Depuis 2021, le poulpe pullule sur les côtes atlantiques. Mais il semblerait que cette pêche miraculeuse n’ait pas vocation à durer.
« Sur une seule matinée, on a déjà fait 2,7 tonnes de poulpe », affirme à BFMTV.com Jean-Marc, ancien pêcheur de bar dans le Finistère, reconverti dans le céphalopode. Soit près de 16.000 euros de chiffre d’affaires en quelques heures.
« Ce qu’on a fait en une journée, c’est ce qu’un ligneur (soit un bateau qui pratique la pêche à la ligne, NDLR) fait en un mois. »
Il lui est ainsi arrivé d’établir des fiches de paie pour chacun de ses trois marins à plus de 13.000 euros de salaire mensuel. Car des journées de pêche miraculeuse, Jean-Marc en a connu plus d’une depuis 2021 et le début de la prolifération du poulpe sur les côtes atlantiques.
Mais il précise que la ressource reste « variable » et « aléatoire ». « Au lendemain d’une journée à une tonne, s’il y a de la houle, je me suis déjà vu faire 40 kilos. » Et s’il fait mauvais temps, inutile de prendre la mer. « Cet hiver, on n’est pas sorti pendant quinze jours », se rappelle Jean-Marc. En atteste ses prises: sur les 70 tonnes de poulpe pêchées l’année dernière, près de la moitié a été saisie en un seul mois.
« La ruée vers l’or »
Il n’en reste pas moins que grâce au poulpe, Jean-Marc a multiplié son chiffre d’affaires par trois. Car l’espèce est rentable: le prix est stable, en moyenne autour de 7 à 9 euros le kilo, contre par exemple moins de 2 euros pour le congre et encore moins pour la sardine, selon des données de la Direction interrégionale de la mer Nord Atlantique-Manche Ouest. Une marchandise qui s’écoule particulièrement bien à l’international, notamment sur les marchés portugais, espagnol ou italien.
Beaucoup de pêcheurs se sont ainsi tournés vers cette espèce. « Ça a été la ruée vers l’or », assure à BFMTV.com José Jouneau, président de l’association interprofessionnelle Loire océan filière pêche. « Tout le monde s’y est mis. » Comme ce caseyeur breton (c’est-à-dire qui pêche au casier) qui souhaite rester anonyme. Avec ses deux bateaux, il pêche quotidiennement entre 200 kilos à une tonne de poulpe.
« Avant, je faisais du congre », explique-t-il à BFMTV.com. « Mais il fallait faire du volume. Avec le poulpe on va moins loin, on dépense moins de carburant, c’est clairement plus intéressant. »
« Même les gars qui pêchaient au filet sont passés au poulpe. »
Une licence poulpe
Ce qui ne s’est pas fait sans créer certaines tensions. « Souvent, ça se bouscule un peu quand on arrive sur zone », ajoute le même caseyeur breton. « Il y a eu des problèmes de cohabitation », abonde pour BFMTV.com Jean Piel, représentant du Comité départemental des pêches maritimes et des élevages marins du Morbihan.
« À un moment, on ne trouvait même plus de casiers » (nécessaires pour la pêche au poulpe, NDLR).
Si certains départements bretons n’imposent aucune limite de capture – bien que le nombre de casiers, pots ou pièges soit fixé à 200 par marin dans la limite de 400 par navire, sauf exceptions – le Finistère a cependant mis en place une licence poulpe « afin de maintenir une bonne cohabitation entre les métiers de la pêche maritime », accordée selon l’antériorité de pêche.
Dans certains secteurs géographiques, des restrictions ont également été mises en place – la pêche au poulpe est par exemple interdite jusqu’au 1er septembre au nord du Cap de la Chèvre, du côté de la presqu’île de Crozon.
Jusqu’en mer du Nord
Depuis sa multiplication en 2021, le poulpe semble cependant s’être déplacé. Car dans le sud du Morbihan, « la ressource s’est tarie », constate pour BFMTV.com Jean-Marc Lizé, directeur de la criée de Quiberon où seulement 14 tonnes de poulpe ont été vendues depuis le début de l’année, contre 307 en 2021. Contrairement à la mer d’Iroise, où il pullule.
Mais les poulpes n’ont pas nagé des Pays-de-la-Loire à la pointe du Finistère. « C’est une dynamique de population qui augmente ou diminue », analyse pour BFMTV.com Julien Dubreuil, biologiste marin et chargé de mission scientifique au Comité régional des pêches de Bretagne. Il assure d’ailleurs que le poulpe a historiquement toujours été présent en Bretagne.
« C’est en réalité un retour. Il s’agit probablement de la restauration d’une population existante il y a une soixantaine d’années mais décimée à l’hiver 1962-63, particulièrement rigoureux. »
Pour ce spécialiste de la pêche, rien d’étonnant donc à trouver du poulpe dans ces zones. « C’est l’aire de répartition d’octopus vulgaris. » Soit depuis les côtes atlantiques du Sénégal et du Maroc jusqu’à la Manche en passant par la Méditerranée. Julien Dubreuil considère même que l’espèce pourrait remonter jusqu’à la mer du Nord – du poulpe a d’ailleurs été récemment pêché du côté de Roscoff, dans le Finistère nord, et dans les Cornouailles, à l’extrémité sud-ouest de l’Angleterre.
Bientôt la fin?
Faut-il y voir un effet du changement climatique? Pas directement, estime Julien Dubreuil. « Mais le réchauffement climatique peut créer des conditions favorables, notamment pour la survie des œufs et des larves. » La biologiste Laure Bonnaud-Ponticelli, spécialiste des céphalopodes, évoque une autre hypothèse.
« Pendant la crise du covid, les poulpes ont été moins pêchés. Cela leur a sans doute permis de se reproduire. Associé à des conditions météorologiques favorables, les petits ont pu survivre. Ce qui a donné une importante poule d’enfants ».
Cette prolifération a-t-elle vocation à durer? Non, estime cette professeure au Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) et chercheuse au Laboratoire de biologie des organismes et des écosystèmes aquatiques Sorbonne Université/Université de Caen. « Les poulpes ne se reproduisent pas plus d’une fois, on ne peut donc pas avoir de population exponentielle. »
« Et si le taux de pêche est supérieur au taux d’animaux qui arrivent à maturité sexuelle, les populations vont décroître », craint Laure Bonnaud-Ponticelli.
Leur ressource alimentaire pourrait également ne plus être suffisante. « C’est une espèce très vorace », pointe Julien Dubreuil. Dans le Morbihan, les gisements de coquillages ont chaque année été divisés par deux depuis 2021. « Aux Glénans, ils sont quasiment éradiqués », poursuit le biologiste. Mais impossible de prédire quand cette pêche miraculeuse prendra fin.
« Dans deux ou trois ans? Aucune idée. On est même incapable de savoir si les poulpes seront encore présents l’année prochaine. »
Jean-Marc, le pêcheur qui témoignait au début de l’article, en est conscient. « Je sais que ça ne va pas durer. » Et quand le poulpe aura disparu, « on fera ce qu’on savait faire avant ».
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