premier sauvetage, l’homme commence alors à recueillir d’autres animaux: un lot de 15 poules de batterie, un lapin, un jeune bouc, un pigeon… Et les bénévoles affluent, y compris depuis la Suisse, la Belgique et l’Allemagne voisines. Ils sont hébergés chez le sauveteur, qui s’estime tellement chanceux de faire l’objet de cet enthousiasme.
« C’est un peu le pendant positif de tous les animaux que je n’avais pas sauvé pendant ma carrière », résume-t-il.
Mais les mois et années passent, et Jean-Luc Daub a l’impression de perdre la main: « Ça a pris des proportions… les dons, les bénévoles, l’assurance… ça a pris le pas sur ma vie privée, je ne voulais plus tout mélanger ». En 2021, il crée une association pour appuyer son refuge à domicile, qui accueille sans cesse de nouveaux animaux, et envisage même d’embaucher des salariés, lui qui ne s’est jamais versé de salaire.
Mais le Covid est passé par là et les bénévoles se font plus rares. Bien souvent, il est seul et s’épuise. Il finit par prendre la décision qu’il avait tant repousser: « lever le pied », pour son propre bien.
Aujourd’hui, même s’il espère encore un « miracle » -trouver quelqu’un pour reprendre son refuge- il a déjà commencé à placer ses animaux dans d’autres structures. « C’est pas facile d’arrêter, par le lien qu’on a avec les animaux, qui ont leurs complicité, leurs points de repère, un peu trop parfois », sourit-il, « mais la vie continue ».
Une certaine désillusion, alors que le travail avec les animaux peut souvent être vu comme un rêve par les passionnés sans trop d’expérience et une alternatives éthique aux établissements commerciaux comme les zoos.
« J’ai fait ce qui me plaisait et j’en subis les conséquences »
Ce retour d’expérience est partagé par beaucoup d’acteurs officiant dans le secteur, comme Didier Masci, 67 ans, vice-président du Réseau national des centres de soins pour animaux. Lui-même a ouvert son centre, Volée de piafs, à Languidic, dans le Morbihan, il y a 16 ans, après avoir été marqué par la marée noire causée par le naufrage du pétrolier Erika en 1999. Objectif: accueillir et soigner des animaux sauvages, surtout des oiseaux, dans le but de les relâcher dès que possible.
En 2007, l’année de la création de son association, le Breton accueille sur son centre 125 animaux. En 2019, dernière année d’expansion avant le Covid et des brouilles en interne qui affaiblissent le centre, ce sont 4050 accueils qui sont enregistrés, avec un « taux de survie d’environ 50% ».
« C’est un peu de la folie », reconnaît le sexagénaire, « il faut avoir la foi complète, sept jours sur sept ».
Depuis 16 ans, le rythme est militaire. Levé à 6h du matin, le sexagénaire enchaîne soin, nourrissage, lavage des enclos, recupération d’animaux à secourir et passages chez le vétérinaire, jusqu’à 21 heures, aidé par quatre personnes en service civique et quelques bénévoles. Et lorsque la nuit tombe, le sexagénaire entame sa deuxième journée, celle d’artisan restaurateur de meubles anciens. En janvier, il pourra enfin prendre sa retraite et percevra 720€ par mois après 50 ans de travail dont 40 dans l’artisanat.
« Je ne me plains pas. J’avais qu’à faire autre chose sinon. Mais non, j’ai fait ce qui me plaisait et j’en subis les conséquences aujourd’hui », explique-t-il, doux-amer.
Didier Masci a mis tout son argent dans son centre de soins. Faute d’avoir pu investir dans une maison, il vit aujourd’hui dans une caravane qui jouxte les enclos des animaux qu’il secourt. « C’est pas drôle de rentrer là tout seul, quand il fait froid… », partage celui qui estime que son choix de vie a conduit à son divorce. « Mais le matin, quand j’ouvre la porte, c’est une joie ».
« Ça va probablement se casser la gueule un jour »
Avec l’âge, se pose aussi la question de sa succession à la tête du centre, qui n’est pas assurée à l’heure actuelle. « Je ne donne pas de date, je continuerai jusqu’à la fin », promet-il. « Ce qui est frustrant, c’est juste d’imaginer que ça va probablement se casser la gueule un jour ».
Pour éviter le crash, il conseille, comme Jean-Luc Daub, de ne pas se lancer tête baissé dans un tel projet, en pensant que la seule passion pour les animaux suffira. « Il faut le faire, c’est important, mais de la bonne manière. Il faut créer une association, visiter des centres, plusieurs même, augmenter progressivement l’accueil et trouver des partenariats qui tiennent la route », recommande le sexagénaire.
Car ce qu’ils regrettent, c’est le désengagement des pouvoirs publics, qui n’hésitent pourtant pas à faire à appel à eux pour la prise en charge des animaux. « L’État a besoin de placer les animaux qui sont saisis par les services vétérinaires par exemple, mais je n’ai jamais reçu aucune aide publique », déplore Jean-Luc Daub.
Et Didier Masci de se remémorer quand son centre de soins avait été réquisitionné pour prendre en charge « guillemots et pingouins tordas » après la tempête de 2014: « On a eu 5000€ de l’État, alors que ça nous a coûté des sommes folles », se souvient-il.
Le gouvernement reconnaît des lacunes
Contacté par BFMTV.com, le secrétariat d’État à la Biodiversité reconnaît qu' »en France, les appels à la générosité publique ne suffisent pas à équilibrer un modèle économique fragile ».
Il annonce que « des réponses aux difficultés des centres de soins seront apportées prochainement », sur la base de recommandations issues d’une mission de l’inspection générale du ministère, « conjointement avec le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire concerné par les enjeux ».
Mais en attendant le concours de la force publique, Patrick Violas, gérant avec son épouse Francine de La Tanière, l’un des plus grands refuges de France, situé en Eure-et-Loire, conseille surtout d’assurer ses arrières en amont du projet. Cet ancien patron d’une entreprise de téléphonie mobile créée en 1993 employait 1800 salariés jusqu’en 2009, année où il a revendu son affaire.
À la clé: 330 millions d’euros dont 30 sont rapidement « mis sur la table » pour lancer La Tanière. Patrick Violas n’a quant à lui pas renoncé au modèle du zoo pour équilibrer ses comptes, mais privilégie avant tout le bien-être des 600 animaux accueilis actuellement, aussi bien cochons que lions ou encore alpagas.
Il rappelle que dans l’ouverture et la gestion d’une telle structure, « c’est pas le monde des bisounours. On passe pas notre temps à faire des câlins aux animaux ».
« C’est un risque important. Il faut savoir gérer une entreprise », estime l’ancien patron. D’autant que la période d’inflation actuelle fait que « c’est difficile pour tout le monde, donc c’est compliqué de lever des dons ».
Et ces diffiicultés n’ont d’ailleurs pas épargné La Tanière. Ayant ouvert à grande échelle après le début de la crise sanitaire, le refuge n’a pas eu dès le départ l’affluence qu’il escomptait et s’est fortement endetté pour lancer son activité. Mais grâce à un appel aux dons lancé mi-février, le centre a réussi à lever plus de 2,5 millions d’euros en à peine trois semaines, grâce à plus de 50.000 dons.
Un succès permis par « ce qui compte le plus », selon Patrick Violas: une communication massive, notamment sur les réseaux sociaux, assuré par plusieurs employés à temps plein. Un luxe que ne peuvent malheureusement pas se permettre de plus petites structures, condamnés bien souvent au bouche-à-oreille.
Cliquez ici pour lire l’article depuis sa source.