La pilule anti-gueule de bois, vraie promesse ou "marketing cynique"?

Un laboratoire suédois se targue d’avoir créé le premier complément alimentaire qui réduirait les effets de l’alcool. Scientifiques et médecins sont sceptiques et dénoncent une étude « peu rigoureuse ».

Une pilule anti-gueule de bois? C’est la promesse du laboratoire suédois De Faire qui a lancé début juillet Myrkl (qui se prononce « miracle » en anglais), un complément alimentaire censé réduire les effets de l’alcool. D’abord commercialisé au Royaume-Uni, il est désormais disponible en France via la vente en ligne et dans quelques pharmacies.

« Le nouveau complément alimentaire conçu pour attaquer rapidement l’alcool dans l’intestin avant qu’il n’atteigne le foie, permettant de boire quelques verres le soir sans en ressentir les effets néfastes le lendemain, tout en brûlant des calories », vante le communiqué de presse du laboratoire.

Probiotiques, cystéine et vitamine B12

En clair, selon ses promoteurs, Myrkl permettrait de décomposer jusqu’à 70% de l’alcool consommé en soixante minutes. Que contient-il? Des probiotiques (des bactéries du genre bacillus), de la cystéine (un acide aminé) mais aussi de la vitamine B12. Sa posologie: deux capsules à prendre entre deux et douze heures avant la consommation d’alcool.

Pour prouver ses dires, le laboratoire a réalisé une étude. « Une semaine de supplémentation avec AB001 (l’ingrédient actif de Myrkl, NDLR) a entraîné une absorption considérablement réduite de l’alcool dans le corps », affirme-t-elle. En plus de diminuer de 70% l’alcool dans le sang, il ferait baisser « de 70% les calories de l’alcool », s’enthousiasme pour BFMTV.com Frédéric Fernandez, le porte-parole de la marque.

Ce dernier évoque d’autres « propriétés » de ce produit « exceptionnel » pris sur la durée, comme une perte de poids et une diminution du diabète de type 2. « Des études sont en cours mais n’ont pas encore été publiées », assure Frédéric Fernandez. « C’est un produit qui a beaucoup de potentiel, les effets bénéfiques sur la santé sont considérables. »

Une étude sur 14 personnes

S’il n’est « pas impossible » que des bactéries soient capables en laboratoire de dégrader de l’alcool, « aucune étude ne l’a encore démontré », pointe pour BFMTV.com Patrick Dallemagne, professeur de chimie médicinale à l’Université de Caen-Normandie. Pas même celle du suédois De Faire, insiste-t-il.

« Théoriquement, il est possible que des bactéries accélèrent la transformation de l’alcool en eau et en dioxyde de carbone », note-t-il. « Mais encore faut-il le prouver. Or, l’étude du laboratoire ne permet pas de dire que ce complément fonctionne ou ne fonctionne pas. »

Ce scientifique juge ainsi l’étude « peu rigoureuse », notamment car le créateur de ce complément alimentaire en est l’un des co-auteurs, mais surtout parce que la cohorte testée est faible – ce que Frédéric Fernandez, le représentant du laboratoire, reconnaît. Si l’essai a été mené sur 24 personnes, en réalité, pour dix d’entre elles, la quantité d’alcool consommée n’était pas détectable dans le sang.

« L’étude a donc été menée sur 14 personnes », remarque Patrick Dallemagne. « On ne peut pas lui faire dire grand chose si ce n’est qu’il faudrait faire une autre étude, plus rigoureuse, à plus large échelle et en toute indépendance.

Le laboratoire reconnaît une autre « limite » à son étude: « la quantité d’alcool (ingérée, NDLR) n’a eu aucune influence sur la fonction cognitive » des participants, écrit l’étude. Dans le détail: ces derniers ont ingéré 0,3g d’alcool par kilo. Pour quelqu’un qui pèse 50 kilos, cela représente l’équivalent d’un verre de vin.

« Ils n’ont pas suffisamment administré d’alcool pour pouvoir observer des effets cognitifs, notamment sur la concentration », observe encore Patrick Dallemagne, qui rappelle que l’alcool est directement absorbé dans le système sanguin par la bouche, l’œsophage et l’estomac alors que Myrkl agit au niveau des intestins.

Malgré cela, le laboratoire affirme que « la prise d’AB001 peut aider à prévenir les dommages au foie et à d’autres organes associés à une consommation régulière d’alcool » et « réduire l’impact médical et économique négatif de la consommation d’alcool sur l’individu et la société ».

Pour s’en défendre, Frédéric Fernandez, le porte-parole de De Faire, assure que le laboratoire a eu des difficultés pour trouver un institut scientifique qui accepte d’augmenter les doses d’alcool. « On aurait adoré les quadrupler mais on ne nous a pas laissé faire », affirme-t-il.

En attendant un essai clinique plus large, annoncé pour le premier semestre 2023, Frédéric Fernandez met en avant une enquête de satisfaction client avec un taux positif de 75%.

Un marché qui explose

L’ambition de De Faire avec cette pilule, que le porte-parole présente comme un produit « pionnier » et « révolutionnaire »: conquérir le marché sur le même modèle que la boisson énergisante Red Bull à la fin des années 1990. La marque, qui revendique la vente de 100.000 boîtes outre-Manche, ambitionne ainsi une diffusion mondiale dans les prochaines semaines: Allemagne, Australie, Chine, Japon ou encore États-Unis.

Il faut dire que sa commercialisation intervient au moment où le marché des compléments alimentaires est en plein boum. Il a connu en France une croissance record de 6% en 2021, assure le Syndicat national des compléments alimentaires, pour atteindre 2,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires. La consommation de ce type de produits semble d’ailleurs bien ancrée: un Français sur deux en a déjà pris, selon une enquête Opinionway.

Mais les fraudes sont fréquentes. En 2017, les investigations menées sur 95 sites internet de petits opérateurs du marché ont révélé 76% de non-conformités, dont des allégations de santé non autorisées et des allégations thérapeutiques interdites, indique la Répression des fraudes (DGCCRF).

Contactée par BFMTV.com, la DGCCRF n’a pas répondu à nos interrogations sur Myrkl. Mais elle rappelle sur son site que l’étiquetage des compléments alimentaires ne doit pas induire en erreur le consommateur.

« En outre, leur présentation et la publicité qui en est faite ne doit pas attribuer à ces produits des propriétés de prévention, de traitement ou de guérison d’une maladie humaine, ni évoquer ces propriétés », précise-t-elle.

En ce qui concerne Myrkl, la boîte précise simplement qu’il s’agit d’un complément alimentaire « scientifiquement testé ». Sur le site du fabricant, il est par ailleurs indiqué que le produit est un « pre-drinking supplement », un complément alimentaire qui se prend avant la consommation de boissons alcoolisées. Et ajoute: « Veuillez noter que les compléments alimentaires sont absorbés différemment d’une personne à l’autre et dépendent également de différents facteurs externes. »

Un blanc-seing à la consommation d’alcool?

Le chimiste Patrick Dallemagne s’interroge quant à lui sur les véritables intentions de ce complément. « Le laboratoire se targue de réduire de 30% l’alcool dans l’air expiré, on peut se demander si l’objectif n’est pas de pouvoir souffler dans le ballon sans dépasser la limite. »

Dan Véléa partage les mêmes inquiétudes. Ce psychiatre-addictologue craint pour BFMTV.com que ce type de produit ne favorise une consommation excessive d’alcool et s’inquiète du message véhiculé:

« Cela risque d’encourager les comportements à risque alors qu’on essaie difficilement de limiter la casse. »

Frédéric Fernandez, le représentant du laboratoire, rétorque que Myrkl ne s’adresse ni aux alcooliques, ni à ceux qui consomment de l’alcool de manière excessive. La cible officielle: les consommateurs occasionnels et modérés d’alcool qui souhaitent être en forme le lendemain. Comme les actifs, les jeunes parents « ou les personnes plus âgées dont le métabolisme est moins efficace ».

« Du marketing cynique »

Il n’en reste pas moins que Dan Véléa ne vantera pas ce complément. « Quand bien même il ferait baisser de 70% l’alcool dans le sang, l’alcool a des effets psychiques, désinhibe, ralentit les réflexes », énumère cet addictologue. Il redoute que certains ne s’autorisent par exemple à prendre le volant, considérant que leur taux d’alcool dans le sang a chuté de 70%.

Frédéric Fernandez, le porte-parole de la marque, est conscient de ces inquiétudes et insiste sur un message de santé publique. « Peu importe la quantité d’alcool ingérée, on ne doit pas conduire après avoir bu. L’alcool est toxique dès la première goutte. » Son cauchemar, assure-t-il: que Myrkl soit vendu en boîte de nuit.

« D’ailleurs nous refusons régulièrement les demandes pour sponsoriser des soirées étudiantes », affirme-t-il. « Myrkl ne doit pas être une excuse pour boire et conduire ni pour boire dix verres au lieu de trois. »

Quoi qu’il en soit, William Lowenstein, addictologue et président de SOS Addictions, dénonce pour BFMTV.com un « marketing dangereux »: « Ce n’est que du marketing cynique. Les effets toxiques de l’alcool, notamment cancérigènes, ne seront en rien diminués. »

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. Si vous êtes concerné directement ou indirectement par une consommation d’alcool excessive, vous pouvez contacter Alcool info service – un service qui dépend de l’agence Santé publique France – au 0.980.980.930, de 8h à 2h, 7 jours sur 7. L’appel est anonyme et non surtaxé.

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