Si les Ukrainiens et Ukrainiennes qui ont trouvé refugé en France ont obtenu une protection temporaire, ce n’est pas le cas de personnes de nationalités étrangères qui ont pourtant elles aussi fui la guerre.
Inza Touré est arrivé en France le 2 mars dernier. Cet Ivoirien de 27 ans était en Ukraine depuis 2019, étudiant à l’université de Dnipro. Il devait y décrocher un master en relations internationales à la fin du mois de juin mais l’invasion et l’attaque russes du pays en ont décidé autrement.
Parlant la langue française et ayant de la famille éloignée du côté de Chambéry (Savoie), il a décidé de se réfugier en France. Dès son arrivée, il a d’ailleurs participé à l’accueil des réfugiés ukrainiens en tant qu’interprète – il parle également russe. Il est actuellement hébergé par un bénévole de La Cimade – une association de soutien aux migrants, réfugiés et demandeurs d’asile.
Un assouplissement pour les étudiants
Pour ce jeune homme originaire de Côte d’Ivoire, pas question de retourner au pays avant d’avoir décroché un diplôme. « J’ai quitté la Côte d’Ivoire après une licence d’anglais car il n’y avait pas la filière que je voulais à l’université de Cocody » (l’Université Félix-Houphouët-Boigny à Abidjan, NDLR), confie-t-il à BFMTV.com.
« L’objectif n’est pas atteint. Je retournerai en Côte d’Ivoire mais seulement quand j’aurai mon diplôme, c’est important pour moi », ajoute Inza Touré, qui ambitionne de travailler dans les grands organismes internationaux, tels que l’ONU ou l’Unicef.
Inza Touré a obtenu à son arrivée en France un titre de séjour provisoire qui a ensuite expiré. Le jeune homme s’était ensuite vu notifier par le préfet une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Une décision qu’il avait contesté: il avait été admis à Sciences Po Grenoble pour la prochaine rentrée universitaire.
Mais début juillet, Joseph Zimet – le préfet chargé de l’accueil des déplacés – a annoncé un assouplissement de la politique vis-à-vis des étudiants non ukrainiens qui ont fui la guerre. « Il a été décidé qu’aucune obligation de quitter le territoire ne serait appliquée ni aucune nouvelle OQTF décidée, jusqu’à la rentrée universitaire », a-t-il déclaré au Monde.
Un nouvel examen approfondi de leur situation devrait ainsi être fait. « Nous leur appliquerons les mêmes critères que les étudiants qui demandent un visa en France », a-t-il ajouté, estimant que la situation concernerait « moins de 200 personnes ». C’est le cas d’Inza Touré, qui vient d’apprendre qu’un titre de séjour étudiant lui avait été accordé.
Des refus de protection temporaire
Mais pendant plusieurs mois, sa situation a été précaire: un cas loin de relever de l’exception. Mélanie Louis, responsable des questions expulsions au sein de La Cimade, a ainsi remarqué que les refus de protection temporaire se multipliaient vis-à-vis des ressortissants non ukrainiens mais qui travaillaient, étudiaient ou étaient en cours de demande d’asile en Ukraine. « Certains sont en plus notifiés d’une OQTF », s’indigne-t-elle pour BFMTV.com.
« On ne peut pas parler de refus systématique mais il y a une non prise en compte de la situation personnelle de ces personnes et de leurs attaches en Ukraine. »
Joseph Zimet, le préfet chargé de l’accueil des déplacés, a annoncé que plus de 100.000 Ukrainiens et Ukrainiennes avaient été accueillis en France, bénéficiant de la protection temporaire. Pour rappel, plus de six millions de personnes ont fui l’Ukraine depuis le début de l’invasion par l’armée russe.
La protection temporaire est un dispositif nouveau activé pour la première fois par l’Union européenne. Elle accorde une autorisation provisoire de séjour d’une durée de six mois renouvelable et permet de travailler, de percevoir une allocation, de bénéficier de cours de français, d’être soigné ou de demander un logement social.
Un traitement « différencié » selon les nationalités?
Les ressortissants non ukrainiens peuvent bénéficier de cette protection temporaire. C’est le cas de près de 3500 ressortissants de pays tiers, selon Joseph Zimet. Mais ils doivent répondre à certains critères.
Comme être titulaire d’un titre de séjour permanent en cours de validité délivré par les autorités ukrainiennes ou encore ne pas être en mesure de rentrer dans leur pays d’origine « de manière sûre et durable », indique l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Ce que dénonce la Coordination française pour le droit d’asile (CFDA), un collectif inter-associatif.
« Le traitement différencié dont font l’objet ces personnes, qui vivent les mêmes traumatismes de l’exil, de la séparation et de l’incertitude de l’avenir que celles qui ont nationalité ukrainienne, est inacceptable (…) Pour nombre d’entre elles, un retour dans leur pays d’origine mettrait en péril la continuité de leur parcours universitaire ou de leur vie professionnelle et signifierait la fin d’une perspective de vie pour laquelle ils ont durement investi », écrit la CFDA dans un communiqué.
Interrogé sur le sujet, le ministère de l’Intérieur répond qu’un ressortissant non ukrainien ne disposant pas d’un titre de séjour permanent en Ukraine « ne peut bénéficier de la protection temporaire, quelle que soit la situation invoquée dans son pays d’origine (sauf membre de famille, réfugié, apatride) ».
Le ministère précisé également que « si l’intéressé fait état de risques ou de menaces en cas de retour dans son pays d’origine (…) la personne est orientée vers une demande d’asile afin que sa situation individuelle puisse être examinée dans ce cadre par l’Ofpra », (l’Office français de protection des réfugiés et apatrides).
« Son pays d’origine, c’est l’Ukraine »
La Coordination française pour le droit d’asile (CFDA) dénonce ce qu’elle juge être des aberrations. Comme le cas d’un jeune homme de nationalité arménienne arrivé en Ukraine à l’âge de 1 an qui s’est vu refuser la protection temporaire par la France, alors que sa mère a quant à elle pu en bénéficier.
Gérard Sadik, responsable des questions asile à La Cimade et représentant de la CFDA, s’inquiète d’une interprétation « très restrictive » et « bête et méchante » de la législation européenne. Il explique que le critère du pays d’origine ne fait pas toujours sens.
« On a dit à ce jeune Arménien qu’il n’y avait pas de conflit en Arménie et qu’il pouvait donc y retourner », s’indigne-t-il pour BFMTV.com. « Or, cela fait près de trente ans qu’il vit en Ukraine. S’il est de nationalité arménienne, son pays d’origine ce n’est plus l’Arménie mais l’Ukraine, le pays où il vivait. »
Pour ce jeune Arménien, l’issue devrait être favorable. Il a récemment obtenu gain de cause devant la justice. Lui ainsi que sept autres ressortissants arméniens, qui vivaient en Ukraine, ont contesté avec succès leur refus de protection temporaire par le préfet de Seine-Maritime. « Il y a un tri dans les nationalités alors qu’il faudrait assurer une protection à toutes les personnes qui ont fui le conflit », déplore encore Gérard Sadik, de la Coordination française pour le droit d’asile.
« On a tout perdu, tout quitté »
Alaedine Ayad est quant à lui inquiet. Ce trentenaire de nationalité algérienne était arrivé à Kiev en octobre dernier dans le cadre de son doctorat de mircroélectronique et photovoltaïque. « Je n’ai pas trouvé de financement en Algérie mais mon projet a été accepté en Ukraine », explique-t-il à BFMTV.com.
Mais après le début de la guerre, des bombardements à proximité de son appartement, plusieurs jours d’errance à essayer de monter dans un train et plusieurs nuits dans la cave d’une famille ukrainienne, il parvient à fuir le pays grâce à un ami. Arrivé en Allemagne, il choisit la France: il parle la langue et une grande partie de sa famille y vit. Son grand-père, naturalisé français, y est d’ailleurs enterré. Comme certaines de ses tantes, nées et mortes en France.
Mais il s’est vu refuser la protection temporaire. L’autorisation provisoire de séjour d’un mois qui lui a été délivrée a expiré et il n’a aucune réponse de la préfecture .à sa demande de titre de séjour. « Je suis sans-papiers. » Il est pourtant inscrit – grâce au collectif Le Poing levé – dans une université parisienne pour la rentrée prochaine.
« J’ai dû donner un justificatif de ressources, je devais prouver que j’avais plus de 6000 euros sur mon compte, la moitié si je suis hébergé gratuitement. Heureusement mon cousin qui vit en France s’est porté garant. »
Pour le moment, Alaedine Ayad est hébergé à l’hôtel par une association. Il partage sa chambre avec deux autres jeunes homme qui ont eux aussi fui la guerre en Ukraine. Il explique qu’il lui est « impossible » de rentrer maintenant en Algérie.
« En partant en Ukraine, j’ai tout investi. Mon père a même vendu sa voiture pour financer mon doctorat, il voulait m’offrir une vie meilleure. En quittant l’Ukraine, on a tout perdu. Je ne vais pas me retrouver les mains vides. Car si je rentre en Algérie, mon rêve s’arrête. »
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