ces réfugiés documentent leur périple sur TikTok

Avec l’émergence de la plateforme, des demandeurs d’asile ont pris l’habitude d’y filmer et partager leur parcours migratoire. Pour documenter leur périple, mais également tenir au courant leur famille.

Le visage souligné par la cravate rouge qui ne le quitte que très rarement, Khalid Slayman, jeune réfugié Syrien de 24 ans, met en scène sur Tiktok son départ depuis Beyrouth en ce 8 novembre 2021. Depuis le hall d’embarquement de l’aéroport de la capitale libanaise, il se filme, passeport en main, et déclare en arabe: « Je suis en route pour Minsk, en Biélorussie. »

Une fois dans l’avion qui doit l’amener à 2300 kilomètres de là, il se réjouit même de la place qui lui a été attribuée. « J’ai beaucoup de chance d’être à la fenêtre, parce que je vais pouvoir voir Beyrouth au décollage », indique-t-il, installé dans un appareil affrété par la compagnie biélorusse Belavia.

Aspirant mannequin et acteur

Réfugié au Liban depuis sept ans après avoir refusé de réaliser son service militaire en Syrie – pays fracassé par une guerre civile qui a fait près de 500.000 morts, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme -, Khalid a finalement décidé de rejoindre l’Europe en utilisant le pont aérien mis en place entre Beyrouth et Minsk à la fin de l’année 2021.

À ses dépens, le jeune homme va alors devenir un pion dans la guerre hybride qu’a décidé de livrer à cette époque le dirigeant biélorusse Alexandre Loukachenko à l’Union européenne, massant alors des milliers de demandeurs d’asile à sa frontière avec la Pologne, quelques mois avant la crise des réfugiés ukrainiens.

Mais quand il publie sur Tiktok les vidéos de son départ, Khalid ignore encore que durant son périple, il va frôler la mort à deux reprises. Ni que ses publications, qui documentent son parcours depuis Beyrouth jusqu’à Amsterdam, vont l’amener à construire une communauté forte de 16.000 abonnés.

Contacté par BFMTV.com, le jeune homme détaille les motivations derrière son activité sur ce réseau social. D’un point de vue extérieur, son profil est avant tout un témoignage inédit de la crise humanitaire qui a bouleversé l’est de l’Europe en novembre 2021. Mais pour Khalid, aspirant acteur et mannequin, c’est aussi un moyen d’accéder à la notoriété.

« D’abord, je souhaite devenir acteur, c’est mon talent! Et pour devenir connu, je trouve que Tiktok est mieux que YouTube, car l’algorithme permet une meilleure visibilité. Et puis, je voulais aussi donner des conseils aux personnes qui veulent entreprendre le même voyage que moi », détaille-t-il au téléphone depuis un camp de réfugiés situé près d’Amsterdam.

« Il y a d’autres vidéos qui ne sont pas en lien direct avec mon statut de réfugié. Dans certaines, je fais du mannequinat, pour divertir mon audience, et montrer que je suis ouvert d’esprit! », tient-il à préciser.

« Nous, les Syriens, sommes un peuple civilisé »

Ainsi, dans une vidéo tournée dans la forêt à proximité de la frontière biélorusse-polonaise, on le voit défiler au milieu des arbres, chapka noire vissée sur la tête, vêtu d’une chemise et d’un pantalon rembourré, sur fond de musique électronique. Pointant parallèlement du doigt les conditions dans lesquelles se déroulent son périple.

« Depuis l’endroit où nous sommes, j’ai décidé de faire un défilé de mode de ce que porte le migrant qui part dans les forêts et quels vêtements peuvent le protéger du froid », explique-t-il en introduction.

Quant à sa cravate rouge, qu’il ne quitte jamais, elle vise à « envoyer un message à la population européenne et au monde entier »: « Nous, les Syriens, sommes un peuple civilisé. Et le port de la cravate symbolise un minimum de civisme et de classe. Nous ne sommes pas un peuple barbare et nous ne voulons pas être un problème pour les populations et les gouvernements locaux », détaille-t-il dans une autre vidéo.

Diffuser son parcours migratoire sur Tiktok n’est pas le seul fait de Khalid. En explorant la plateforme, de nombreux utilisateurs proposent une plongée dans leur périple. C’est le cas d’Azer, Tunisien, dont le profil a été repéré par nos confrères de Vice. Sur son compte, ses vidéos le montrent d’abord entassé dans un bateau de fortune traversant la mer, avant son arrivée en Italie dont il filme les routes. Un peu plus loin, c’est place du Trocadéro à Paris qu’on le retrouve, puis dans l’Essonne à bord du RER.

D’autres comptes se chargent de rassembler et publier des vidéos glanées sur le web. Maxime* a passé une année auprès de réfugiés afghans à Istanbul dans le cadre d’un travail universitaire. Lui permettant d’appréhender le rôle clef joué par Tiktok auprès de cette population.

« Parmi les réfugiés afghans, Tiktok est surtout un moyen d’échanger des images du parcours migratoire, comme une traversée du désert pour rejoindre l’Iran. On retrouve beaucoup de sons nationalistes, de symboles, d’images du drapeau afghan dans ces vidéos… », constate-t-il.

Une analyse partagée par Lee Komito, professeur associé émérite en science de l’information et de la communication à l’University College de Dublin: « Avec des réseaux sociaux comme Tiktok, les personnes migrantes peuvent rester en contact avec leurs proches, peu importe où ils sont dans le monde. Et le fait que cela repose sur du contenu visuel permet d’affirmer fortement une appartenance communautaire. »

« Par ce genre de pratique, les personnes migrantes ont l’impression de toujours prendre part au quotidien de leurs proches qu’ils ont laissé derrière eux », poursuit-il.

Des plateformes très peu encadrées

Mais pour le professeur, qui a travaillé pour la Commission européenne sur le rôle joué par les réseaux sociaux dans l’intégration des migrants, des plateformes comme Tiktok peuvent également se révéler dangereuses de par leur faible régulation.

« Sur Tiktok, les migrants ont accès à des informations qui sont vitales pour eux, mais qui peuvent traiter de sujets illégaux, tels que les passages frontaliers. Cependant, ces plateformes ne fournissent pas de moyens simples de vérification. Donc certaines indications, dangereuses, circulent, sans qu’aucun mécanisme de validation préalable ne soit en vigueur », met en garde Lee Komito.

En juin 2021, la secrétaire d’État britannique à l’Intérieur Priti Patel a directement pointé du doigt Tiktok, une plateforme sur laquelle elle a accusé les passeurs de « glamouriser » la traversée de la Manche, comme le rapportait alors le Daily Mail.

La secrétaire d’État évoquait notamment le cas d’une vidéo, vue plus de 800.000 fois avant d’être supprimée, montrant des migrants traversant la Manche entassés dans un bateau, la caméra se concentrant sur le coucher de soleil, avec en fond, une musique entraînante.

Des conseils pour « survivre »

Une situation dont Khalid, le jeune migrant ayant documenté sa traversée de l’Europe depuis la Biélorussie a conscience. Et à laquelle il veut remédier. « En Biélorussie, j’ai failli mourir deux fois dans la forêt », affirme-t-il. « Une fois car je n’avais pas à boire, la seconde car je me suis presque noyé dans une rivière. »

« Je ne veux pas que les gens qui me suivent répètent mes erreurs, donc je leur apprends comment survivre dans les bois, sans leur cacher qu’ils risquent de perdre leur vie », explique le Syrien.

« Les conditions dans le camp biélorusse étaient horribles », poursuit-il. « C’est pour ça que j’indique dans mes vidéos d’essayer avant tout les moyens de migration légaux, surtout pour les familles. Et j’explique également qu’il ne faut surtout pas avoir recours aux passeurs. »

En France, les nombreuses associations contactées par BFMTV.com n’ont pas donné suite aux demandes d’interview sur le sujet, ou indiquent ne pas avoir connaissance du phénomène. « Nous n’avons pas d’informations sur ce sujet », écrit ainsi France Terre d’Asile.

Le rêve de devenir acteur

Sur son compte, Khalid poste désormais des vidéos de sa nouvelle vie aux Pays-Bas. Avec l’idée d’expliquer à ses abonnés « comment se comporter dans une nouvelle communauté, mais aussi casser l’image que certains ont des réfugiés, pour montrer que nous pouvons être des citoyens ‘normaux' ».

Il envisage même de réaliser de courtes scènes, lui qui a étudié le théâtre et qui se rêve acteur. En attendant la gloire, dans son camp de réfugiés hollandais, le jeune homme a monté un spectacle de marionnettes à destination des enfants.

* Le prénom a été modifié

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