Joël Bourgeon, ancien ami proche de la jeune secrétaire disparue en 1986, a été arrêté et mis en examen en 2019, soupçonné de l’avoir tuée. Son procès s’ouvre ce vendredi aux Assises de Haute-Garonne.
On pensait le dossier clos. Pourtant, 36 ans après les faits, le dossier n’a jamais été aussi près d’être définitivement refermé. Ce vendredi s’ouvre à Toulouse le procès de Joël Bourgeon, accusé d’avoir tué Martine Escadeillas, une secrétaire-comptable de 24 ans, en 1986. Malgré l’absence de corps, un faisceau d’indices remonte jusqu’à cet ancien ami qui semblait entretenir une certaine fascination pour la disparue.
Après des années de procédures, des mises en examen qui n’ont jamais abouti et un mystère qui aurait pu rester entier, « la justice considère pour la première fois que les charges sont suffisantes contre un suspect pour que celui-ci soit jugé », salue Me Frédéric David, l’avocat des soeurs et du frère de Martine Escadeillas, auprès de BFMTV.com.
Satisfaction en demi-teinte, cependant: lors de son interpellation en 2019, Joël Bourgeon annonce d’abord être le coupable, avant de se rétracter une semaine plus tard, déclarant avoir été forcé par les enquêteurs à fournir les aveux qu’ils attendaient de lui.
Des traces de sang dans l’escalier
Il est environ 8 heures le 8 décembre 1986 lorsque Martine Escadeillas, secrétaire-comptable de 24 ans, rentre chez elle après avoir déposé son compagnon, Thierry, en voiture à un arrêt de bus. Environ trente minutes plus tard, sa voisine, qui habite à l’étage au-dessus, entend des cris provenant du palier inférieur.
Lorsque celle-ci décide de jeter un oeil pour voir d’où vient le remue-ménage, elle aperçoit un homme âgé d’une quarantaine d’années, au crâne dégarni, se disputer avec sa jeune voisine.
Un témoignage crucial dont elle fait part aux enquêteurs, lorsqu’ils arrivent sur les lieux de la confrontation. Martine Escadeillas s’est volatilisée, mais des traces de sang sont retrouvées dans la cage d’escalier et jusque dans les caves de l’immeuble, laissant peu de doutes sur le fait que la jeune femme est morte.
Deux non-lieux et un nouveau suspect
Pourtant, les recherches pour retrouver sa trace sont vaines: Martine Escadeillas demeure introuvable. La piste d’un policier véreux, qui correspond à la description de la voisine, est d’abord étudiée, avant d’être abandonnée.
Faute de suspect, le dossier est refermé une première fois en 1989, avant d’être repris en 1996. Plus tard, la piste Patrice Alègre sera creusée, le tueur en série ayant sévi à Toulouse. C’est là encore une fausse route. Après l’arrestation d’un suspect, puis un non-lieu, les investigations sont abandonnées une seconde fois en 2008.
Exactement trente ans après la disparition de Martine Escadeillas, l’envoi d’un courrier au procureur de la République relance l’enquête. En 2016, une connaissance proche de la disparue formule une question qui semble la tarauder: pourquoi la piste Joël Bourgeon, un ami de la victime, n’a jamais réellement été creusée? Le parquet reprend donc les investigations, et se penche sur ce fameux proche qui n’avait pas vraiment attiré leur attention auparavant.
Un départ soudain
Le personnage occupait pourtant une place importante dans la vie du couple formé par Martine et Thierry. Très bon ami de ce dernier, il a l’habitude de lui rendre régulièrement visite. C’est donc avec surprise que l’on apprend qu’il quitte Toulouse quelques semaines seulement après la disparition de Martine, alors même qu’il venait d’obtenir un poste de fonctionnaire qu’il convoitait depuis longtemps.
« Il s’en va sans laisser d’adresse, sans jamais recontacter Thierry. Bizarre », commente Me Frédéric David.
Joël Bourgeon s’installe donc à Lyon au début de l’année 1987, rejoignant une compagne encore mineure, avec qui il vivra pendant cinq ans. Plus tard, il justifiera ce brusque changement par l’envie de réaliser un rêve en devenant ébéniste.
Détails troublants
À cela s’ajoutent plusieurs éléments qui, estime l’accusation, prouvent que Joël Bourgeon était bien impliqué dans la mort de Martine Escadeillas. À commencer par l’excellente connaissance des lieux que devait avoir le coupable.
« D’après les traces de sang retrouvées, le corps a été descendu dans la cave de Martine et Thierry, qui était fermée par un cadenas factice. Seul quelqu’un qui connaissait les lieux pouvait connaître ce détail », précise Me Frédéric David.
Interrogée dans le cadre de l’enquête, la compagne avec laquelle Joël Bourgeon a emménagé à Lyon fournit elle aussi un témoignage troublant. Elle raconte que son ex-conjoint lui demandait régulièrement de s’habiller et de se coiffer comme Martine Escadeillas, qu’il admirait beaucoup. « Elle dit aussi qu’il s’est montré violent à plusieurs reprises », ajoute l’avocat des parties civiles, qui décrit une scène lors de laquelle le suspect aurait enfermé sa compagne dans la salle de bain pour lui interdire de sortir.
Par-dessus tout, elle évoque une montre que lui aurait offerte Joël Bourgeon, très semblable à celle que portait la victime lorsqu’elle a disparu.
Il avoue… puis se rétracte
Alors comment expliquer que l’implication de Joël Bourgeon n’ait pas été envisagée plus tôt? « La piste avait été évoquée dès les premiers instants, mais elle a été écartée à cause des déclarations de la voisine du dessus, qui avait fourni une description détaillée de l’homme qu’elle avait vu dans les escaliers avec Martine Escadeillas », et à laquelle ne correspondait pas Joël Bourgeon, détaille Me Frédéric David.
Or, lors d’une reconstitution, il est établi que cette voisine, depuis le seuil de sa porte, ne pouvait pas avoir assisté à la lutte entre la victime et son agresseur. Le témoignage a donc faussé l’enquête, dès le départ, en écartant une piste plausible, estime l’avocat. « Il y a eu une série de dysfonctionnements assez étranges qui expliquent que ce garçon, dont le nom figure pourtant au dossier, n’ait jamais été inquiété. »
Joël Bourgeon sera finalement interpellé et mis en examen en 2019. Au bout de quelques heures de garde à vue, il déclare être l’auteur du meurtre et donne des détails sur les circonstances du drame. Pourtant, une semaine plus tard, il se rétracte, dénonçant des pressions de la part des policiers qui lui auraient « escroqués » des aveux.
« Il faudra prendre en compte certaines carences »
Si, du côté de l’accusation, on estime que l’on n’a « pas besoin d’aveux pour prouver la culpabilité de Joël Bourgeon », pour la défense il s’agit bien du seul élément exploitable dans le dossier.
« À part ces déclarations en garde à vue, dont mon client s’expliquera au procès, aucun élément objectif ne constitue une preuve de sa culpabilité », énonce Me Eric Mouton, l’avocat de l’accusé, interrogé par BFMTV.com.
« On va parler de faits extrêmement anciens et il faudra prendre en compte certaines carences: certains témoins ne sont plus là, des scellés ont disparu… »
« En finir avec ce mystère »
Le temps passant, l’espoir de savoir ce qu’il est advenu de la victime a commencé à faiblir. Alors qu’il disait être l’auteur des faits en garde à vue, avant de retirer ses propos, Joël Bourgeon se disait incapable de se souvenir de l’emplacement du corps. « C’est d’un cynisme terrible pour la famille, qui a besoin de faire le deuil et d’en finir avec ce mystère », commente Me Frédéric David.
« À partir du moment où il n’y a pas de corps, chacun construit son scénario autour d’un puzzle auquel il manque des pièces. Cela peut donner lieu à plusieurs interprétations, et c’est tout le danger de ce procès », juge pour sa part la défense de l’accusé.
Une inconnue sur laquelle les parties civiles espèrent « au fond d’elles » pouvoir poser des explications pour ne pas « souffrir encore de l’incompréhension ».
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