Des médecins alertent sur les risques liés aux manipulations du cou par des ostéopathes

Risques de fracture ou d’AVC: des médecins dénoncent les pratiques de certains ostéopathes, étiopathes ou chiropracteurs qui manipulent dangereusement le cou de leurs patients.

Des AVC et des fractures causées par de mauvaises manipulations d’ostéopathie, d’étiopathie ou de chiropraxie? Doc Amine met en garde contre les pratiques de certains de ses professionnels. Ce généraliste marseillais influent sur les réseaux sociaux a expliqué avoir reçu cet été une patiente pour une suspicion d’AVC cérébelleux – soit un accident vasculaire cérébral au niveau du cervelet – après une manipulation d’ostéopathie.

En clair: la manipulation du cou de cette patiente a provoqué une déchirure de l’artère qui amène le sang oxygéné vers le cerveau. Ce qui a ensuite provoqué un AVC.

« Dans le rachis cervical (la partie de la colonne vertébrale située au niveau du cou, NDLR), il y a un certain nombre de vaisseaux dont l’artère cervicale », explique Doc Amine à BFMTV.com. « C’est un peu comme des cordes. Pour ma patiente, l’artère a été disséquée (déchirée, NDLR). »

Lorsque Doc Amine arrive chez elle, envoyé par SOS Médecins, la patiente souffre de vertiges, d’une paralysie faciale et des membres. Il l’envoie aux urgences, qui confirment l’accident vasculaire cérébral.

Quelques heures auparavant, la patiente avait été manipulée par un ostéopathe, pour une douleur au niveau des côtes. « Il aurait déclaré que le diaphragme était coincé et lui a manipulé le rachis cervical en la faisant craquer. Mais c’est une aberration. Le diaphragme ne peut pas être bloqué, ou alors on est en réanimation. »

Des séquelles irréversibles

Une étude de l’American Heart Association, une association américaine consacrée à la santé cardiovasculaire, a déjà pointé les liens entre manipulations du cou et AVC. Et d’autres cas similaires ont eu un écho retentissant. Comme l’histoire de Katie May, cette mannequin américaine surnommée « la reine de Snapchat », morte après un AVC apparemment causé par une séance de chiropraxie.

Autre cas en France: en 2016, un patient de 59 ans poursuivait son chiropracteur après une manipulation qui lui aurait causé une invalidité de 20% et un usage limité de sa jambe, rappelle La Dépêche.

Guillaume Giordano Orsini, médecin urgentiste et réanimateur au CHU de Reims, est co-auteur d’un article sur le sujet publié dans The Journal of Critical Care Medicine. Dans cet article, il y revient sur le cas de sa patiente, une Française de 34 ans victime d’un locked-in syndrome après une manipulation vertébrale par un chiropracteur.

« Cette femme se plaignait de douleurs au cou et a consulté un chiropracteur à plusieurs reprises », raconte-t-il à BFMTV.com. « Il suffit d’une mauvaise manipulation ou d’une malformation pour que les parois de l’artère se décollent. Cela cause un hématome, puis un AVC. Pour cette patiente, les séquelles ont été irréversibles. »

Après avoir été dans le coma et subi une trachéotomie, la jeune femme se déplace désormais en fauteuil roulant et parle grâce à une canule de phonation.

Des accidents rares, des douleurs plus fréquentes

Des accidents d’une telle gravité après une consultation chez un ostéopathe, un étiopathe ou un chiropracteur restent heureusement extrêmement rares, reconnaît Guillaume Giordano Orsini – la Haute Autorité de santé n’a d’ailleurs pas de données sur le sujet. Mais une précédente étude britannique estimait que les effets secondaires de certaines de ces manipulations – notamment de chiropraxie – étaient sous-estimés.

Ce médecin évoque tout de même d’autres complications d’une moindre gravité.

« Ce qu’on a le plus fréquemment, ce sont des majorations des douleurs ou des épisodes de récidive. Des manipulations à répétition peuvent créer des fragilités au niveau des ligaments, notamment dans le cas de torticolis ou de lumbago. »

Un autre médecin généraliste évoque pour BFMTV.com le cas d’un de ses patients victime d’une rupture tendineuse de la hanche pendant une manipulation. Il évoque des cas plus fréquents de patients qui consultent des ostéopathes et viennent « avec des problématiques complexes et installées » parce que non prises en charge correctement pendant des semaines, voire des mois. « Ça, c’est toutes les semaines. »

Une « médecine alternative »

Si la kinésithérapie est reconnue comme une profession paramédicale – au même titre que les pédicures, orthophonistes ou orthoptistes – ce n’est pas le cas de l’ostéopathie. Comme l’éthiopathie, la chiropraxie, l’hypnose ou l’acupuncture, ce sont des pratiques de soins dites non conventionnelles (PSNC), parfois appelées « médecines alternatives » ou « médecines douces », qui ne sont par reconnues par la médecine et dont l’efficacité n’est pas confirmée scientifiquement.

« L’ostéopathie n’a aucune preuve scientifique d’efficacité contrairement à la kinésithérapie », insiste Doc Amine, qui appelle à la prudence face à la « désinformation » de certains professionnels. Ce médecin explique ainsi qu’un diagnostic de « nerf bloqué » ou de « vertèbre déplacée » relève du « mythe » et d’un « abus de langage ».

« C’est fortement improbable », explique-t-il. « Et si tel était le cas, une vertèbre ou un bassin déplacé ne se remettrait pas en place manuellement mais par de la chirurgie orthopédique ou de la neurochirurgie. Et dans ce cas-là ce serait vraiment très grave. »

Ce médecin s’insurge contre une certaine pratique de l’ostéopathie qu’il qualifie de « spectacle ». « Les personnes qui manipulent les vertèbres et enchaînent les craquements, c’est dangereux et inutile », tempête-t-il.

Des millions de consultations

Christophe Couturaud, président de l’association Registre des ostéopathes de France, dénonce au contraire une forme de dénigrement dont souffrent les ostéopathes. Uk assure que les « techniques de haute vélocité et de basse amplitude » – c’est-à-dire les craquements – ne sont pas les seules méthodes employées en consultation.

« Nous avons beaucoup de techniques douces, insiste-t-il pour BFMTV.com. « Les ostéopathes qui pratiquent de manière consciencieuse prennent toujours des précautions. »

« Il n’y a pas de danger à consulter un ostéopathe formé par une école agréée », poursuit l’ostéopathe, installé en Haute-Garonne. D’ailleurs, en cas de doute, il s’abstiendra. »

Si l’usage du titre d’ostéopathe ou de chiropracteur est réservé aux personnes titulaires d’un diplôme, il ne s’agit cependant pas d’un diplôme d’État – bien que délivré par des établissements agréés, comme le rappelle le ministère de la Santé.

Mais Christophe Couturaud veut pour preuve, selon lui, de l’efficacité de l’ostéopathie, les millions de consultations annuelles (26 millions en 2015, selon un sondage OpinionWay réalisé pour le Syndicat française des ostéopathes). « Nous savons que nos patients nous font confiance », conclut-il.

« Se faire manipuler, ce n’est pas anodin »

En ce qui concerne le métier d’étiopathe, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) mettait en garde contre certaines formations, évoquant « des flopées de néo-rebouteux-guérisseurs plus ou moins compétents », « des cohortes de médecins imaginaires passibles de poursuites pour exercice illégal d’une profession de santé », faisant craindre « des dérives sectaires », écrivait-elle.

Le médecin Guillaume Giordano Orsini partage les mêmes inquiétudes. Pour lui, le premier réflexe en cas de douleurs n’est en aucun cas de se tourner vers des manipulations.

« Il est impératif de consulter d’abord un médecin qui pourra identifier l’origine des douleurs, prescrire des radios, de la kinésithérapie ou du renforcement musculaire et traiter la cause. Il faut garder en tête que se faire manipuler, ce n’est pas anodin. »

Ces manipulations doivent, selon lui, « rester une alternative ». Si ce ne sont pas des techniques à proscrire complètement, nuance-t-il, elles doivent être utilisées « de façon raisonnée et raisonnable ».

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