À seulement 27 ans, le député européen succède à Marine Le Pen à la présidence du parti. Son parcours a tout de celui d’un pur produit du RN qui a su coller exactement à la ligne impulsée par l’ancienne candidate à la présidentielle. De quoi espérer pour elle une fidélité sans faille et achever l’opération de dédiabolisation lancée ces dernières années.
Pour la première fois depuis la création du parti en 1972, ce n’est pas un Le Pen qui dirige le Rassemblement national. Jordan Bardella vient de largement emporter la compétition interne contre Louis Aliot, avec près de 85% des voix, 10 ans seulement après ses débuts de colleur d’affiches. Retour sur le parcours éclair d’un homme que certains considèrent comme « l’ombre » de Marine Le Pen.
À 16 ans, le lycéen tombe dans la marmite politique en regardant une émission télévisée qui oppose Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon en 2011. De quoi le convaincre de prendre sa carte et de s’engager dans l’organe jeunesse du Front national (l’ancien nombre du RN NDLR).
« Toujours disponible, partant, bosseur »
Au sein d’un parti qui manque cruellement de militants, le natif de Drancy en Seine-Saint-Denis se fait vite remarquer en multipliant les allers-retours entre son domicile dans la banlieue nord et la fédération parisienne pour coller des affiches dans des cités franciliennes.
« J’ai découvert un jeune homme, même pas majeur, toujours en costume cravate. Il faisait déjà tout comme il fallait et donnait un peu l’impression du jeune militant parfait », se remémore Julien Rochedy, alors président du Front national de la jeunesse, auprès de BFMTV.com.
Ce nouveau visage a tout d’une aubaine pour le mouvement qui n’a jamais vraiment labouré le terrain des quartiers populaires. Depuis 2011 et l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti, la nouvelle patronne cherche à moderniser l’image du parti et à le crédibiliser sur d’autres sujets que ceux contre la lutte contre l’immigration.
À la manœuvre: Florian Philippot. Le numéro 2 du mouvement remarque, lui aussi, l’étudiant en géographie, « toujours disponible, toujours partant, toujours bosseur ».
Défenseur du Frexit sous Philippot
L’ex vice-président du parti, qui cherche à faire monter des cadres qui peuvent défendre sa ligne face à celle de Marion Maréchal aux tonalités plus identitaires, défend sa candidature en position éligible aux élections régionales d’Île-de-France. Bingo: en 2016, Jordan Bardella peut quitter à 21 ans un éphémère poste d’assistant parlementaire auprès d’un député européen pour un mandat d’élu local.
Florian Philippot qui lance alors tous azimuts une dizaine de collectifs pour permettre aux frontistes de brasser large, de l’Éducation nationale à l’entrepreneuriat en passant par la culture, confie alors les clefs de « Banlieues patriotes » à Jordan Bardella.
« À l’époque, il est sur une ligne très sociale, il défend le Frexit et comprend très vite que, quand on parle des banlieues, on ne peut pas se limiter à l’immigration mais qu’on doit aussi parler éducation, logements, transports. On voit qu’il apprend rapidement et qu’il a de l’ambition », confie celui qui a quitté le parti en septembre 2017.
Parler de sa mère devant les militants
L’organe a beau être une coquille vide et un échec de mobilisation, il a l’intérêt pour le jeune ambitieux de pouvoir commencer à mettre au service de sa propre boutique et de travailler son storytelling, quitte à parfois romancer son parcours.
Devant les sympathisants du parti, le vingtenaire rate rarement une occasion de parler de sa mère qui travaille dans une école maternelle avec des fins de mois compliqués. L’histoire familiale est pourtant plus nuancée entre une scolarité dans un lycée privé et un père chef d’entreprise qui lui offre une Smart pour son anniversaire…
Les militants raffolent d’ailleurs de ce jeune visage qui leur explique avoir vécu « le grand remplacement » quotidiennement en Seine-Saint-Denis – une expression très contestée.
Proche de Fréderic Chatillon, le fondateur du Gud, un groupuscule étudiant d’extrême droite, Jordan Bardella n’a d’ailleurs pas hésité à soutenir à plusieurs reprises Génération identitaire, depuis dissous par le ministère de l’Intérieur pour « une idéologie incitant à la haine et à la violence envers les étrangers et la religion musulmane ».
Une présidentielle chahutée
Les sympathisants ne sont pas les seuls à être sous son charme. Lors d’un déjeuner autour d’une pizza en 2016, à quelques encablures de l’ancien siège du mouvement à Nanterre, Marine Le Pen réunit tous les benjamins élus aux conseils régionaux et s’assoit à ses côtés.
« Est-ce que tu voudrais me rejoindre pour travailler avec moi sur la présidentielle? », lui demande-t-elle alors, comme le raconte L’Obs.
La proposition est évidemment irrefusable et l’occasion est trop belle de se mettre dans la roue de ceux qui comptent. Mais la campagne présidentielle est difficile, les tensions entre Florian Philippot et Marion Maréchal parasitent régulièrement la candidate jusqu’au débat de l’entre-deux tours dont elle reconnaît elle-même « l’erreur stratégique ».
Le « besogneux » des fiches
À la rentrée 2017, les cadres du parti se réunissent pour analyser l’échec de sa candidature. Consigne est passée de faire monter de nouveaux porte-parole – une obligation pour un parti qui vient d’être quittée par son numéro 2 et la nièce de la présidente, perdant par la même occasion ses jeunes têtes de gondole médiatique.
Marine Le Pen pense alors à Jordan Bardella et lui demande de passer la case médiatraining.
« On entend partout qu’il a été très bon tout de suite. C’est faux. Il a bossé pendant des jours, appris des fiches par cœur, comme un besogneux. Il regardait plusieurs fois les interviews des gens qu’il allait affronter », persifle un ancien membre du parti.
Succès aux européennes, échec aux régionales
La méthode fonctionne au-delà de toutes les espérances, faisant de Jordan Bardella l’une des nouvelles coqueluches médiatiques. De quoi lui permettre de prendre la tête de la liste nationale aux élections européennes en 2019 et d’en sortir en tête avec 23%, un point devant la majorité présidentielle.
« Il a été d’une grande intelligence en s’effaçant derrière le message et en sachant dire non en interne, à poser des limites sans se fâcher », décrypte Philippe Olivier, le conseiller spécial de Marine Le Pen.
Ce qui ne l’empêche pas de se prendre parfois les pieds dans le tapis. En pleine pandémie de Covid-19, il adresse un hommage appuyé à Didier Raoul, le félicitant d’être « sanitairement incorrect ». « Il est peut-être à la médecine ce que nous sommes à la politique », avance l’élu sur France inter.
Malgré une contre-performance aux régionales d’Île-de-France où il ne récolte que 10% des voix en 2021, la patronne du parti ne lui en tient pas en rigueur et pense à lui quand, avant la présidentielle, elle quitte la présidence du mouvement. De quoi lui permettre de mettre en scène une posture qu’elle veut au-dessus des partis.
« Elle caresse, il frappe »
Alors que Marine Le Pen n’a débattu qu’à une seule reprise lors de la présidentielle dans l’entre-deux-tours face à Emmanuel Macron, c’est le président par intérim du RN qui monte au front face à Gérald Darmanin, Clément Beaune, Olivier Véran ou Gabriel Attal.
« Elle caressait avec ses selfies, il frappait avec ses punchlines. Ce n’était pas plus compliqué que ça », résume, lapidaire, un député.
L’adversaire d’Emmanuel Macron prend goût à ne plus gérer les affaires quotidiennes du parti et, après l’entrée surprise de 89 députés RN à l’Assemblée nationale, plus question pour elle de reprendre le chemin de la gestion du mouvement. Le choix de Jordan Bardella est une évidence dans son esprit même si une compétition officielle avec Louis Aliot, le maire de Perpignan, s’impose.
« Jordan Bardella n’est pas un idéologue mais un politique. Il n’a aucune ligne propre, pas de grande colonne vertébrale. Il défendra toujours ce que dira la patronne. C’est le casting idéal », décrypte Julien Rochedy.
« Un amour filial » pour Marine Le Pen
Dans un parti où plusieurs numéros 2 ont pris leur indépendance, au risque de faire exploser le RN – de Bruno Mégret à Florian Philippot-, cette plasticité a tout d’un atout. Sans compter « la relation spéciale » dont il se réclame avec Marine Le Pen.
« Il a un amour presque filial pour elle. Il ne peut y avoir de dissidence parce qu’il est dans l’affectif avec elle », traduit Philippe Olivier.
Jordan Bardella veille surtout à lui donner des preuves d’amour en public, en se lançant dans un hommage lors des universités d’été du parti au Cap d’Agde, lui disant « simplement merci » pour avoir lui permis d’être devenu « l’homme d’action » qu’il est « aujourd’hui ».
« Un côté Chirac obsédé par le pouvoir »
L’ex aspirante à la magistrature suprême a beau veiller – officiellement du moins – à garder une posture de neutralité entre le jeune homme et Louis Aliot, son ex-compagnon, plusieurs images montrent Marine Le Pen émue de cet hommage. Il faut dire que les mots sont presque les mêmes que ceux qu’elle avait elle-même utilisés en 2011 quand elle avait succédé à son père.
Le député européen sait manifestement sur quel bouton appuyer, bien aidé par sa vie privée. Il est devenu un intime de la famille en se mettant en couple avec Nolwenn Olivier, la fille de Marie-Caroline Le Pen, la sœur de Marine Le Pen et de son plus proche conseiller, Philippe Olivier. De quoi lui permettre de passer des vacances dans la demeure familiale l’été dernier à la Trinité-sur-Mer, dans le Morbihan, sans le garder des critiques.
« Il est effrayant tout en étant fascinant. Il a un côté Chirac obsédé par la conquête du pouvoir », tance gentiment Julien Rochedy.
« Patron des doubles décimètres »
L’un des proches de Marine Le Pen qui regrette sa place dans le dispositif pointe, lui, plus cruellement, qu’il sera « le patron des doubles décimètres et des commandes de cahiers ». Le barycentre du parti s’est déplacé vers l’Assemblée nationale, vidant de fait le mouvement de son influence auprès de ses élus.
D’autres détracteurs autour de Louis Aliot lui reprochent également la relative bienveillance dont ferait part Jordan Bardella à l’égard d’Éric Zemmour.
« Il a une ligne très identitaire, beaucoup plus que celle qui est la nôtre, officiellement en tout cas. Il est trop intelligent pour vraiment le montrer mais peut-être qu’un jour où ça ira moins bien entre Le Pen et lui, on s’en mordera les doigts », lance un élu qui a soutenu la candidature de Louis Aliot.
Une autonomie de Jordan Bardella est-elle vraiment possible dans les prochaines années, avec un œil vers l’Élysée en 2027? Beaucoup en interne en doutent. Un député reconnaît cependant à demi-mot qu’un « parcours aussi fulgurant donne forcément des idées ».
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