La campagne de sensibilisation #Mendorspas (m’endors pas) lancée lundi vise à faire connaître du grand public et des professionnels de santé la soumission chimique et ses symptômes.
Propos incohérents, état semblable à l’ivresse, perte de poids, de cheveux, insomnies, syndrôme de sevrage ou de stress post-traumatique, vertiges, convulsions… De nombreux symptômes peuvent évoquer la soumission chimique.
Le mouvement #Mendorspas, fondé par Caroline Darian, partage dans sa campagne de sensibilisation lancée lundi ces signes afin qu’ils soient reconnaissables, et qu’ils puissent permettre d’aider les victimes, qui ne se rendent pas toujours compte qu’elles sont droguées à leur insu par des proches.
L’entourage, « témoin impuissant » des symptômes
Car la soumission chimique, qui est l’acte de droguer quelqu’un à son insu, ne se limite pas aux agressions au GHB, placé dans un verre d’alcool dans un bar, comme on pourrait le croire. En témoigne ce qu’a vécu la mère de Caroline Darian, qui a été pendant une dizaine d’années anesthésiée par des médicaments placés à son insu dans ses boissons, sa nourriture, par son mari. Ce dernier la livrait ensuite à des inconnus qui la violaient.
L’épouse ne se doutait de rien jusqu’à ce que les forces de l’ordre, qui avaient arrêté son mari pour d’autres raisons, découvrent des vidéos et photos de la victime, prises à son insu. Son entourage, et particulièrement ses enfants, qui vivaient à l’époque à 800 kilomètres d’elle, ont été les « témoins impuissants » de symptômes liés à la soumission chimique dont elle était victime, sans qu’ils ne sachent d’où cela provenait.
« Énormément de symptômes très disparates »
Caroline Darian explique qu’au téléphone, sa mère tenait « des propros incohérents », comme si elle était « dans un état d’ivresse avancé alors qu’elle ne boit pas une goutte d’alcool ». Des troubles de la mémoire étaient aussi des symptômes réguliers, où la victime « ne se souvenait pas des conversations qu’on avait eues la veille, voire le matin même ».
Mais ce n’est pas tout. La mère de Caroline Darian, qui ingérait depuis des années à son insu des anxiolytiques, des somnifères ou autres médicaments présents dans l’armoire à pharmacie familiale, a aussi « perdu beaucoup de poids », mais aussi de cheveux, souffrait d’anémie, ainsi que de troubles du sommeil.
« Si j’avais été alertée sur les symptômes d’alerte de la soumission chimique, j’aurais emmené ma mère faire des analyses toxicologiques », explique-t-elle.
Pour la docteure Ghada Hatem-Ganzer, fondatrice de la Maison des Femmes 93, il faut que le corps médical, soit en capacité de penser à la soumission chimique « chaque fois que les symptômes de nos patients nous semblent incompréhensibles, que ce soit de la fatigue, des pertes de mémoire, des difficultés à dormir ».
La soumission chimique peut se présenter sous la forme d' »énormément de symptômes très disparates qui pour (les médecins) ne peuvent pas se réunir en une seule maladie », souligne-t-elle.
Symptômes en lien avec un acte délictuel ou criminel
Pour la Dr Leila Chaouachi, pharmacienne au centre d’addictovigilance de Paris et experte nationale sur l’enquête soumission chimique auprès de l’Ansm, « il n’y a pas de symptômes spécifiques à la soumission chimique, mais des tableaux cliniques évocateurs », qui peuvent faire penser qu’une personne en a été victime. Parmi ces signes, on peut retrouver des amnésie totales, le fameux « trou noir » ou des amnésies partielles avec des flashs qui reviennent. Il peut également y avoir des troubles de la vigilance, neurologiques, somatiques types nausées ou vomissements.
Mais ces symptômes sont « toujours en lien avec la présence de faits criminels ou délictuels possibles », comme le fait de « retrouver ses vêtements désorganisés ou de s’apercevoir que l’on a signé des contrats sans s’en souvenir ».
Médicaments sédatifs en tête
Depuis la première enquête sur la soumission chimique, menée par l’Agence nationale de la sécurité du médicament chaque année depuis 2003, les médicaments sédatifs arrivent en tête des substances impliquées dans le cadre de la soumission chimique, relève la Dr Leila Chaouachi.
Les somnifères, analgésiques, anesthésiques, antidépresseurs voire des antihistaminiques peuvent être utilisés. « Ces molécules ont la spécificité de lever l’inhibition, de provoquer des pertes de connaissance et d’induire des amnésies », souligne la psychologue et chargée de cours à l’Université de Lorraine Évelyne Josse dans un article publié sur son site internet.
« Lorsqu’on ne comprend pas comment quelqu’un de sa famille se comporte, qu’il n’y a aucune explication rationnelle, que le médecin traitant a fait quelques recherches pour éliminer les maladies les plus banales, il faut évoquer tranquillement » l’hypothèse de la soumission chimique, estime Dr Ghada Hatem-Ganzer.
L’amnésie rend difficile l’analyse toxicologique
La victime peut également suspecter elle-même avoir été droguée lorsqu’elle se réveille dans un lieu où elle sait qu’elle ne se serait jamais rendue de son plein gré, ou qu’elle porte des marques de violences sur le corps, qu’elle a perdu des papiers d’identité ou sa carte bancaire, précise le site internet de l’Académie nationale de médecine.
L’amnésie, partielle ou totale, survient dans plus de la moitié des cas, précise encore l’académie, entraînant une consultation médicale retardée, « ce qui rend difficile l’analyse toxicologique », de nombreuses substances ne restant pas très longtemps dans l’organisme.
Par ailleurs, il est conseillé de préserver ses cheveux en cas de suspicion d’agression. « Les agents de soumission chimique sont éliminés rapidement du sang et des urines (de quelques heures à quelques jours selon les substances utilisées). Passé ce délai, il reste l’analyse des cheveux », indique le site internet du mouvement Mendorspas. Il ne faut en revanche pas les couper, les teindre ou les décolorer.
« Il faut absolument que les personnes, les familles consultent et que les médecins donnent suite à ces consultations de manière à pouvoir poser un diagnostic », insiste Dr Ghada Hatem-Ganzer.
Des conséquences graves
Outre l’agression qu’elles ont subie à leur insu, les victimes peuvent subir des risques sanitaires graves, comme des chutes, tomber dans le coma, et même faire l’objet de complications infectieuses ou d’une grossesse non désirée.
D’après les données des enquêtes, le premier milieu concerné par les actes de soumission chimique est « le milieu privé » et notamment le foyer, souligne Dr Leila Chaouachi. Ce qui peut notamment faire l’objet « d’administration au long cours, avec tous les risques » qu’une prise de médicaments sédatif engendre: « chute, coma, accident de la voie publique », et des conséquences au long cours, comme « une perte de poids […] un syndrome de sevrage ou encore syndrome post traumatique très important » lorsque la victime découvre ce qu’il s’est passé.
L’enquête sur la soumission chimique permet également de proposer des mesures de prévention, de « sécuriser l’usage des médicaments », en modifiant ses conditions de prescription et de délivrance ou en ajoutant un colorant à sa composition, indique-t-elle encore.
La formation des professionnels est par ailleurs indispensable au repérage. Jusque-là, les efforts ont essentiellement été portés vers les « structures hospitalières, les instances judiciaires et les dispositifs d’écoute », selon la Dr Leila Chaouachi. Une sensibilisation à plus large échelle, aux médecins généralistes ou aux pharmaciens d’officine, constitue un « nouvel enjeu ».
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