Le chef de l’État plaide pour que chaque collégien, à son arrivée en classe de sixième, plante son arbre dans le cadre d’une politique de reboisement. Toutefois, les spécialistes mettent en garde sur ces plantations hâtives, parfois mal réalisées, et qui peuvent ainsi s’avérer contre-productives.
« Je veux qu’on ait dès la sixième de cette année, qu’on commence à avoir des élèves qui plantent des arbres ». Lors de son entretien accordé ce lundi à HugoDécrypte, Emmanuel Macron a souhaité avoir à terme « cette génération où chaque collégien aura planté son arbre », pour « aider » à tenir l’objectif d‘un milliard d’arbres plantés en dix ans.
Cet objectif avait été annoncé l’été dernier, lors d’un déplacement du chef de l’État en Gironde, après les incendies ayant ravagé la région. Le but: « combiner la nécessité de produire davantage de bois » avec celle d’augmenter le puits de carbone forestier français.
En effet, les arbres ont la capacité d’absorber le CO2 – le gaz à effet de serre principalement émis par la combustion des énergies fossiles et responsable du dérèglement climatique – et de le stocker en dehors de l’atmosphère. La solution semble presque miracle, mais n’est pas si simple.
« Quand on plante, c’est qu’on s’est planté dans notre gestion forestière », explique ainsi Patrice Martin, secrétaire national du Snupfen Solidaires, premier syndicat à l’Office national des forêts (ONF).
« Ça veut dire qu’on a échoué à régénérer les forêts de manière naturelle », ajoute-t-il à BFMTV.com.
« L’arbre qui cache la forêt »
Planter un milliard d’arbres est-ce seulement possible? « Si c’est en plus de ce qui est fait aujourd’hui, c’est inatteignable », explique Patrice Martin. « Si ça comprend ce qu’on plante déjà, c’est un coup de communication », complète-t-il. Actuellement, environ 80 millions de nouveaux arbres sont plantés chaque année, un chiffre assez proche de l’objectif des 100 millions.
« À travers ces projets (de plantation) se construit l’idée selon laquelle il suffirait de planter des arbres pour sauver le climat », écrit l’ONG Greenpeace, quand l’ONU Environnement met en garde contre « l’illusion dangereuse d’un correctif qui permettra à nos émissions énormes de continuer à croître ».
L’arbre, et plus largement les forêts, sont érigés comme de véritables symboles de la lutte contre le dérèglement climatique. « C’est l’arbre qui cache la forêt », déplore pourtant Patrice Martin. « Les prairies ou les zones humides sont encore plus efficaces », ajoute Guillaume Decocq, professeur en écologie forestière à à l’Université de Picardie Jules Verne et au CNRS.
La capture de carbone par les végétaux doit s’accompagner d’une baisse des émissions en parallèle. « Il faut d’abord éviter les émissions pas nécessaires, réduire les autres et, enfin, compenser celles qu’on n’a pas pu éviter en augmentant les puits de carbone naturels », détaille Myrto Tilianaki, chargée de plaidoyer à CCFD-Terre Solidaire, craignant que les plantations ne deviennent « un levier d’inaction climatique » sur les autres pans.
Des forêts émettrices de CO2
En outre, en France, les forêts absorbent deux fois moins de carbone qu’il y a dix ans. Pour certaines d’entre elles, comme dans le Grand Est, elles sont même devenues émettrice de CO2, ces puits de carbone montrant des signes de saturation. Ils ne peuvent donc pas se substituer une réduction de la pollution.
En cause: la baisse de croissance et le dépérissement forestier, en raison notamment de la multiplication d’organismes ravageurs, comme des champignons ou des insectes.
L’intensification des sécheresses joue également un rôle. Plus il fait chaud et sec, plus la quantité de CO2 émise par les arbres en respirant augmentent et plus la photosynthèse diminue.
En France, les forêts font face également à l’intensification de la sylviculture, avec un taux de prélèvement qui est passé de 55 à 65% en dix ans.
Se pose aussi le problème des incendies, dont les occurrences et l’intensité s’accélèrent en raison du dérèglement climatique. En brûlant, un arbre rejette le CO2 stocké au long de sa vie. Au Canada, les feux de cet été ont émis l’équivalent de plus d’un milliard de tonnes de CO2, soit l’équivalent des émissions annuelles du Japon, cinquième plus gros pollueur mondial.
Décalage temporel
Pour qu’un arbre remplisse son rôle de séquestration de CO2 et aide à la lutte contre le dérèglement climatique il faut ainsi qu’il vive suffisamment longtemps. En effet, il y a un décalage temporel entre le moment de la plantation et le temps nécessaire pour que les forêts tout juste plantées absorbent réellement ce carbone.
« Pour absorber au maximum le carbone, il faut attendre 20 à 30 ans », détaille Catherine Collet, chercheuse en renouvellement forestier à l’Inrae. Ainsi, les plantations promises par Emmanuel Macron ne sont pas une garantie. Si l’arbre brûle, meurt ou est finalement exploité, le carbone séquestré repart dans l’atmosphère.
En outre, les jeunes plants mettent du temps à absorber le CO2, et c’est lorsque les forêts sont matures qu’elles le séquestrent dans les sols, là où il est le plus et le mieux emprisonné.
« Planter à la fois pour la filière bois et pour le climat, ça ne tient pas la route », estime Guillaume Decocq. « Si on fait le choix de la plantation pour l’écologie: on fait une croix sur la fonction économique, et inversement », ajoute-t-il.
Au-delà de la plantation, « il faut un entretien et une protection de la forêt pendant une dizaine d’année pour que ça se passe bien », explique Catherine Collet, ajoutant que les subventions intègrent de plus en plus cet aspect-là.
Diversité des essences
Suite à l’annonce d’Emmanuel Macron, beaucoup de questions restent en suspens: que planter et comment? « Durant le précédent plan de relance, on a planté n’importe quoi n’importe où », déplore Patrice Martin de l’ONF. « On a un problème de disponibilité des plants et des essences, la crainte avec cette annonce c’est d’aller planter n’importe quoi », abonde dans le même sens Guillaume Decocq.
« La filière est trop juste pour faire ça dans de bonnes conditions », explique Catherine Collet, pointant notamment un manque de main d’œuvre pour mettre en place les plantations.
Le risque est de privilégier des essences à croissance rapide pour atteindre les objectifs et d’avoir recours aux monocultures, deux paramètres favorisant la vulnérabilité des forêts et limitant les bienfaits environnementaux: risque accru d’incendies, faible biodiversité ou encore assèchement des sols. « Dans les monocultures, il n’y a rien au sol mais c’est pourtant lui qui séquestre le plus de CO2 », affirme Guillaume Decocq.
« La forêt ce n’est pas que de la captation de carbone, c’est aussi tout un écosystème, de la biodiversité, une préservation des ressources en eau… », liste Catherine Collet.
La spécialiste explique qu’aujourd’hui, « on essaie de faire des mélanges d’essences – adaptées aux conditions futures – et d’âge des arbres car la hausse de la diversité améliore la résistance et la résilience ». Toutefois, Patrice Martin déplore le manque de subventions pour ce type de plantation.
Renforcer les forêts actuelles
L’ONG Canopée estime que « planter des arbres ne fait pas une politique forestière », mettant en garde contre « une gestion forestière qui privilégie les coupes rases et les nouvelles plantations au détriment des écosystèmes ».
Pour Patrice Martin, « tout dépend d’où on va planter: si on enlève des zones bétonnées pour mettre des arbres, ça peut être intéressant ». Toutefois, il explique que la majorité des plantations actuelles consistent à « raser des forêts équilibrées » pour y planter des champs d’arbres, tous de la même essence. « Et si on diversifie, on perd les subventions », dénonce-t-il.
« Ces nouveaux arbres vont mettre des décennies à retrouver un équilibre », et donc à absorber du carbone. En outre, lorsque l’on rase des forêts, on libère du CO2 – présents dans les arbres ou dans les sols. « Peut-être que dans 50 ans, ils séquestreront du carbone, mais en attendant on est en déficit », explique Patrice Martin.
Pour les spécialistes, il s’agirait plutôt de préserver et renforcer nos espaces forestiers actuels, pour les rendre plus résilients et plus efficaces dans leur rôle de captation de carbone ainsi que de protection des écosystèmes.
Cliquez ici pour lire l’article depuis sa source.