Depuis une dizaine de jours, l’armée ukrainienne a repris l’offensive face à son envahisseur russe, dans le sud et l’est du pays, avec la ville de Kherson comme objectif principal. Et cette contre-attaque s’entoure d’un inhabituel silence-radio.
On en parle depuis son déclenchement il y a une dizaine de jours environ mais toujours à mots couverts. La contre-offensive ukrainienne dans le sud et l’est du pays occupés par les Russes progresse lentement et surtout discrètement. Pour autant, les armées ukrainiennes avancent, se rapprochent de Kherson – leur objectif principal, et diversifient même leurs cibles parmi les positions russes, avec des forces renouvelées. Ce mercredi, BFMTV.com fait le point sur la contre-offensive ukrainienne.
Silence
Avant même de décrire ces opérations qui se déroulent sur les fronts méridional et oriental du conflit et se fixent principalement autour du fleuve Dniepr, on doit remarquer qu’elles s’accompagnent d’un infléchissement de la stratégie de communication du pouvoir local. Kiev, en effet, a choisi de ne rien dire, ou peu de choses, de cette nouvelle phase de la guerre.
Ces derniers temps, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, qu’on a connu plus prolixe, se concentre sur ses échanges avec ses partenaires internationaux dans ses publications Twitter.
« On ne dit pas combien on a de blessés, on ne dit pas quelle ville on cherche à atteindre. Mais on attaque partout », note ainsi en plateau notre éditorialiste en matière de politique étrangère, Patrick Sauce, ce mercredi.
La parole des civils
Pour en savoir plus, il faut donc en passer par les civils. Notre équipe sur place a visité l’hôpital de Kryvhyi Rih, à 70km du front sud. C’est là qu’on achemine les blessés – tant civils que militaires – que les derniers combats ont laissés derrière eux. Tous évoquent la violence, l’intensité des batailles en cours.
Maria, 74 ans, a été touchée lors d’un bombardement conduit sur son village qui, après six mois de règne russe, vient de revenir sous la bannière nationale. Elle raconte:
« Les soldats ukrainiens ont repris le village. La veille, il y avait encore des combats intenses et des bombardements ».
Elle se souvient de la frappe qui l’a amenée dans cette chambre d’hôpital: « Il y a eu une explosion, des cendres et des débris partout. je suis sortie de la cave pour aller dans la cuisine et prendre le frais puis il y a eu un missile silencieux, je me suis retrouvée sous les décombres avec la jambe cassée. »
Signe supplémentaire de la brutalité de l’affrontement, les services de traumatologie et des grands brûlés de l’établissement sont remplis de patients. Dans le second, on trouve ainsi Tatiana, 64 ans, dont le fils est mort récemment, victime d’un raid aérien. Elle-même a failli y rester:
« J’ai eu des parties de ma peau brûlées, sur mon corps et mon visage. J’étais inconsciente. Si personne ne m’avait aidée je serais morte brûlée vive. »
Kherson au centre des combats
C’est là la caractéristique de la contre-offensive ukrainienne. Elle repose sur un duel d’artillerie permanent, et la présence de ses chasseurs MIG dans le ciel – une nouveauté.
« Les forces armées ukrainiennes disposent encore d’une capacité aérienne non négligeable et l’emploient actuellement du côté de Kherson », analyse dans nos studios le général Jérôme Pellistrandi, notre consultant pour les questions de défense.
Kherson: une importante agglomération de près de 300.000 habitants (avant la guerre), posée près du Dniepr et devenue un loquet fermant l’accès à la Mer Noire aux locaux depuis qu’elle est tombée dans l’escarcelle russe lors des premières semaines de l’invasion. Pour ces raisons militaires, autant que symboliques et politiques – la ville était la capitale du gouvernement en exil de la République autonome de Crimée -, la cité est l’horizon où se rivent les regards et les obus ukrainiens.
« La ville a été prise par surprise. On y a mis tout de suite des Ukrainiens volontaires pour administrer la ville sous pavillon russe. Elle a très vite été mise en coupe réglée et Kherson s’est retrouvée la seule ville russifiée », pointe notre journaliste Patrick Sauce.
Sauf que le verrou ne risque pas de sauter de sitôt. « Kherson, à moyen terme, est un objectif inatteignable, car on nous dit qu’autour de la ville il y a quatre lignes de défense russes. Les Ukrainiens ont simplement forcé la première », décrypte encore notre éditorialiste en politique étrangère.
Extension du domaine de la lutte
Cette stagnation ne grippe cependant pas la machine ukrainienne. En effet, l’armée nationale a désormais plusieurs fers au feu.
« Le front se généralise à l’initiative des Ukrainiens », prolonge Patrick Sauce.
C’est notamment en direction de l’est que les forces ukrainiennes reportent leur action, essentiellement autour des villes d’Izium et de Kharkiv. Pour l’heure, l’effort ukrainien et la discrétion dont il s’entoure paient, bien que modestement. D’après nos reporters sur le terrain, les soldats du pays agressé ont regagné une vingtaine de kilomètres depuis qu’ils ont repris leur marche vers l’avant, s’emparant d’un village après l’autre. Sans que les Russes ne disparaissent totalement du paysage d’ailleurs, comme le démontre le témoignage de Tatiana.
« Il n’y a que des personnes âgées dans mon village. Les Russes sont dans les sous-bois et terrorisent les habitants. »
Une progression à petits pas qui renvoie l’écho du « grignotage » du front opéré par la Russie cet été, à une époque où elle avait encore l’avantage.
Du matériel pour devancer l’hiver
Si les temps ont changé, c’est que le rapport de forces balistique lui-même a changé. Et la question du matériel s’avère cruciale non seulement pour le sort immédiat de la contre-offensive ukrainienne mais aussi pour son avenir. « Les armes fournies par l’Occident sont particulièrement efficaces en particulier l’artillerie. On peut penser au système HIMARS américain ou aux canons Caesar envoyés par la France qui permettent de frapper la base arrière russe », précise sur notre antenne le général Jérôme Pellistrandi.
Malgré la prudence en vigueur côté ukrainien, il est d’ailleurs nécessaire de frapper vite et fort. Car le temps s’écoule, l’été perd de sa chaleur, et après un bref automne, arrivera l’hiver russe – ou ici slave. Comme une épée de Damoclés au-dessus des têtes des deux belligérants.
« L’hiver approche et pour tout le monde. Les Ukrainiens savent qu’ils doivent montrer qu’ils ont l’initiative, sont à la manœuvre, en train de repousser les Russes », commente notre éditorialiste en matière de politique internationale.
Quelle qu’en soit l’issue, les jours de la contre-offensive ukrainienne pourraient bien être comptés.
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