Antibiotiques, corticoïdes, sirops pour la toux et médicaments contre les maux de gorge… Des médecins alertent sur le phénomène de la surprescription pédiatrique.
Des remèdes inutiles, mal prescrits et surprescrits. Sur les réseaux sociaux, Toubib, médecin dans un service d’urgences pédiatriques, met en garde: la plupart des médicaments donnés aux enfants pour faire face aux virus saisonniers « ne servent à rien ».
« La prescription en pédiatrie en hiver, c’est souvent problématique. Pour ne pas dire n’importe quoi », s’alarme-t-il sur Twitter, passant en revue une longue pharmacopée bien connue des parents, mais qu’il juge au mieux inefficace, voire même risquée.
Des prescriptions « excessives »
Interrogée par BFMTV.com, Brigitte Virey, présidente du Syndicat national des pédiatres français (SNPF), reconnaît que les ordonnances sont encore trop longues. Mais elle assure que de nombreux médicaments inutiles ont déjà été supprimés, comme les fluidifiants longtemps prescrits pour les bronchites.
Globalement, les prescriptions médicamenteuses ont pourtant augmenté de 4% en dix ans, pointe l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale). Et dans l’Hexagone, 97% des enfants de moins de 6 ans sont ainsi exposés aux médicaments chaque année – « excessif » et « inapproprié », pointent deux études récentes.
Les petits Français ont par exemple cinq fois plus de chances de se faire prescrire des antibiotiques qu’aux Pays-Bas, une prescription « le plus souvent inadaptée ». Quant aux corticoïdes, ils sont 108 fois plus susceptibles d’en recevoir qu’au Danemark. Cette prescription est d’ailleurs « souvent établie de façon inappropriée pour des affections ORL banales », pointe encore l’Inserm.
Des prescriptions d’autant plus problématiques qu’elles ne sont pas sans risques.
« La population pédiatrique, et notamment les enfants les plus jeunes, sont particulièrement vulnérables aux effets indésirables à court et à long terme en raison de leur immaturité », écrit l’Inserm.
Des antibiotiques « à l’aveugle »
Des mises en garde que partage Toubib, également auteur de Urgences or not urgences – manuel de survie en milieu pédiatrique, qui alerte en parallèle sur le développement de la résistance de certaines bactéries aux antibiotiques.
« C’est un vrai problème de santé publique », s’inquiète-t-il auprès de BFMTV.com. En 2015, l’antibiorésistance a ainsi causé la mort de 5543 personnes atteintes d’infections à bactéries résistantes, selon une étude publiée dans The Lancet et relayée par le ministère de la Santé.
Depuis le slogan « les antibiotiques, c’est pas automatique », leur prescription a tout de même baissé – moins 12% en une décennie – mais c’est encore trop: la France reste le quatrième pays européen le plus consommateur, met en garde un nouveau rapport de Santé publique France, dévoilé par Le Parisien ce mercredi. Toubib estime qu’ils sont encore souvent employés « à l’aveugle », comme un « réflexe » pour répondre « à tous les maux des enfants ».
Car selon lui, les trois quarts des infections de l’hiver sont virales et n’exigent donc pas d’antibiotiques. Ce que confirme Andreas Werner, président de l’Association française de pédiatrie ambulatoire (Afpa).
« Les globules blancs produisent des anticorps qui s’attaquent aux virus, le corps guérit très simplement et sans chimie grâce au système immunitaire », affirme-t-il à BFMTV.com.
La Haute Autorité de santé rappelle d’ailleurs qu’une rhinopharyngite – même avec un écoulement nasal coloré – ou une angine chez un enfant âgé de moins de 3 ans ne doit pas faire l’objet d’un traitement antibiotique. Seul un test de diagnostic rapide positif, qui permet de vérifier l’origine bactérienne d’une angine, peut ainsi faire l’objet d’une telle prescription (chez les enfants de plus de 3 ans).
Andreas Werner, de l’Afpa, invite médecins et pédiatres à s’équiper plus largement de ces tests, distribués gratuitement à ceux qui en font la demande. « Il est impossible de déterminer l’origine d’une angine en se contentant d’inspecter la gorge, qu’il y ait des points blancs ou pas », assure-t-il. « Ce n’est pas un diagnostic. »
Haro sur les sirops contre la toux
Mais au-delà du cas – régulièrement évoqué – des antibiotiques, Toubib dénonce une longue pharmacopée inefficace. Le médecin considère ainsi que les sirops contre la toux ne devraient pas être prescrits aux enfants de moins de 3 ans – certains pays les déconseillent d’ailleurs jusqu’à l’âge de 6 ans.
« La toux, c’est un phénomène physiologique et souvent réflexe, arrêtons d’essayer de le supprimer », écrit-il. « D’autant plus qu’elle est très très souvent irritative donc sèche et qu’à part humidifier les voies aériennes supérieures, rien ne changera. »
Inutiles, certains de ces sirops sont aussi dangereux: ils endorment l’enfant, empêchant le réflexe d’expectoration. Certains peuvent également provoquer des effets secondaires rares, comme des crises convulsives. Ce médecin rappelle ainsi qu’un enfant qui tousse deux ou trois semaines, « ce n’est pas grave tant que l’examen clinique reste normal ».
« Les parents vont avoir l’impression que l’enfant est malade pendant plus d’un mois alors qu’en réalité, il enchaîne les virus, comme tous les enfants en hiver. Un second virus succède à un premier. Et c’est normal. »
Toubib dénonce également le recours aux médicaments contre les maux de gorge. Selon lui, boire chaud ou froid suffit. Il estime même qu’un simple bonbon est « bien plus efficace ». « Car c’est en produisant de la salive et en la ravalant qu’on aura un meilleur effet antalgique ». Quant au rhume, le sérum physiologique suffit: « Le reste, c’est de la surmédication. »
Autre maladie de l’hiver: la gastro-entérite. Il invite les parents à ne pas se tourner vers les médicaments anti-vomitifs. Une fois que l’estomac sera vide, explique-t-il, consommer des boissons sucrées en petite quantité et de manière fractionnée suffit pour lutter contre les nausées (le taux d’acétone augmente en cas de vomissements, causant une hypoglycémie qui en retour donne la nausée).
Le « réflexe » de prescrire
Comment expliquer cette surmédication? Brigitte Virey, du SNPF, évoque la « pression des parents » à quitter le cabinet avec une ordonnance. Il serait ainsi « plus facile » et « plus confortable » de prescrire des médicaments dont des antibiotiques, y compris pour une infection virale, surtout lorsque le médecin ne connaît pas la famille.
« Si on ne prescrit que du paracétamol en recommandant de faire des lavages du nez, les parents ont l’impression qu’on ne fait pas grand chose pour soigner leur enfant », assure-t-elle.
Si Toubib reconnaît lui aussi la pression des familles, il évoque une responsabilité « partagée » dans cette surmédication pédiatrique. « Il y a un réflexe des médecins français à prescrire, c’est dans la culture de la médecine », explique-t-il. Faute de prendre le temps de s’informer des nouvelles recommandations, ces médecins ne dévient pas de leur pratique. « Et on prescrit même si c’est inutile. »
Mais pour lui, le « cercle vicieux » de la surmédication fonctionne « à toutes les échelles ». Les parents seraient convaincus que l’enfant a besoin de médicaments. Si tel n’est pas le cas, ce sont les proches qui s’étonnent qu’il n’ait pas de prescription. « On prend donc l’habitude dès l’enfance d’avaler des médicaments pour guérir », estime Toubib.
Du côté du praticien, à force d’entendre cette demande, le médecin finit par modifier sa pratique et surprescrit au patient suivant, qui ne l’a peut-être pas forcément demandé. Ce dernier prend in fine lui aussi l’habitude de sortir du cabinet avec une prescription de médicaments.
« Les parents comme les praticiens ne supportent pas l’idée de ne rien faire, cela crée un sentiment d’impuissance », tranche Toubib. « La sensation de soigner devient plus importante que de soigner réellement. »
Ce médecin appelle ainsi à une meilleure éducation à la santé des professionnels comme du grand public et rappelle enfin que « consulter un médecin, c’est avoir un avis, une expertise ». Pas seulement donner un médicament.
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