Ce phénomène pourrait faire grimper les températures jusqu’à battre de nouveaux records de chaleur. Si ce phénomène est lui naturel, il vient toutefois s’ajouter au réchauffement climatique d’origine humaine.
Le thermomètre de la planète va-t-il s’affoler un peu plus? L’Organisation météorologique mondiale (OMM) estime désormais qu’il y a 60% de chances qu’El Niño se développe d’ici la fin juillet et 80% de chances d’ici la fin septembre.
« Cela modifiera les conditions météorologiques et climatiques dans le monde entier », a prévenu ce mercredi le chef de la division des services régionaux de prévision climatique de l’OMM, Wilfran Moufouma Okia.
Ce phénomène, qui consiste en un réchauffement d’une partie de l’océan, se traduit le plus souvent par une élévation des températures mondiales et augmente le risque d’événements climatiques extrêmes dans de nombreuses régions.
Une anomalie naturelle et cyclique
Le phénomène El Niño trouve son origine dans l’Océan pacifique équatorial, sur une très large bande allant de l’Indonésie au Pérou. Il s’agit d’un phénomène climatique naturel dans lequel oscillent deux phases.
Dans la situation initiale, les vents, appelés les alizés, poussent les eaux chaudes de surface vers l’Ouest, faisant ainsi remonter de l’eau froide des profondeurs. On se retrouve avec de l’eau chaude côté Indonésie, et de l’eau froide côté Pérou.
Dans des conditions El Niño, « on a une réorganisation de l’atmosphère et des changements de vents », explique à BFMTV.com Davide Faranda, climatologue au CNRS. Il y a alors une accumulation d’eau chaude, qui va se déplacer vers l’est, en direction des côtes sud-américaines.
Conséquence: on observe une hausse générale de la température de la surface de l’eau, notamment à l’Est du Pacifique qui, par effet d’entraînement, augmente la température de l’air. C’est ce qu’on appelle le phénomène El Niño.
Cette anomalie naturelle se produit de manière cyclique, tous les deux à sept ans, pour une durée d’environ une année, et alterne avec La Niña, phénomène sœur, qui a tendance, elle, à refroidir le climat. Il existe aussi une situation standard, caractérisée par des conditions neutres.
Des conditions de plus en plus favorables
De nombreux instituts météorologiques prévoient l’arrivée d’El Niño cette année. En plus de l’OMM, l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA) estime à 62% la probabilité de voir El Niño revenir d’ici au mois de juillet, et à 90% d’ici la fin de l’année.
« Une évolution importante du système climatique planétaire se met en place cet été avec l’émergence probable du phénomène El Niño », écrit de son côté Météo France.
Pour prédire une reprise d’El Niño, Jérôme Vialard, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement, pointe « un précurseur »: l’apparition d’anomalies de températures en profondeur dans les tropiques.
« En ce moment, on a des anomalies chaudes de 1 à 2°C, ce sont des conditions favorables », explique le chercheur. En outre, la plupart des modèles numériques vont en ce sens. « On observe des déplacements des masses d’eau », ajoute Davide Faranda.
Toutefois, les scientifiques mettent en garde contre des prédictions trop hâtives. « Le phénomène connu de ‘barrières printanières de prévisibilité’ fait qu’avant le mois de juin, les prévisions sont plus incertaines », précise Jérôme Vialard.
L’apparition d’El Niño dépend surtout d’une variable encore difficilement prévisible: les coups de vents d’ouest. « Ce sont eux qui constituent vraiment les étincelles qui vont allumer la mèche », ajoute le spécialiste.
Des conséquences contrastées
Mais pourquoi la probable arrivée de ce phénomène inquiète-t-elle? Car la variation de la température des océans joue un rôle essentiel dans le climat mondial. « On ne le voit pas sur nos cartes, mais le Pacifique est très grand », complète Davide Faranda.
« D’abord, El Niño a avant tout un impact dans la région où il se produit, c’est-à-dire le Pacifique tropical », explique Jérôme Vialard.
El Niño se caractérise en premier lieu par l’apport de conditions sèches en Asie du Sud et en Australie et Afrique, créant ainsi des conditions propices aux incendies et mettant en difficulté les rendements de l’agriculture.
À l’inverse, il amène des conditions humides sur le continent sud-américain avec des précipitations importantes faisant craindre des inondations et des glissements de terrain.
De plus, « il y a aussi un impact sur les écosystèmes océaniques », explique Jérôme Vialard, puisque les eaux froides apportent d’ordinaire une eau riche en nutritifs. Sans cet apport, les plantons, et donc les poissons, se font plus rares pour les pêcheurs sur les côtes péruviennes notamment. « Durant El Niño, l’eau de surface se réchauffe et la chaîne alimentaire s’écroule », résume-t-il.
En Europe, les conséquences sont plus limitées. Le climatologue Davide Faranda souligne même qu’en hiver, El Nino peut entraîner des conditions plus favorables aux vagues de froid, tandis que près de la Méditerrannée, il renforce les conditions de sécheresse.
Hausse globales des températures
Mais si le retour d’El Niño est particulièrement scruté, c’est notamment car il a une incidence sur les températures atmosphériques. En effet, à partir du moment où les eaux de la zone équatoriale sont plus chaudes en surface, elles vont réchauffer l’air de cette zone, ce qui aura des conséquences sur la moyenne globale.
C’est durant l’El Niño de 2016 qu’ont été mesurées les températures les plus chaudes jamais enregistrées à l’échelle mondiale.
En outre, lors du dernier épisode de ce phénomène climatique, des scientifiques avaient observé une multiplication des épidémies dans le monde, notamment de dengue et de choléra mais également de malaria.
Un « radiateur » qui s’ajoute au réchauffement climatique
En parallèle du réchauffement climatique global, la perspective d’un autre phénomène climatique, celui-ci naturel, qui pourrait faire grimper encore plus le mercure inquiète. Durant les trois dernières années, le Pacifique était sous l’influence de La Niña, phénomène sœur d’El Niño.
Cette dernière « est un climatiseur planétaire naturel: en mettant des eaux froides profondes en contact avec l’atmosphère, elle fait baisser d’environ 0,2°C la moyenne des températures globales », explique Jérôme Vialard.
Pourtant, malgré ce phénomène qui tirait les températures vers le bas, le mercure a battu des records, davantage du fait du réchauffement climatique qu’aux conditions océaniques dans le Pacifique. Les huit dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées sur la planète.
« C’est un véritable signal du réchauffement climatique qui a effacé le refroidissement de la Niña », déplore Davide Faranda.
En somme, ces phénomènes naturels s’inscrivent dans le contexte du dérèglement climatique. Autrement dit, le phénomène pressenti pour l’année 2023 ne va faire que s’additionner au réchauffement climatique d’origine humaine, un réchauffement si fort que même La Niña n’a pas réussi à le gommer.
Avec le « radiateur » que constitue El Niño, la fin de la Niña et le réchauffement climatique, « toutes les conditions sont réunies pour une hausse des températures, on pourrait même, selon certains spécialistes, dépasser la barre des +1,5°C », poursuit Jérôme Vialard.
Vers un Super El Niño?
Un phénomène El Niño induit en moyenne une hausse des températures moyenne de 0,1 ou 0,2°C à l’échelle de la planète. Toutefois, certains instituts météorologiques, comme le Bureau australien de météorologie, prévoient la possibilité de vivre un « super El Nino » avant la fin de l’année 2023.
Les spécialistes n’en dénombrent que trois lors des quarante dernières années: 1982-1983, 1997-1998 et 2015-2016.
Il s’agit là d’un réchauffement encore plus fort. Lors d’un El Niño classique, les eaux de surface du Pacifique augmentent de moins de 1°C en moyenne. Durant la version « super » du phénomène, ce chiffre dépasse – parfois largement – les 2°C, entraînant une forte hausse des températures globales et multipliant les phénomènes climatiques et météorologiques extrêmes.
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